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Sous-marin

Une microfiction conjuguant privilège et Subway.

Par
Jeremy Hervieux
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Il y a des univers de fiction qui nous interpellent tout particulièrement. Voici une courte série de notre collaborateur Jeremy Hervieux qui explore comment certaines interactions avec nos profs, en apparence banales, prennent une dimension étrange et tout à fait curieuse lorsqu’on les extirpe de nos souvenirs.

La prof de 4ème année s’attire nos bonnes grâces dès le premier jour d’école: une fois par mois, elle compte récompenser un élève modèle en l’amenant manger chez Subway. Nos parents trouvent qu’elle dépasse son mandat un peu, mais lui font confiance quand même. On la voit faire son jogging autour du boulevard, on sait que c’est une bonne jack.

La première élève à jouir de ce dîner-privilège s’appelle Manue. Un midi, on les voit, elle pis la prof, embarquer dans une auto puis décoller ensemble vers leur sous-marin. Mon tout premier FoMO me prend, j’ai l’impression qu’elles vont se développer toute une complicité et revenir de leur dîner avec plein d’insides dont je ne comprendrai rien. Je décide alors de prendre mon attitude en main afin de devenir un élève modèle. Je sais exactement comment mon dîner-privilège au Subway va se passer : je compte faire mon finfinaud en choisissant un pain straight, comme avoine et miel, pour que la prof comprenne que je suis un gars de plaisirs simples, que j’ai pas de besoin flafla. Au moment de manger, je vais aborder des sujets matures comme Karla Homolka ou la fermeture de l’aéroport de Mirabel en disant que c’est ben de valeur, parce que j’ai huit ans et la sagesse d’un moine trappiste. Mes efforts en classe portent fruit : le mois d’après, je gagne l’activité.

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Sauf que soudainement, la perspective de ce lunch en tête-à-tête se met à me rebuter, et l’idée d’embarquer dans une auto avec la prof me remplit d’une peur ancestrale. Ça créé un genre de glitch dans ma compréhension du monde et de ce que devrait être une relation élève/professeure. Puis je réalise que ça me comblait déjà parfaitement en tant que projet chimérique sur lequel rêvasser pendant les trajets d’autobus. Je choisis un autre privilège, celui d’échanger ma chaise raide avec sa belle chaise de bureau pourvue de roues. Cet après-midi-là, en classe, je fais des petits mouvements circulaires du bassin afin de profiter autant que possible des roues de ma chaise empruntée.

Envie d’une autre histoire? C’est par ici.