S’aimer pendant la fin du monde

Ça fait maintenant trois ans que les feux de forêt noircissent les ciels de nos étés de fumée et d’angoisse. Demeurés longtemps un problème exclusif aux pompiers de la SOPFEU, ils déplacent désormais annuellement des populations comme une roulette russe imposée par dame Nature.

Comme une avant-première de la fin du monde pour les écoanxieux.

Impuissant devant cette réalité, Adam Tremblay, le protagoniste d’Amour Apocalypse, désespère. Au beau milieu de la quarantaine, célibataire et sans enfants, il fuit à l’intérieur de lui-même et vit une existence terne et répétitive, accompagné seulement par son frère et son insupportable père (joué de main de maître par le grand Gilles Renaud).

« Quand j’ai commencé à écrire Amour Apocalypse en 2020, on était en pleine deuxième vague #MeToo et moi, je débutais un projet sur un homme blanc hétéro dans la quarantaine », se souvient la scénariste et réalisatrice du film Anne Émond. « Je me suis réconciliée avec cette idée-là. Une des nombreuses avancées féministes des dernières années, c’est que nous nous sommes donné le droit d’écrire des personnages masculins. De donner une nouvelle perspective. De nouveaux modèles. »

Une comédie dramatique aux idées on ne peut plus contemporaines, Amour Apocalypse met de l’avant les grandes anxiétés de notre époque, et, sans offrir de solutions faciles ou idéalistes, amène néanmoins un peu de réconfort.

Adam (interprété par un Patrick Hivon qui, décidément, ressemble physiquement de plus en plus à Henry Rollins) est tout, sauf un stéréotype masculin. Foncièrement gentil et sensible, il peine à s’exprimer devant Romy, son employée issue de la Gen Z (une Elizabeth Mageren, sassy à fond) qui le mène par le bout du nez.

« Je pense que certaines personnes vont me reprocher qu’Adam est trop gentil, mais je m’en fous. La gentillesse, c’est la qualité de l’avenir. Si on a survécu tout ce temps-là, c’est parce qu’on est gentil l’un envers l’autre et qu’on s’entraide », précise Anne Émond.

Bien qu’il soit indiscutablement une bonne personne, Adam est en détresse et tente de se soigner avec l’exercice, de la médication et la bébelle qui lui permettra de rencontrer Tina (jouée par l’actrice texane Piper Perabo) auprès de qui il trouvera un peu de répit de la fin du monde et un chemin vers de nouveaux horizons.

Anne Émond est particulièrement sensible en raison des enjeux de santé mentale et de suicide qui ont frappé sa propre famille. « On se met tellement de pression pour performer, travailler 50 heures par semaine, publier des stories extraordinaires… Notre mode de vie est hyper exigeant et si on fait un burn-out ou une dépression, on nous dit : “Gère-toi” et on nous propose d’acheter des affaires. C’est en trame de fond, mais il y a aussi une critique du capitalisme à ce niveau », précise la réalisatrice.

« Adam, c’est quelqu’un de tellement sensible qu’il doit s’isoler de la société parce que c’est juste trop pour lui. C’est souvent des gens très sensibles qui s’isolent et qui finissent par se radicaliser. Mais pas lui. Même s’il souffre, il veut jamais déranger personne », affirme l’acteur.

Même si, dans Amour Apocalypse, la planète est aux abois (Anne Émond estime que l’action se déroule environ en 2026 ou 2027), les besoins de son protagoniste sont simples et la connexion humaine est spontanée et authentique.

« Je ne dis pas que l’amour va tout régler, parce que l’amour ne règle pas tout dans la vie. Dans ce film-là, je voulais offrir de nouveaux modèles. Adam et Tina arrêteront peut-être de s’aimer un mois après les événements du film, mais ils se seront vus d’un autre œil pendant un moment, et j’espère que le public s’y retrouvera un peu », philosophe Émond.

Sans vouloir faire de divulgâcheurs, Amour Apocalypse montre une des plus belles scènes de rupture que j’ai eu le privilège de regarder depuis peut-être Blue Valentine en 2010. Elle vit d’ailleurs dans ma tête sans payer de loyer depuis que j’ai vu le film.

Une rupture, c’est une fin en soi. Un monde qui disparaît en nous laissant derrière, et pour être capable d’y survivre et de passer à autre chose, il faut laisser une version de soi-même dans le passé. Jouée par Piper Perabo et l’acteur canadien Gord Rand, cette scène est un microcosme de l’anxiété de fin du monde vécue par les personnages du film.

« Les scènes de rupture sont habituellement tellement combatives », raconte Piper Perabo, en visite à Montréal pour la première du film. « Gord s’est montré tellement brave de jouer cette scène tout nu. J’étais fascinée, je l’ai trouvé tellement beau. Il s’est donné sans compter. C’était super touchant. »

Anne Émond se fait parler constamment de ladite scène, ce qui lui fait plaisir parce qu’elle sert aussi le dessein d’illustrer une autre masculinité : « C’est la rupture qu’on voudrait tous vivre. On voit constamment des féminicides dans les journaux. Je voulais montrer que c’est possible d’accepter ça et que ça ne veut pas dire que deux personnes arrêtent de s’aimer pour autant. »

Le dévouement d’Anne Émond à écrire des scènes familières, mais qui évitent constamment le stéréotype est ce qui confère une aura d’exception à Amour Apocalypse.

C’est l’histoire d’un gars qui apprend à s’ouvrir sur le monde comme on l’a vu déjà vu des centaines de fois, mais le monde dans lequel il évolue reflète le nôtre, tant dans ses points de rupture que dans ses nouveaux départs.

« C’est un film tout gentil, à propos de gens qui se rencontrent au téléphone. Il y a un caractère très vintage. Il n’y a pas de superhéros ou de poursuites en voiture. J’avais besoin d’un film poétique, mais ancré dans le réel, après Yellowstone », affirme Piper Perabo.

Amour Apocalypse arrive en salles le 8 août prochain. C’est une histoire d’amour audacieuse et unique qui vous aidera à respirer un peu mieux malgré nos ciels dorénavant enfumés.