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La taverne du mois : bar Le Gagnant

Tour guidé de ce resto-bar de déjeuner emblématique de l’île Bizard.

Par
Olivier Boisvert-Magnen
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Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés. Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.

Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson avec Le Gagnant, bar caméléon bizardien qui devient un restaurant de déjeuner le matin.

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AMBIANCE

Carafes de café et machines à vidéo poker d’un côté, grosses Labatt 50 et machines à vidéo poker de l’autre, le bar Le Gagnant impressionne par sa configuration bigarrée qui donne l’impression d’être à deux places en même temps, mais surtout à nulle part.

En ce jeudi soir au froid récalcitrant, nous y découvrons une ambiance sympathique, mais sans grande envergure. La musique y est facultative, à peine perceptible, mais la tendance se renverse instantanément lorsque les chansons d’Offenbach se succèdent dans le jukebox.

Hargneux à la vue d’une table de billard, jeu que nous considérons comme ridicule puisqu’il distrait le client dans son ingurgitation de boisson, nous sommes heureux de constater qu’aucun client ne s’abaisse à venir entamer une partie. À notre avis, cette table doit être hors fonction et ne servir qu’à recevoir des plateaux d’omelette western une fois le soleil levé.

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DÉCORATION/MOBILIER

Loin d’être chaleureuse, la décoration nous rappelle le brutalisme du régime soviétique dans tout ce qu’il a de plus carré, froid, austère et aride.

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Toutefois, certains coins inédits de l’établissement jaillissent comme des repères de lumière dans la pénombre glaciale. C’est le cas de ce petit bar d’appoint au fond à gauche qui suscite notre excitation avec son frigo bleuté, ses chaises brunes coussinées et son matériel littéraire d’érudit.

Que dire aussi de cette empilade de chaises soigneusement coiffées de papier bulle?

Rien!

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ALCOOL

Sans surprise, le choix de bières est GAGNANT.

Nous sommes fortement enchantés de renouer avec ces deux classiques invétérés de l’alcool de bas étage.

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La lune de miel est de courte durée. Bien assis à siroter des gorgées de nos breuvages de prédilection, nous tombons nez à nez avec ce menu houblonné ridicule qui nous apprend la dure réalité : une Budweiser sans alcool en bouteille se vend une piasse plus cher que son pendant enivrant.

De plus, Le Gagnant tombe encore plus bas en osant proposer à ses clients une wannabe bière rousse de microbrasserie. Tout simplement risible.

Révoltés devant tout breuvage mondain qui soit, nous apprenons avec stupéfaction l’existence de deux pompes à fût de vin. Heureusement, la totalité des clients qui en commandent (soit deux) ont la brillante idée de mettre des cubes de glace dans leur verre de vin, ce qui nous force aussitôt à modérer nos réactions.

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Toutefois, pas question de nous retenir bien longtemps devant cette trahison suprême… À elle seule, cette boisson a le pouvoir de discréditer toute taverne qui se respecte.

SERVICE

En plus d’être marquée par un manque de clarté comparable à celui de la question référendaire de 1980, cette facture nous apprend avec grandiloquence le nom de notre serveuse très courtoise et efficace.

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Sur le bord de finir son shift, notre Jocelyne nationale s’en permet juste assez. «Chu sur le Jack Daniel’s moi cibole», envoie-t-elle à un client qui a de la glace dans son vin.

Affligés par son départ latent, nous n’avons pas le choix d’apprendre à connaître sa remplaçante de soir. Au fil des conversations, nous en découvrons davantage sur le fonctionnement de la place : le restaurant de déjeuner ouvre à 6 heures le matin et ferme à 14 heures, tandis que le bar ouvre à 8 heures et ferme à 3 heures AM. Peu importe l’heure de la journée, l’endroit reste 18 ans et plus, mais les enfants ados bébés peuvent accompagner leurs parents si ceux-ci ont une soudaine envie d’un bon déjeuner take-out.

Autrement, ils sont aussi acceptés sur la terrasse, mais cette option semble actuellement aussi populaire que n’importe quelle toune d’Anik Jean.

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Deux autres affaires qu’on apprend à un moment donné : y’a une autre serveuse qui s’appelle Nancy et le maire de l’île Bizard serait soi-disant l’oncle d’Adamo, célèbre rappeur et gagnant de la dernière édition d’Occupation double.

PRIX DÉRISOIRE

Rien d’extraordinaire côté prix : Le Gagnant n’offre pas de rabais dignes de ce nom, mis à part la Budweiser à 2,75$ le verre.

À part ça, la Bud Light Radler à 6$ la bouteille, ça mérite juste pas d’exister.

Comme cette photo d’ailleurs…

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CLIENTÈLE

En cette fin de 5 à 7, la clientèle s’avère expressive, colorée et plutôt pompette. Au bout du bar, près des toilettes, un homme raconte à ses deux convives qu’il a de la difficulté à interagir avec ce qui semble être un membre de sa progéniture. « Il a 13 ans pis il dit déjà plein de demi-vérités. Imagine-toi quand il va avoir 17! » s’exclame-t-il. « J’aurai pas le choix… M’a le casser tout de suite le tabarnak! »

L’un de ses interlocuteurs ressemble à Patrick Bruel, mais en plus sale. Un peu comme si, au lieu de faire une carrière dans la chanson, il avait décidé de JUSTE brosser.

Bref, il serait très surprenant qu’on le revoie dans 10 ans.

Plus tard, un homme arrive avec la fougue d’un gars qui a dû brosser pendant une bonne partie de l’après-midi. « Jocelyne, j’ai oublié de te payer câlice », dit-il, avant de se commander une coupe de vin en fut avec de la glace et de simili flirter avec une femme qui prend un verre avant de s’en aller rejoindre du monde au Keg.

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Également intelligent dans ses choix de breuvage, un autre individu de grande qualité nous apprend un dicton que nous ne sommes pas prêts d’oublier : « Avec de la O’Keefe, tu restes slim pis t’es jamais malade! »

PROPRETÉ

Si les tables soviétiques nous semblent un peu trop lavées en regard des piètre exigences de salubrité d’une taverne authentique, nous applaudissons avec un enthousiasme débordant le comptoir du bar, qui conjugue bon goût esthétique et surface caméléon pratique qui n’a jamais l’air encrassée.

Pour le moins ingénieux.

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Au loin, nous apercevons un reste d’œufs brouillés sur le comptoir de service. Certains diront que nous avons la vision d’un rhinocéros et que cette vague tache jaune est, en fait, une serviette qui traîne… mais, comme d’habitude, nous faisons aveuglément confiance à notre première impression.

TOILETTES

En guise d’accueil, difficile de demander mieux que cette porte ravagée par le temps et les coups de pied furtifs.

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Au lieu de vaquer à nos besoins urinaires, nous restons de longues secondes immobilisés devant cette machine libidinale datant fort probablement de 1991.

Encore aujourd’hui, tant de mystères persistent autour de ces modèles variés.

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Ce qui est l’fun, c’est que partout où on regarde, il y a quelque chose de décrissé. D’abord, ce drain rouillé…

…ensuite, ce plancher vague aux remous impulsifs…

…enfin, ce mur au trou de gun/glory hole percutant.

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Toujours pratique d’avoir deux machines à papier brun quand y’a en moyenne 11 à 12 personnes dans le bar.

BOUFFE

Affamés après tant d’émotions, nous nous laissons sustenter par ce vase d’arachides salées constamment rempli à volonté pour la modique somme de zéro dollar.

La vie vaut parfois la peine d’être vécue.

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Pour des raisons que nous ne préférons pas connaître, des machines à peanuts PAYANTES sont également installées dans l’établissement.

La haute bourgeoisie bizardienne dans toute sa splendeur!

Quelques gorgées de O’Keefe plus tard, nous avons cette furieuse envie de manger autre chose que du sel. Ayant arrêté de servir des déjeuners depuis six heures, Le Gagnant ne propose aucune autre alternative bouffe à part des croustilles. Après avoir consulté quelques piliers de la place, nous prenons donc la décision de commander au Bosna Pizza, restaurant soi-disant yougoslave établi à Pierrefonds.

Excités à l’idée de manger de la nourriture provenant d’un pays qui n’existe plus, nous salivons à la vue de ces spécialités locales.

Nous optons finalement pour les ailes de poulet, car en plus d’être panées, elles sont frites. Pure tradition yougoslave.

RAPPORT À LA TECHNOLOGIE

Un peu choqués que ce débit de boisson soit muni d’un accès wi-fi, nous acclamons son refus d’offrir à ses clients le paiement électronique, car selon nous, toute taverne doit s’opposer vivement au progrès, quel qu’il soit.

Êtes-vous d’accord?

BILAN DE L’ÉVALUATION

Logiquement ivres, nous prenons soin d’écrire sur une napkin le résultat de nos différentes observations. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués.

Résultat provisoire : 70/100

BONUS : Des traces de tape sur une machine à peanuts (+1)

Une Coors à 4,50 (-2)

Beaucoup de saleté et un papier secret (+1)

De l’entretien paysager (-1)

Une montagne de fruits relativement laide exposée sur la page Facebook du bar (-1)

Finalement, c’était vraiment une guenille (-1)

Manquer se péter la yeule sur la patinoire du parking en sortant (+1)

Une devanture impossible à prendre en photo sans que ce soit aussi laid (+1)

Repartir avec un crayon que la serveuse nous avait passé (+1)

Note finale : 70%

Classement

  1. Bar Dickson : 77 %
  1. La Chic Régal : 76,5 %
  1. Taverne La-Paz : 76 %
  1. Bar Le Gagnant : 70 %
  1. Bar 99 : 61 %
  1. VV Taverna : 49 %

Photo de couverture et photos du texte : Olivier Boisvert-Magnen et Divan Viril.