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Se réapproprier la ville, une ruelle verte à la fois

La pandémie n’a pas eu que des effets négatifs pour les citadins.

Par
François Breton-Champigny
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On le sait, les parcs se sont métamorphosés, de mai à début octobre, en endroits magiques où toute la chnoute entourant la COVID-19 n’avait pas le droit d’entrer.

À «2 mètres» (come on, on le sait que vous ne respectiez pas TOUJOURS les distances), les citadins de Montréal pouvaient enfin interagir avec d’autres humains autrement qu’à travers une ca**** de conférence sur Zoom. Certains bravaient même les règles et s’évertuaient au spikeball, ce sport assez weird qui a connu un essor dans les dernières années au Québec, malgré les patrouilles de policiers qui passaient régulièrement pour donner des contraventions salées.

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Cette hausse d’occupation des espaces publics a mené à plusieurs questionnements de la part d’experts un peu partout à travers le globe dont celui-ci: et si on repensait les villes pour qu’elles soient VRAIMENT agréables à fréquenter pour les citadins?

Anne-Marie Broudehoux, directrice des programmes d’études supérieures à l’École de design de l’UQAM et détentrice d’un doctorat en architecture de l’Université de Californie à Berkeley s’est penchée sur la question.

Les trottoirs, ces espaces sacrés

«Du jour au lendemain, nos choix d’activités ont été très réduits. On a dû se tourner vers des choses simples comme aller prendre des marches ou aller dans des parcs pour prendre l’air frais et voir des gens», remarque Anne-Marie Broudehoux.

Coincés sur leur île, les Montréalais n’ont eu d’autre choix que de «profiter des interstices» de la ville, comme les cours, les ruelles et les trottoirs, pour avoir accès à un semblant de nature, explique la professeure de l’UQAM. «On s’est rendu compte graduellement que ces espaces nous appartiennent et qu’on peut les utiliser d’une manière plus optimale».

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La ville est alors apparue comme une «extension» du domaine domestique et non plus comme un endroit réservé aux véhicules motorisés. «On a redécouvert nos quartiers à pied. Les gens ont commencé à considérer les petits bouts de terre sur les trottoirs comme des potagers. C’est comme si on avait eu un éveil collectif que l’espace qui nous entoure est essentiel pour notre bien-être physique et mental», philosophe la prof, qui avoue s’être promenée tous les jours au début de la pandémie pour «admirer le spectacle».

«Les gens ont commencé à considérer les petits bouts de terre sur les trottoirs comme des potagers. C’est comme si on avait eu un éveil collectif que l’espace qui nous entoure est essentiel pour notre bien-être physique et mental.»

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En plus d’amener une réappropriation des espaces publics, la crise sanitaire a également mis de l’avant la précarité de certains quartiers comme le centre-ville, où l’inoccupation des tours à bureaux, un phénomène qui semble être là pour rester un bon bout, crée beaucoup de problèmes. Selon elle, le modèle de la «ville par fonctions» ne tient pas la route. «Un quartier monoculturel où il n’y a que des commerces et des bureaux est beaucoup plus susceptible de se transformer en “désert” qu’un quartier multifonctionnel où il y a des habitations, des services et des lieux de travail puisqu’il y a une mixité particulière qui permet de se garder la tête hors de l’eau malgré des évènements difficiles».

Sans nécessairement raser les gratte-ciel qui sont légion au centre-ville, l’experte en design de l’environnement conseille d’aménager ces lieux inoccupés en habitations plus durables. «Il y a des villes où les plus hauts étages sont consacrés à des logements luxueux, ceux du milieu à des bureaux et ceux d’en bas à des logements à prix plus modiques. Pourquoi ne pas faire ça ici? Ça revigorerait le coin sans nécessité d’énormes changements», soutient Anne-Marie Broudehoux.

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Réaménager oui, mais pas n’importe comment

La diplômée de l’Université Berkeley ne s’en cache pas: elle espère que la pandémie aura des effets à long terme sur la place des voitures dans le paysage urbain. «Pendant 7000 ans, les villes ont été pensées pour accommoder les humains. Mais depuis 100 ans, c’est l’auto qui a été au coeur des décisions urbaines. Je pense qu’on est enfin prêts à remettre ça en question», estime la mère de deux enfants, qui a élevé sa progéniture sur le Plateau sans automobile.

En ce sens, la directrice des programmes d’études supérieures à l’École de design de l’UQAM se réjouit de la prolifération de projets qui mettent des moyens de déplacement plus «humains» comme le REV ou la piétonnisation de certaines avenues pendant plusieurs mois comme celle du Mont-Royal.

Même si la piétonnisation de cette avenue a écorché certains commerces, comme le club vidéo Le Cinoche, qui a carrément fermé boutique pendant l’été à cause de cette décision, la professeure estime tout de même que ce fût la bonne direction à prendre. «C’est dommage que des choses comme ça arrivent, mais je pense que ça reste marginal. Je crois que si on avait pas pris cette décision, beaucoup de commerces et de restaurants auraient succombé à leurs blessures».

«Pour moi, les placotoirs construits à l’aide de conteneurs sont un peu risibles. Qui va vouloir s’asseoir dans une boîte en métal en pleine canicule l’été?»

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Anne-Marie Broudehoux souhaite cependant amener une nuance importante: ce ne sont pas tous les projets d’aménagement qui sont une bonne idée. Ou carrément bien faits. «Pour moi, les placotoirs construits à l’aide de conteneurs sont un peu risibles. Qui va vouloir s’asseoir dans une boîte en métal en pleine canicule l’été?», lance-t-elle rhétoriquement, ajoutant du même souffle que le projet a coûté 200 000$ d’argent public, des fonds qui «auraient pu être mieux utilisés».

Un autre exemple de fail d’aménagement urbain est l’amphithéâtre du parc Jean-Drapeau qui sert notamment de lieu d’hébergement au festival Osheaga. «Ils ont rasé des dizaines d’arbres, ce qui a engendré un désert écologique. C’est à pleurer de mauvais goût», lance la professeure.

Sur une note un peu plus lumineuse, qu’est-ce qu’on pourrait faire d’encore mieux pour rendre la ville agréable aux citadins? «Je crois qu’on doit continuer d’éliminer les stationnements en surface. C’est vraiment le nerf de la guerre si on veut avoir une ville soutenable à long terme: ne pas gaspiller des espaces pour stationner des autos». Un bon exemple de réaménagement urbain et la transformation de l’esplanade de la rue Clark près de Sainte-Catherine, qui devrait accueillir une patinoire géante cet hiver.

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D’ailleurs, la professeure a un conseil bien simple pour quiconque souhaite profiter de l’extérieur cet hiver. «Équipez-vous comme du monde! C’est le seul moyen d’avoir du plaisir dehors pour les prochains mois!»