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Nous sommes une famille montréalaise plutôt sympathique, ayant décidé de tout sacrer là pour faire le tour de l’Asie durant environ sept mois. Nous ne sommes pas des hippies (sauf ma blonde qui porte encore des bijoux en bois), ni des gens riches, nous avons seulement décrété que ce projet supplantait en importance tous les autres. Voici le récit de notre voyage.
« Free vodka and Whisky from 7 to 9 PM », mentionnait l’annonce vantant les mérites du Nana backpackers hostel de Vang Vieng, une escale populaire entre Luang Prabang et Vientiane, la capitale du Laos.
« Amazing party! », renchérissait-on en grosses lettres rouges sur l’image d’une horde de touristes festifs.
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Après trois mois à faire du social avec un obsessif-compulsif de Dragon Ball en sevrage de Fortnite, une inconditionnelle de Katy Perry qui m’obstine sur la véritable identité de la fée des dents (C’EST MOI CRISSE!) et une assez piètre joueuse de Scrabble, j’ai perçu comme des messages subliminaux les appels à la débauche du Nana backpackers hostel.
J’ai réservé les lits dans le dos de ma blonde, qui ne ressent pas l’urgence de revivre sa vingtaine. Pas étonnant, elle vient de la Rive-Sud, où les gens sont plus tranquilles, sauf à Saint-Jean-sur-Richelieu où tout le monde est en prison.
Nous sommes donc débarqués en famille au Nana, avec cette impression d’être le groupe Mes Aïeux à Osheaga.
Même Simone, notre arme secrète de cuteness avec son gras de bébé et sa dentition trouée comme les rues de Montréal, laissait de marbre les clients de la pension, encore trop jeunes pour s’émouvoir devant le miracle de la vie.
Tough crowd.
Le projet d’embarrer les enfants dans la chambre pour boire sur le bord de la piscine avec des milléniaux intoxiqués sur de la grosse musique techno sale me semblait l’idée du siècle.
Mais milieu hostile ou pas, rien n’allait m’empêcher de profiter du « Free vodka and Whisky from 7 to 9 PM ». Le projet d’embarrer les enfants dans la chambre pour boire sur le bord de la piscine avec des milléniaux intoxiqués sur de la grosse musique techno sale me semblait l’idée du siècle.
Et ce fut presque le cas.
Après avoir mis notre plan à exécution et enfilé avec une fougue polonaise l’alcool gratuit (fallait payer le Coke, c’était ça la crosse), ma blonde et moi avons ressassé, déjà nostalgiques, tous ces fabuleux moments vécus depuis la dernière fois que j’ai donné des nouvelles ici.
(NDLR : quelle habile manière de structurer ta chronique, bravo Hugo, nous t’aimons.) [VRAI NDLR : On t’aime et cette chronique est effectivement assez habilement structurée jusqu’ici – pour la suite on verra – ce n’est pas une raison pour faire des NDLR en notre nom. On s’en reparle.]
À commencer, évidemment, par les célébrations entourant Songkran, la fête nationale bouddhiste à laquelle nous avons pris part au nord de la Thaïlande. Ces gens sont rendus en l’an 2562, mais leurs voitures ne volent pas plus. Par contre, les rues de leur pays se transforment chaque année en champ de bataille de fusils à l’eau, particulièrement à Chiang Mai où nous étions tout à fait par hasard.
Presque tous les étals écoulaient des guns à l’eau pour l’occasion.
Comme tous les coups étaient permis, nous avons acheté un arsenal digne de celui de Arnold Schwarzenegger dans Commando. Sage précaution puisque du lever du soleil jusqu’à minuit, on pouvait tirer sur tout ce qui bougeait. L’eau symbolise le nettoyage des péchés et de la malchance accumulés durant l’année. Résultat : personne n’est à l’abri : motocyclistes, passagers de tuk tuk, jeunes, vieux, et, bien sûr, les touristes.
« Only water sir », m’adressait sournoisement l’un d’eux en voyant ma face de bœuf, après qu’il m’eut déversé l’équivalent du lac Champlain par derrière en maudit traitre. Les gens s’approvisionnaient avec l’eau du canal ceinturant la ville en plus, assurément l’objet liquide le plus pollué de la planète.
Mais bon, mieux vaut s’accrocher un sourire dans la face le temps que ça dure, même si après deux jours, l’irrépressible fantasme de remplacer l’eau par de l’acide commençait à germer.
Only water sir.
À Chiang Mai, j’ai quand même réussi à me faufiler sans me faire mouiller dans un centre de massothérapie opéré par des détenues, une « attraction » courue au nord de la Thaïlande. Après m’être fait massé par une personne aveugle, j’y voyais aussi une suite logique.
En gros, les masseuses sont des femmes purgeant de courtes peines de prison, pour avoir consommé de la drogue dans la plupart des cas. « Des amphétamines surtout », a précisé une des gardiennes de prison qui faisait matin et soir la navette entre la prison et le centre aménagé dans une vieille maison en bois au cœur du quartier touristique. Les détenues perçoivent une partie des recettes et des pourboires, m’assurait la gardienne, ajoutant que les familles passaient régulièrement chercher les montants ramassés par leur proche incarcérée.
Mon massage s’était déroulé dans une immense pièce sombre où s’activaient simultanément une quinzaine de détenues.
J’ai jamais su pourquoi la mienne s’était retrouvée en taule, mais j’ajouterais « voie de fait avec lésion » à son dossier tellement elle m’a broyé le corps.
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De l’autre côté de la piscine, une jeune fille saoule était accroupie, sans se douter que sa craque de fesse était plus visible que le Cosmodôme sur l’autoroute 15.
Au bar de l’auberge, le free vodka and whisky venait de finir, alors on est tombés dans la beerlao, le houblon local. Le « amazing party » était surtout concentré autour de la table de billard, où un touriste s’improvisait DJ en imposant des beat de marde. De l’autre côté de la piscine, une jeune fille saoule était accroupie, sans se douter que sa craque de fesse était plus visible que le Cosmodôme sur l’autoroute 15. Derrière nous, un trio de filles se trouvaient bonnes d’être véganes.
La bière rentrait bien. Surprenant, puisqu’on se remettait à peine d’une soirée en compagnie de Laura et Sebastian, un couple d’Allemands rencontré sur le slow boat qui nous a transportés de la frontière thaïlandaise à Luang Prabang, au nord du Laos.
Un trajet de deux jours dans lequel on avait descendu tranquillement le Mekong à bord de vieilles péniches, dans un paysage fait de montagnes, de rizières et de couchers de soleil.
Pour compléter le tableau, Victor s’était fait ami avec un moine qui l’appelait sans arrêt Justin Bieber.
La soirée avec nos amis allemands s’était terminée sur notre balcon d’hôtel, avec une douzaine de beerlao et notre voisin de chambre Jake, un jeune Britannique qui commençait ses phrases par « I’m not racist but… »
Il avait essayé de me refiler son weed avant de prendre l’avion le lendemain, mais j’ai refusé. Je tenais à le dire publiquement.
J’ai accepté ses deux Valium par contre.
Le lendemain, sur la route bordée de ravins menant au Nana Hostel, notre minivan a été pris dans une soudaine congestion. Raison : l’explosion d’une bombe, que les autorités ont délibérément fait sauter. Il faut savoir qu’environ 300 personnes meurent chaque année au Laos en se frottant aux bombes américaines larguées il y a 50 ans durant la guerre du Vietnam. Le Laos détient d’ailleurs la triste palme du pays le plus bombardé au monde. De 1964 à 1973, l’aviation américaine aurait vomi plus de 270 millions d’explosifs dans cette région du monde, dont un tiers n’aurait toujours pas explosé. Leur idée était de détruire les routes pour couper l’approvisionnement vers le Vietnam.
Seul point positif : le risque de sauter sur une bombe a plombé plusieurs projets de développement, ce qui explique pourquoi le pays est préservé à ce point dans son cadre naturel.
Minuit. Après avoir refait le monde plusieurs fois, Martine avait tiré sa révérence. Vite un plan B. J’ai spotté un gars seul sur le bord de la piscine qui n’avait pas l’âge d’être mon fils. Il l’ignorait, mais j’allais bientôt devenir son meilleur ami.
J’ai commandé deux bières avant d’aller me présenter à mon nouveau best. Il était saoul mort et tenait un discours incohérent. «I lost my wife», répétait en marmonnant ce gaillard au manbun défait, un Floridien prénommé Ben.
Je lui ai tendu une bière avant de le forcer à me suivre dans un bar de la rue principale, où la fête s’était apparemment transportée.
Ben titubait pieds nus et je devais le rediriger sur le trottoir lorsqu’il déviait vers la rue à peine éclairée. « Are you real? », m’a-t-il demandé plusieurs fois, avant de revenir la disparition de sa femme. « I lost heeeerrr man!?! », beuglait Ben.
Je n’étais même pas encore prêt à considérer la dimension métaphorique de la disparition de sa femme lorsqu’une voix stridente a déchiré la nuit dès notre arrivée au bar.
«BEEENNNN!»
Une blondinette a alors fendu la foule pour se garrocher violemment dans les bras de Ben, provoquant leur chute par terre. « Its my wife! Its my wife! », répétait Ben en me pointant la fille équitablement ivre.
Il ne bluffait donc pas. J’étais un héros. Ben m’a honoré d’une longue accolade plus ou moins virile.
Mais comme lui et sa femme n’arrêtaient pas de s’embrasser en public, avec la langue même, j’ai décidé de les laisser. De toute façon, ma mission était remplie et Ben allait clairement oublier mon existence en se réveillant.
Je me suis donc retrouvé au bar avec Brad et Jason, un Canadien et un Américain qui m’ont accepté avec mon frenchie accent.
Le premier vit au Vietnam depuis deux ans après avoir fait fortune avec les bitcoins. Le second trouvait sa vie plate à Chicago avant de prendre un aller simple vers Bangkok.
On a jasé de la vie, de l’utilisation de Tinder en voyage et de films, surtout. J’ai pu maintenir mon point à l’effet que la franchise Alien constitue un des plus beaux trips de réalisateurs de l’histoire du cinéma (Scott, Cameron, Fincher, Jeunet), que Die Hard est un film de Noël et que les Ewoks ont ruiné la trilogie originale de Star Wars.
Il n’y avait plus aucun son dans l’enceinte du Nana hostel. Au-dessus de nos têtes, une lune de sang gigantesque illuminait l’eau de la piscine. « No sex in the dorms », disait un écriteau que j’avais pas vu près des escaliers.
Je suis rentré avec Jason en titubant à mon tour, après avoir humilié le barman au bras de fer. Il n’y avait plus aucun son dans l’enceinte du Nana hostel. Au-dessus de nos têtes, une lune de sang gigantesque illuminait l’eau de la piscine. « No sex in the dorms », disait un écriteau que j’avais pas vu près des escaliers. J’ai ri, avant de grimper de peine et de misère les quatre étages jusqu’à ma chambre, où ma famille dormait à poings fermés.
J’ai fumé une dernière clope devant la porte avant d’aller les rejoindre. Vous dire comment j’ai bien dormi.
Et sans Valium.
Si jamais tu te demandes ce qui s’est passé avec les duos Tricot Machine, Dobacaracol et Alfa Rococo, et bien tu ne risques pas de trouver tes réponses sur notre super blogue familial ici.