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Road trip pour aller voir Eddie 

Être groupie nécessite beaucoup de logistique, par contre. 

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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C’est l’histoire d’un road trip pour aller voir un show à New York.

Plutôt banal, j’en conviens, mais dans le contexte actuel, la performance artistique n’est qu’une formalité devant l’intense logistique derrière cette simple aventure.

Tout commence le 1er décembre, lorsqu’Eddie Vedder annonce des dates pour une tournée solo avec son band The Earthlings (avec Chad Smith et Josh Klinghoffer de Red Hot Chili Peppers, Glen Hansard, Chris Chaney de Jane’s Addiction et Andrew Watt).

À l’époque, les bars karaoké étaient encore ouverts, personne n’avait vapoté dans un avion et la pandémie semblait sur le point de finir.

Mon amie Gabrielle m’écrit alors pour palper mon intention d’acheter des billets.

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Je ne connaissais pas tant que ça Gab, sinon par notre passion commune pour Pearl Jam.

Je l’avais découverte à l’époque de La Presse en plein reportage sur les musicien.ne.s dans le métro. Elle jouait Elderly Woman Behind the Counter in a Small Town avec son chum à la station Langelier. On a gardé contact. Elle est même venue jouer un set à mon quarantième.

Tout ça pour dire que les fans purs et durs d’un groupe né en 1991 se font aujourd’hui rares comme une chanson originale dans le registre de Sylvain Cossette, d’où cette relation musicale.

D’ailleurs, vous avez probablement vous-mêmes googlé les mots « Eddie Vedder », puisque c’est connu que les gens qui lisent URBANIA n’écoutent que du FouKi et sont GAYAYAYAYÉS!

Fin de la parenthèse.

Ah et je n’étais jamais allé à New York non plus. Je sais, je sais. Quand je dis ça, les gens me regardent comme si je criais « Voldemort » en perdu dans la Grande salle à Poudlard.

Tout ça pour dire que quelques jours à peine après l’achat de nos billets, le monde s’est de nouveau écroulé. Les cas du variant Omicron ont explosé, les bilans se sont alourdis, la province s’est reconfinée, sans oublier le damné couvre-feu.

Le doute s’est évidemment installé dans notre projet de cabochon.

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J’ai essayé de vendre les billets payés à un prix que Pearl Jam aurait dénoncé avant de perdre son combat contre Ticketmaster, sans succès.

Plusieurs personnes étaient intéressées, mais dès que je leur demandais de me payer avant de leur envoyer les billets, elles avaient l’air de me truster autant qu’un curé près d’une école.

Même les photos de moi que j’envoyais pour prouver que j’étais une bonne personne ne semblaient pas fonctionner.

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Comme il faut parfois faire confiance aux signes du destin et parce que les trois quarts de la planète sont en train de déconfiner sans l’aide des révolutionnaires en gros truck, on a réactivé le projet à la dernière minute.

I want to be a part of it

New York, New York

Mais on avait d’abord plein de choses à faire pour ne pas avoir de problèmes aux douanes, et je ne parle pas juste de devoir laisser notre drogue à la maison.

Il fallait présenter aux postes frontaliers canadiens et américains un test PCR négatif valide et officiel (pas celui que tu reçois à la pharmacie). Même si on n’a jamais rien compris des instructions sur les différents sites du gouvernement, on devait trouver quelque chose de legit pour les séjours de 72 heures et moins.

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Pas le choix d’aller se faire escroquer au privé, où de tels tests avec des résultats en moins de 24 h coûtent 100 $ la copie.

Ça fait cher pour trois tours de Q-tips dans yeule (même pas creux en plus). La clinique était bondée jeudi matin, la veille de notre départ. Breaking news : les gens voyagent en estifi.

Il fallait aussi downloader la version internationale de notre passeport vaccinal, en plus de fournir l’adresse de notre destination aux États-Unis et une photocopie de notre résultat négatif de test PCR.

J’ai cueilli Gabrielle tôt vendredi matin, en priant le petit Jésus de ne pas nous faire refouler aux douanes à Lacolle.

C’est toujours stressant de traverser la frontière, mais là, c’est pire.

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Il n’y a presque aucune attente. Mes mains tremblotantes contrastaient avec l’attitude « je m’en sacre de ton projet d’aller voir un show has-been à New York for the first time et welcome to the United States of America » du douanier.

Ce dernier m’a en fait demandé une seule chose : pourquoi je suis allé au Cambodge il y a trois ans.

« Pour faire du tourisme sexu… euh, pour voyager en famille! », ai-je répondu dans mon mauvais english.

Facile de même, nous v’là aux États.

Si les billets électroniques dans mon wallet virtuel fonctionnent à l’entrée du théâtre, j’aurai rempli la portion la plus importante de cette mission : voir le show.

Et peu importe si mon test PCR ne suffit pas, si j’attrape le virus en chemin et que je me ramasse en quarantaine à Plattsburgh à cause de ça, j’aurai vu Eddie.

Gabrielle est soulagée aussi. Comme toute fan finie qui se respecte, elle a apporté des bons vieux CD pour rythmer les 597 kilomètres nous séparant de la Grosse Pomme. J’ai fait la même chose, puisant dans mes archives de CD de concerts live qui m’ont coûté la peau des fesses.

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Ma copilote part le bal avec un CD hommage aux Ramones, sur lequel Eddie Vedder reprend deux tounes, dont l’excellente I Believe in Miracles.

Le lecteur CD bouffe la rareté musicale d’une bouchée. On n’a jamais réussi à l’éjecter. Ce voyage commence très mal. Mon amie Émilie T. (pour préserver son anonymat), qui m’a vendu sa Kia moins cher que deux billets pour Eddie Vedder, ne m’a jamais informé de cette défectuosité. Elle a du sang de Ramones sur les mains astheure, cette succube.

Gabrielle met du lave-glace (je sais pas où) pour se changer les idées.

La route n’est pas super belle, ça vente fort et il neige. On croise plusieurs sorties de route sur la 87. Les pneus d’hiver ne sont pas obligatoires aux États.

Après quelques escales de café dans des McDo (et un Dunkin), on arrive à New York en milieu d’après-midi. Pour un néophyte, je suis surpris de voir à quel point une métropole de douze millions d’habitants sort comme ça de nulle part, après des heures de ruralité. Je vis un moment pareil. Le pont, l’architecture, les panneaux, les vidanges partout sur le bord des rues.

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Notre hôtel se trouve à cinq minutes de marche du Beacon Theatre, dans le quartier Upper West Side.

On dépose nos choses en vitesse pour profiter un peu de la ville avant le concert. Première étape, se garrocher sous la marquise de la salle de spectacle pour concrétiser tout ça.

Il fait environ dix degrés sous un crachin fatigant qui trempe les os. Rien pour nous empêcher de s’en mettre plein la vue.

Une marche dans Central Park à l’ombre des gratte-ciels perdus dans les nuages, une balade sur Broadway où sont garés des dizaines de foodtrucks, des taxis jaunes qui ne ressemblent plus à ceux de Home Alone 2 et le building où John Lennon s’est fait tirer.

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Ça sera ça pour cette fois, le show commence dans moins de deux heures.

Ce qui frappe, ce sont les petites cliniques de dépistage de COVID improvisées dans des tentes éparpillées à chaque coin de rue. « C’est gratuit pour tous les citoyens qui payent des taxes », m’explique l’infirmier à l’intérieur de l’une d’elles, qui combat le froid avec une petite chaufferette à ses pieds.

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Deuxième constat : la COVID n’existe pas vraiment à New York. Oui, il y a des gens masqués un peu partout, mais ça semble davantage relever du volontariat que de l’obligation. Le portier du bar où on est allés se faire un fond a demandé nos passeports vaccinaux, avant de nous les rendre sans rien scanner.

Une fois à l’intérieur, personne ne porte le masque. On n’allait pas s’en plaindre, avant de s’engourdir avec quelques bières, des nachos et des shots de Jameson.

Prochaine étape et non la moindre : entrer au théâtre avec nos passeports vaccinaux exigés à l’entrée.

Là encore, ce fut un jeu d’enfant. Aucune vérification de passeport n’est faite. Il fallait voir cette pauvre employée armée d’une pancarte se démener pour inciter les gens à porter le masque dans l’indifférence générale de la foule compacte. Si les spectacles reprennent ici à moitié de la capacité, le Beacon faisait salle comble avec 2894 spectateurs et spectatrices.

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Un pipi et une clope plus tard, on se dirige vers nos sièges au balcon. En chemin, Gabrielle s’accroche les pieds au bar pour ramasser deux rhum and coke doubles. Prix surprise : 67 $ US (85 $ CA)! Pas le choix de retourner dans la bière après.

À nos places, je suis soufflé par la magnificence du théâtre centenaire, conçu par l’architecte Walter W. Ahlschlager. J’ai l’air cultivé, mais j’ai googlé tout ça.

Le rideau se lève, le chanteur irlandais Glen Hansard (ex The Frames) lance les hostilités en s’égosillant trois quarts d’heure. Sa voix éraillée voyage dans le théâtre à l’acoustique incroyable. Le gars donne tout ce qu’il a, la soirée promet.

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Eddie Vedder et son band s’amènent ensuite dans l’euphorie générale en attaquant doucement les premières notes de Drive, une reprise de REM. Le poil me revire aussitôt sur l’avant-bras. Gab aussi, déjà en transe et à la moitié de son rhum and coke hors de prix.

Après sa toune, Eddie souhaite la bienvenue à tout le monde avec sa voix réconfortante comme un pot-au-feu maison, visiblement très heureux de remonter sur une scène, au lendemain du premier concert d’une tournée de onze dates présentées à guichets fermés. « On a eu du mal à se rendre ici (à cause de toutes les restrictions liées à la COVID), alors si vous avez vécu la même chose, maintenant est le fruit de tous nos efforts », lance-t-il dans un tonnerre d’applaudissements.

En pensant à nos heures de route et centaines de messages d’angoisse logistique précédant le show, Gab et moi ne pouvions qu’être d’accord avec notre idole, qui enchaîne aussitôt avec la jolie Room at the Top (de Tom Petty)

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Inutile de vous emmerder avec une critique en bonne et due forme du concert (il en existe déjà quelques bonnes, sinon). Mais disons que les fans en ont eu pour leur argent, avec une enfilade de hits de Pearl Jam (Porch, Dirty Frank (?!?), Not for You), d’Eddie solo (quelques pistes du prochain album attendu en février, dont Brother the Cloud en hommage à Chris Cornell), un bon vieux solo de drum et d’immenses covers (I’m One “The Who”, Isn’t It a Pity “George Harrison”, etc.).

Affirmer que le party était pogné dans la place serait un euphémisme. Les gens ont dansé, chanté, bu – avec, mais surtout sans masque.

Nos voisins, une gang de New Yorkais un brin douchebag qui se connaît depuis la maternelle, vapotaient du weed à qui mieux mieux, l’air de vivre les retrouvailles de leur vie.

S’ils préféraient la présence de Gab à la mienne, ils n’ont fait aucune discrimination en nous tendant des estifis de gros jujubes au pot qui ont kické in quelque part pendant Rockin’in the Free World de Neil Young.

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Après deux heures de move grunge devant nos bancs de velours, Eddie et ses chums ont fini ça en beauté avec une interprétation de Purple Rain (Prince) qui me traîne encore dans la tête pendant que j’écris ces lignes.

Après le show, on s’est garroché à l’arrière du théâtre à l’instar d’une poignée d’irréductibles pour attendre la sortie des artistes. Pour une fois que je ne suis pas tout seul à rêver de rencontrer Eddie Vedder avant de mourir, je n’allais certainement pas bouder mon plaisir.

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La chance ne sourit pas seulement aux audacieux, mais aussi aux masochistes. Il a fallu patienter deux longues heures et endurer un fan texan super gigon qui pétait de la broue avec son CV pearljamesque avant de voir le vieux Eddie sortir, flanqué de ses gardes du corps.

« Eddie! Eddie! », criaient les purs et durs gelés comme des crottes, derrière les barricades métalliques installées pour maintenir une distanciation physique entre nous et notre guide spirituel.

J’ai filmé la scène, plus ému qu’à ces moments où ma blonde a accouché de nos enfants. Je pense avoir eu un eye contact avec Eddie en plus, qui distribuait des beaux bye bye d’une main en serrant de l’autre une bouteille de vin qu’il avait fourgué du théâtre en douce.

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Environ trente secondes plus tard, Eddie avait disparu dans un gros SUV au bout de la rue.

Trente secondes de fun pour deux heures d’effort, ça me rappelle ma première relation sexuelle, ar ar ar!

Sur notre petit nuage, Gab et moi sommes allés décanter tout ça dans un bar ou deux, où les rhum and coke coûtaient cinq fois moins cher qu’au Beacon.

C’est ben beau tout ça, mais il fallait maintenant revenir. Pour vous récompenser de vous être rendu jusqu’ici dans votre lecture, je vais faire ça court.

On s’est levés (super) scrap, on a déjeuné au resto (bondé, sans exigence de passeport vaccinal) et on a repris la route en sens inverse.

Piètre copilote, Gab nous a égarés dans des petits villages louches autour de New York, où doivent certainement habiter des proches éloignés de la famille Hewitt du film Massacre à la tronçonneuse.

On a retrouvé la 87 nord, où nous avons enfin traversé les douanes vers 19 h, après avoir fourni toutes les informations requises (durée du séjour, plan de quarantaine au cas où, preuve de passeport, test PCR, etc.) via la plateforme ArriveCAN.

À la frontière, le douanier s’intéressait moins à nos documents qu’à notre fanatisme. « Vous aimez ça en maudit, vous autres, Eddie Vedder », a-t-il conclu, perspicace.

Avant de nous laisser partir, il m’a remis une trousse contenant un test rapide, puisque son ordinateur m’a choisi pour un examen aléatoire à effectuer virtuellement avec une infirmière dans les 24 h suivant mon retour. Chouette. Gab s’en est sauvé grâce à son meilleur karma.

Je voyais ça compliqué, mais le test est ben facile à faire finalement. Linda, l’infirmière sur Zoom, m’a guidé à travers chaque étape, à commencer par l’introduction du Q-tips dans chaque narine durant 15 secondes. « You stay safe », m’a gentiment dit Linda avant de mettre fin à la consultation.

Un truck Purolator devrait venir chercher mon test scellé dans une enveloppe demain. Le gouvernement sauve des vies, mais pas l’environnement.

Et me voilà, dimanche soir, déjà nostalgique de cette virée surréaliste, cet aller-retour à un endroit où la pandémie n’existe pas vraiment.

Une puff de retour à la normale pour Gab, pour moi et pour Eddie, à qui je laisse le mot de la fin sur une note d’espoir.

No matter how cold the winter,

there’s a springtime ahead