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Blue Valentine: la fois où la fiction a changé ma vie

Il y a des films qui divertissent et d'autres qui font beaucoup plus.

Par
Benoît Lelièvre
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Le cinéma est dans une drôle de passe (comme un peu tout le monde, d’ailleurs).

Malgré la réouverture des salles, les grosses pointures se font attendre. Christopher Nolan a décalé la sortie de son nouveau film Tenet au 12 août prochain et à en juger de la manière dont les États-Unis affrontent la COVID-19, il se pourrait bien qu’on attende encore longtemps. Même chose pour Black Widow, déplacé du 11 mai au 6 novembre et Wonder Woman: 1984, qui devait sortir le 5 juin dernier. Vous pouvez d’ailleurs encore regarder 1917 et Bad Boys for Life sur grand écran à Montréal, au cas où vous auriez raté votre chance en janvier dernier.

C’est pas unilatéralement une mauvaise chose.

Mieux se connaître et savoir ce qu’on veut dans la vie, c’est un super pouvoir.

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Pendant que la machine Hollywoodienne nous sacre la paix, le bon vieux bouche-à-oreille est redevenu à la mode. On a recommencé à regarder des films juste parce que «on a entendu dire que c’t’ait bon» et des films à petit budget comme The Vast of Night et Aquaslash se retrouvent avec une vitrine médiatique dont ils n’auraient jamais pu rêver avec un calendrier de diffusion normal… juste parce qu’ils sont bien faits et divertissants. C’est le fun de voir que pour une fois, les choses sont reconnues au mérite.

Cette période de silence corporatif est aussi une excellente occasion de revoir nos films préférés, question de mieux comprendre pourquoi ils nous font tripper. Parce que mieux se connaître et savoir ce qu’on veut dans la vie, c’est un super pouvoir. C’est d’ailleurs un film qui m’a fait comprendre ça : Blue Valentine, du réalisateur Derek Cianfrance.

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Redéfinir l’amour

L’histoire de Blue Valentine est très simple et très compliquée à la fois: le film raconte le mariage de Dean (Ryan Gosling) et Cindy (Michelle Williams) deux personnes qui s’aiment beaucoup, mais qui veulent des choses différentes. Elle est étudiante en médecine (et plus tard infirmière) et lui n’a pas vraiment de plans pour sa vie, à part elle.

Dean et Cindy ont su se séduire, mais n’ont jamais compris comment s’aimer.

Blue Valentine est une longue descente aux enfers des premiers ébats jusqu’à la séparation. C’est pas dans le très joyeux, au cas où vous n’auriez pas déjà capté. Dean et Cindy ont su se séduire, mais n’ont jamais compris comment s’aimer. Un des nombreux trucs qui me fascinent à propos de Blue Valentine, c’est qu’il ne finit pas sur le premier baiser, comme la plupart des films d’amour américains.

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C’est un thème récurrent dans le cinéma de nos voisins du sud: on nous enseigne à désirer, à séduire, mais jamais comment aimer quelqu’un qui partage nos sentiments. On est supposés croire qu’après avoir embrassé l’objet de notre désir pour la première fois, il n’y en aura plus jamais de problèmes. Qu’à partir du moment où on échange nos microbes avec quelqu’un qu’on trouve cute, le restant de notre vie va se dérouler exactement comme dans une annonce de café Folgers.

Blue Valentine ose lever le voile sur l’autre côté de ce mythe et c’est pas joli: insécurités, mauvaise communication, frustration… beaucoup de petits démons qui ne disparaîtrons pas avec beaucoup d’amour et une tasse de café. Ce film, c’était une tentative de redéfinir l’amour au cinéma et dans la culture populaire. Parler de désir et de séduction, mais aussi de compromis, de communication et de vulnérabilité.

Et ça ne rend pas l’histoire de Dean et Cindy moins belle, intéressante ou tragique. Ça la rend juste plus vraie.

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La scène qui a changé ma vie

Si je vous parle de Blue Valentine aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à cette scène-là:

Pour ceux qui ne parlent pas anglais, Dean et Cindy ont une conversation sur le manque d’ambition de ce dernier. Elle lui reproche de gâcher son potentiel, ce à quoi il rétorque ce qu’il veut dans la vie c’est d’être son mari à elle. Être le père de son enfant. Qu’il travaille parce que ça lui permet d’être là pour elle et leur fille Frankie. Il n’a pas besoin de s’épanouir professionnellement pour être heureux.

C’était ma période où (comme plusieurs millénariaux dans la mi-vingtaine), je sentais le temps passer et l’urgence de faire quelque chose sans savoir quoi.

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J’avais 29 ans. Je traînais un boulot dans un centre d’appel comme un boulet attaché à ma cheville et plusieurs questions existentielles qui pesaient lourd sur mon couple. C’était ma période où (comme plusieurs millénariaux dans la mi-vingtaine), je sentais le temps passer et l’urgence de faire quelque chose sans savoir quoi. J’avais l’impression que la vie m’avait laissé sur le bord de la route avant de continuer son chemin.

C’est la première fois de ma vie où j’ai compris pourquoi je réagissais émotionnellement à un film: Blue Valentine me confrontait à qui j’étais vraiment et me disait tout doucement «c’correct. T’as le droit de pas vouloir “devenir quelqu’un”. T’as le droit de vouloir ce que t’as présentement et de chercher rien d’autre, tant que tu l’entretienne».

C’est à ça que ça sert, l’art. Plus précisément les arts narratifs comme la fiction: ça sert à mettre en scène des questions auxquelles on n’a pas de réponses faciles et uniformes et à suggérer des possibilités.

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La révélation ne fut pas immédiate. Tranquillement, au fil des semaines suivant mon premier visionnement de Blue Valentine, j’ai arrêté de vouloir des choses pour le trip de vouloir des choses. De chercher ma vocation ou une job autour de laquelle je pouvais structurer mon identité en tant que personne. La santé de mon couple est devenu ma priorité. C’était la chose la plus importante dans ma vie et j’ai décidé de m’y dédier.

Meilleure décision de ma vie. Pour mon couple et pour moi-même.

Ceux qui ont vu Blue Valentine me diront: «ouin, mais Dean et Cindy s’entre-déchirent pendant deux heures et divorcent à la fin». C’est vrai. Prendre cette décision met un énorme poids sur les épaules de notre partenaire: ses hauts et ses bas personnels deviennent la priorité du couple et ça lui met une pression intense de bien aller.

Si Dean s’était trouvé un autre hobby que de boire de l’alcool POUR s’actualiser, il serait peut-être encore marié et Blue Valentine aurait eu une belle fin.

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C’est pour ça que le couple de Dean s’est effondré. Il a délégué toute la responsabilité existentielle à sa femme sans se soucier des effets que ça allait avoir sur elle. Abandonner la recherche du bonheur et de l’accomplissement dans la vie professionnelle, c’est une chose. Déléguer la responsabilité de ce bonheur à quelqu’un, s’en est une autre. Si Dean s’était trouvé un autre hobby que de boire de l’alcool pour s’actualiser , il serait peut-être encore marié et Blue Valentine aurait eu une belle fin.

Aujourd’hui, j’ai une meilleure job, une foule de projets dans lesquels je m’investis simplement parce que j’aime ça et un couple plus en santé que jamais après 13 ans. Ça, je le dois à Blue Valentine. C’est un des deux films qui a changé ma vie. Un jour, j’vous parlerai peut-être de l’autre. En attendant, je vous suggère fortement de voir (ou revoir) Blue Valentine sur Amazon Prime Video en fin de semaine.

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