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La taverne du mois : brasserie Québécoise 2006
Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés. Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.
Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson avec la brasserie Québécoise 2006, établissement du quartier Villeray qui semble effectivement figé dans le temps.
AMBIANCE
D’emblée, l’endroit nous accueille avec beaucoup d’élégance : un tapis de saleté abondante et un mur malmené par un coup de pied féroce.
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Devant nous se dresse le chemin menant à la forteresse désirée. Décrissée au possible, la porte met la barre bien haute.
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Notre regard croise ce sublime tapis délavé au calcium omnipotent.
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À l’intérieur, nous sommes heureux de retrouver un jukebox qui, malgré sa facture esthétique beaucoup trop contemporaine, nous permet de renouer avec nos classiques préférés du seul groupe rock important de l’histoire.
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Désirant boire à perpétuité sans se laisser distraire par un quelconque jeu ludique, nous sommes furieux d’apprendre l’existence d’une table de billard, qu’un client s’amuse d’ailleurs à vider constamment en solo en sacrant des coups de forcené sur la boule blanche.
Mis à part ce petit dérapage ludique, nous apprécions l’ambiance authentique de cette brasserie. Nous avons cette douce impression d’un retour dans le temps bien au-delà de 2006, à une époque pas si lointaine où le vidéo poker était encore considéré comme «un divertissement à découvrir».
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ALCOOL
La grosse 50 est reine à la Québécoise, à l’instar de la O’Keefe qu’on finit par prendre quand le stock de 50 est épuisé.
Désirant partager un bon moment à bas prix, nous optons pour un pichet et une belle lecture trouvée dans les parages.
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Déçus d’apprendre l’existence d’une futile bière sans alcool sur le menu, nous applaudissons toutefois l’audace des propriétaires du bar, qui ont choisi de ne pas renouveler leur baril de Stella Artois même si la pompe à fut y est encore. Une façon prodigieuse de donner de faux espoirs à une clientèle mondaine indésirable.
PRIX DÉRISOIRE
Rien d’extraordinaire à signaler ici : les prix de la Québécoise sont on ne peut plus conventionnels. Le pichet est 16$ et la grosse est à moins de 8$ selon nos souvenirs les plus flous. Malheureusement, la modeste option du bock glacé à 2 ou 3 piasses est absente du menu.
SERVICE
Constamment au téléphone, notre serveuse munie d’écouteurs nous prépare un pichet plein à ras bord, que nous avons presque de la difficulté à soulever avec nos bras chétifs.
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«Scusez-moi, j’ai mis trop de Windex sur le bar», nous dit-elle, eu moment où elle nous le sert. Elle nous confie ensuite qu’elle n’a pas de change, car son sac banane lui a «pété sur le corps».
Gracieux.
DÉCORATION/MOBILIER
Le design intérieur de la Québécoise a quelque chose de réconfortant dans sa décrépitude. D’abord, il y a les tabourets qui sont à la fois démunis et ravagés par le temps.
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Ensuite, il y a ce plafond bombé, qui va probablement s’effondrer la prochaine fois que le voisin d’en haut va rentrer chez eux avec ses bottes.
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Aussi, nous sommes enchantés de voir réunis autant d’artefacts vintage, notamment cette plaque en bois gossé à l’effigie de la bière préférée des ouvriers québécois.
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Plus récente, cette décoration sportive retient notre attention par sa simple pertinence.
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Dans un style totalement différent, ce tableau d’art naïf nous émeut grandement par sa candeur et son emplacement idéal pour la contemplation, soit drette en haut d’un guichet ATM.
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Partout sur les murs du bar, ces petits trous nous racontent l’histoire de la Québécoise 2006, cet endroit où tout le monde finit par scratcher la peinture en titubant ou en tirant un bon coup de shotgun.
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L’activation de marque de Bud Light à la Québécoise est l’une des grandes réussites du marketing moderne.
Cette affiche promotionnelle bien déconfite pour la saveur à la lime en fait foi.
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Au même titre que cette poubelle crasseuse bien placée dans le coin sombre du bar.
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Enfin, nous levons notre chapeau à la devanture du bar : une porte de garage agencée de dessins de père Noël dans les fenêtres.
Simple et beau.
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PROPRETÉ
Outre le brillant plafond bombé qui surplombe l’extrême droite du bar, d’autres éléments piquent notre curiosité en altitude. C’est le cas de ce plafond à peu près suspendu qui traine avec lui les souvenirs d’une suite de spectaculaires dégâts d’eau.
La combinaison de ce cataclysme aquatique avec cet assemblage de fils discrets est irréprochable
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En retournant nos yeux vers le bas, nous sommes ahuris devant ce tapis d’une salubrité exemplaire.
Bref, faites attention de ne pas tomber par terre à la Québécoise.
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TOILETTES
Si l’endroit apparait correctement hygiénique en général, on ne peut pas en dire autant de l’espace de curetage pour hommes, là où l’odeur urinaire fait bon ménage avec un décor post-apocalyptique à la Silent Hill.
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Toujours agréable de pisser en regardant la rouille faire son œuvre.
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Peu importe les activités que vous tenez aux toilettes, faites attention de ne pas sacrer un trop gros coup sur la porte conjointe des cabines, car elle tient debout à peu de vis près.
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En fait d’idée géniale, difficile de faire mieux que cette tablette en bois qui, en plus de retenir le couvercle du bol, agit comme rempart idéal pour éviter de renverser sa bière.
Bravo.
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À notre grand bonheur, l’art naïf se déploie avec autant de singularité aux toilettes.
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Repaire de toilettage pour pitous ou toilettes inclusives pour femmes? Cette chatière béante laisse planer la confusion.
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À l’intérieur, le propreté semble plus manifeste, à l’instar de ces trous de céramique aléatoires.
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CLIENTÈLE
Devenue tanière de joutes festives universitaires dans les dernières années, la Québécoise reste tout de même fidèle à sa clientèle de base, essentiellement composée de gens louches au bord du bar et de fervents joueurs compulsifs de Homards en folie.
Ce soir, c’est l’authenticité qui prime. Mis à part un couple de hipsters villerois qui entrecoupent parfois ses minouches d’un blitz de pool, la faune est composée de mottés à l’intelligence incertaine.
«Vidéotron, c’est la compagnie la plus lucrative au Québec», avance l’un d’entre eux à un autre. «Mais j’me demande pourquoi ils vendent pas des prostituées au lieu des connections!»
Incertains de comprendre ce raisonnement aussi insolite qu’intrigant, nous continuons d’écouter cette vive discussion qui, en moins de sept minutes, se change en bashing contre Manon Massé. «T’sais, elle est pas rasée, rien! Pis elle porte pas de déodorant parce que c’est pas naturel!!!!!!! Pis y’a sa touffe qui doit être amanchée de même!» s’exclame le même motté à son même ami, qui profite judicieusement de l’occasion pour crisser son camp.
BOUFFE
Affamés, nous prions la serveuse de nous donner un œuf dans le vinaigre, une langue de porc ou n’importe quel aliment mariné digne d’une bonne vieille taverne québécoise. Malheureusement, nous devons nous contenter d’acheter un minuscule contenant de croustilles à 2$. Ça revient à peu près à 6,6 cennes la chips.
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Plus loin, nous sommes ébahis de voir un tout nouveau phénomène prendre de l’ampleur : la gentrification des noix.
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Habitués de la place, nous approchons la serveuse pour qu’elle nous tende un menu de l’excellent restaurant italien Filoti. Situé juste à côté, l’établissement utilise habituellement une porte secrète pour venir nous porter notre assiette de pizza-ghetti directement à notre table du bar.
C’est à ce moment que nous apprenons l’ineffable nouvelle…
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Désespérés, nous nous rabattons sur le toujours bien avenant Villeray Pizzeria, qui repousse les limites de l’audace culinaire avec sa pizza-lasagne.
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RAPPORT À LA TECHNOLOGIE
En regardant la place comme du monde, nous remarquons un nombre incroyable d’écrans de télévision HD.
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Certains ont d’ailleurs la grandeur d’un lit queen.
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Trois comptes exhaustifs d’écrans plus tard, nous arrivons au chiffre 26. Bien que pratique si vous voulez regarder 15 fois en même temps la même conférence de presse de Marc Bergevin, cette offre télévisuelle nous apparait démesurée et pas du tout en phase avec l’esprit authentique de la taverne québécoise. À notre sens, deux télés cathodiques ou un vieux radio à batterie auraient suffi.
Cette dérive technologique ne s’arrête pas là… En plus d’être muni d’un accès wi-fi, la Québécoisee contient neuf caméras de surveillance qui pointent vers le bar, signe d’une confiance indéfectible des proprios envers leurs employés.
Comme si ce n’était pas assez, le jukebox permet le paiement en argent virtuel.
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Toutefois, cette modernité bancale cache en elle un peu de poésie : beaucoup de filage apparent et des powerbars qui nous surplombent entre deux objets électriques.
Sublime.
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BILAN DE L’ÉVALUATION
Convenablement ivres, nous prenons soin d’écrire sur une napkin le résultat de nos différentes observations. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués.
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Résultat provisoire : 40/100
BONUS : Une table d’appoint inutile en face de la toilette des femmes (+1)
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Un lavabo d’appoint inutile au milieu du bar (+1)
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Du contenu très approprié en-dessous du lavabo (+13)
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Du tape Home Depot pour tenir un menu géant dans la toilette (+3)
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Une qualité de français irréprochable (+1)
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Un tiroir très propre (+2)
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Des bottes beaucoup trop grosses (+1)
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Finalement, le Filoti avait juste déménagé (+4)
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Note finale : 66%
Classement
- Bar Dickson : 77 %
- La Chic Régal : 76,5 %
- Taverne La-Paz : 76 %
- Bar Le Gagnant : 70 %
Brasserie Québécoise 2006 : 66%
- Bar 99 : 61 %
- VV Taverna : 49 %
Idéation et photos : Olivier Boisvert-Magnen, Dany Gallant et Divan Viril.