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Retour des karaokés : c’est Noël en avance pour les adeptes
C’était Noël en avance le 15 novembre pour les amateurs et amatrices de karaoké, avec le grand retour de ces soirées consacrées au pouvoir fédérateur du chant où il est convenu de s’époumoner sur Toxic de Britney ou Ailleurs de Marjo, après plus d’un an d’interdiction.
Malgré une fin de semaine ressemblant au biopic The Dirt sur Mötley Crüe, je n’allais certainement pas bouder mon plaisir et risquer de devenir cette personne qui prétextait une excuse bidon pour choker Nirvana aux Foufs.
C’est dans ce contexte que j’ai mis le cap vers la mythique taverne Le Normandie pour célébrer dans la bière en fût et les effusions ces retrouvailles avec la chanson amateur.
Sur la banquette arrière de mon taxi, je suis partagé entre l’excitation et la fatigue, cuvant encore le vin d’un weekend qui a certainement réduit mon espérance de vie.
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Qu’à cela ne tienne, on ne vit qu’une fois : c’est donc en fredonnant Carpe Diem de Mc Solaar que je passe cueillir ma collègue adorée Arianne chez elle en taxi. Ma boss Barbara est en route de son bord pour nous rejoindre là-bas. Maude-Émilie vient de déclarer forfait sur Messenger, invoquant des défaites poches du genre : « C’est lundi esti… »
Franchement.
Ce soir, lundi IS THE NEW FRIDAY YO!
Pour me mettre dans le beat, j’ai bu du vin au souper de fête de ma blonde avant de partir. Oui, prenez le temps d’absorber cette phrase pour bien comprendre l’ampleur de ma passion (folie?) pour le karaoké.
En attendant Arianne devant sa porte, Barbara me texte qu’elle est en route avec un émoji de micro. Ça me recrinque aussitôt.
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Je suis chimiquement fait pour la fête, comme dirait l’autre.
Le Normandie est bien rempli de gens vaccinés full patch.
«Ce qui est particulier, c’est que le fait d’interdire le karaoké et d’en parler autant dans les médias a créé un engouement.»
Ne reste que quelques places bien spottées autour de la scène. Aucune trace de la légendaire Manon Vendette – alias madame Claquette – dans le booth du DJ, absente pour soigner un rhume, me dit-on.
Dommage, j’aurais bien aimé entendre sa version théâtrale du Parc Belmont. Au moins, on se console avec la pimpante et talentueuse Sabrina, qui chante mieux que nous tou.te.s réuni.e.s.
Le patron du bar, Pascal, papillonne dans son bar achalandé, l’air de bonne humeur. « Ce qui est particulier, c’est que le fait d’interdire le karaoké et d’en parler autant dans les médias a créé un engouement », analyse Pascal.
C’est vrai que la pandémie a mis le karaoké sur la map, et pas nécessairement pour les bonnes raisons. On n’a qu’à penser à la médiatisation autour de l’éclosion au bar Le Kirouac de Québec (fermé depuis), qui a entraîné la fermeture temporaire de tous les établissements à travers la province, après une accalmie estivale où ils avaient le droit d’opérer en respectant plusieurs mesures sanitaires.
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Mais si les places de karaoké risquent de pousser comme des bars à vin sur le Plateau à cause de la médiatisation de cette sous-culture (le front page du JDM aujourd’hui, quand même), les vrais savent, tranche Pascal, pas trop inquiet à l’idée de voir de la compétition apparaître.
La taverne Le Normandie est un haut lieu du karaoké depuis des années, sa réputation n’est plus à faire.
Des sortes de capotes à micro colorées ont été éparpillées sur les tables, à enfiler lorsque c’est notre tour.
Un monsieur brise la glace sur Ça ne va pas changer le monde de Joe Dassin, debout sur scène derrière un panneau de plexiglas. Des sortes de capotes à micro colorées ont été éparpillées sur les tables, à enfiler lorsque c’est notre tour. Chaque chanteur ou chanteuse doit aussi nettoyer avec une lingette humide le micro avant de quitter la scène.
« On s’est aimés, n’en parlons plus, et la vie continue », fredonne le monsieur au bout de son tour de chant, avant de s’abandonner aux lalalala d’usage. Les applaudissements sont nourris, il y a de l’ambiance.
Assez pour pardonner une version bizarre de Butterly de Crazy Town.
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Il est même pas 21 h, notre pichet de blonde descend à vive allure, surtout à cause d’Arianne qui boit comme la Pologne.
Barbara est pour sa part à l’eau pétillante, après s’être lancée un damné défi de 28 jours sans alcool.
Rien qui l’empêche de filmer compulsivement des stories pour le compte Instagram d’URBANIA, comme si elle était Denis Villeneuve dans un gros pit de sable.
« On a survécu!!! », lance spontanément notre voisine de table Camille, en référence à notre long sevrage collectif de karaoké devant public (j’ai survécu à la pandémie avec une machine qui fait de la lumière dans mon sous-sol).
Camille mise sur Je sais pas de Céline pour marquer son grand retour. Une version bien sentie, avouons-le, au point que j’aille recueillir ses commentaires à chaud à sa sortie de scène sous les applaudissements. « C’est ma passion, je m’ennuyais de chaque heure de ma vie sans karaoké. Quand je vais au théâtre, j’aime ça une fois sur dix, mais ici, j’aime chaque seconde », louange Camille, venue justement avec sa gang de théâtre.
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Chanter lui manquait, mais aussi regarder les autres le faire et profiter du caractère unique à saveur nostalgique de ces soirées, où des quidams mettent leurs tripes sur la table l’instant d’une toune. « Je m’en fous du calibre, je viens voir les gens qui chantent avec leur coeur, c’est magnifique! », résume Camille pendant qu’une interprétation de Milord de Piaf en arrière-plan lui donne raison. « Un mélange de performance et de “on ne se prend pas trop au sérieux” », analyse pour sa part Barbara, en train d’immortaliser tout ce qui bouge, incluant moi en train d’écrire le titre de ma première chanson sur le petit papier.
«C’est ma passion, je m’ennuyais de chaque heure de ma vie sans karaoké.»
Il est encore tôt, mais le party est pogné dans la place. Les gens chantent d’une seule voix, tapent des mains. Le staff butine d’une table à l’autre avec un sourire estampé au visage. Le même que celui dans la face des client.e.s. Gros lundi.
Une fringante équipe de Rad se promène dans la place pour prendre des photos et récolter des témoignages. Une caméra de télévision fera la même chose plus tard, en plus d’un photographe du Devoir.
J’ai l’impression de vivre une page d’histoire.
J’imagine la scène sur mon lit de mort, en tenant la main de mes petits-enfants avant le grand voyage.
« Oh! Il va dire quelque chose, une dernière parole, vas-y papi!
– J’é… ét… j’étais là au Normandie le 15 novembre 2021… argh… »
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Une puissante livraison de Casser la voix me ramène dans le présentiel.
Je n’ai toujours pas statué sur l’éthique à adopter entourant l’interprétation des artistes cancellées, alors je chante à tue-tête comme s’il n’y avait pas de lendemain.
« Et les chansons qui viennent
Comme des cris dans la gorge
Envie d’crier sa haine
Comme un chat qu’on égorge »
Déjà 22 h, le temps file. Je sors fumer ma première clope sur Stairway to Heaven, un choix audacieux de presque huit minutes.
J’ai donné mon petit papier de toune à Sabrina il y a plus d’une heure, mais il y a du monde. C’est au tour de la grosse gang de la table du fond, proche des machines de loterie vidéo.
Ariane ne sait pas encore si elle va chanter. Barbara ne restera pas trop tard et ne nous fera pas profiter de sa pimpante version de The Love Boat.
Je me réconcilie avec l’idée d’avoir douté du Led Zep en écoutant le dude s’égosiller sur une vibrante finale.
« And as we wind on down the road
Our shadows taller than our soul »
Un deuxième pichet arrive à notre table, avec une tournée de Jameson. Le mois sans alcool de Barb prend momentanément le bord. À sa défense, ça prend un détachement de Jedi pour résister à l’envie de trinquer au moment où quelqu’un entonne avec beaucoup de conviction le classique Put Your Head On My Shoulder de Paul Anka.
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Le feu pogne officiellement dans la place sur Show Me the Meaning of Being Lonely des Backstreet Boys.
Arianne se lève pour esquisser ses premiers pas de danse, masquée comme il se doit. C’est weird sur le coup, mais la musique prend vite le dessus.
« Show me the meaning of being lonely
Is this the feeling I need to walk with »
Je me gâte avec You Got It de Roy Orbison, une valeur sûre. Bizarrement, ça me rend nerveux de chanter devant autant de monde, comme si j’étais socialement rouillé.
Les gens capotent et beuglent à tue-tête. Je trahis mon âge : je préférais la toune d’Anka.
Barbara vient de partir, nous rappelant à la dure qui est l’adulte responsable parmi nous.
Je fume ma deuxième clope sur la terrasse quand mon nom résonne dans le micro. Je me gâte avec You Got It de Roy Orbison, une valeur sûre. Je quitte la scène sous les applaudissements, bien fier. Bizarrement, ça me rend nerveux de chanter devant autant de monde, comme si j’étais socialement rouillé. Ça va revenir avec le temps, I guess.
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« Est-ce que vous avez du plaisir au Normandiiiiee!! », enchaine Sabrina sous un tonnerre d’applaudissements et de jets de fumée.
Galvanisée par l’ambiance et notre troisième pichet entamé, Arianne propose de faire Sous le vent, notre classique.
Ça ne s’invente pas, un duo monte presque aussitôt sur scène pour interpréter… Sous le vent.
Arianne déchire son coupon, avant de se rabattre sur le classique Don’t Stop Me Now, qu’elle maîtrise presque aussi bien que feu Freddie Mercury.
Je commence à être pas pire paqueté quand je m’aventure sur scène pour chanter Unchained Melody de The Righteous Brothers, avec la fougue de Patrick Swayze devant une montagne de glaise.
« I need your love
I need your love
God speed your love to meeeeeeeee »
Le temps file, presque 2 h déjà. Le chum d’Arianne débarque pendant qu’on danse sur Entre Matane et Baton rouge.
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Le reste de la soirée est un brin floue. Camille qui me fait vivre des émotions fortes sur Tu ne sauras jamais des BB, mais surtout ce gars qui a volé le show avec une version de It’s All Coming Back to Me Now de niveau « poils qui redresse sur les avant-bras ». Au point d’aller lui jaser à sa table après sa toune pour cet article. Seul hic : j’ai oublié l’entièreté de cette conversation. Me semble qu’il était content du retour du karaoké.
On quitte enfin après une ultime performance sur Belle de Notre-Dame de Paris (je fais un solide Garou).
Je me suis levé cinq heures plus tard avec une gueule de bois assez violente et – étrangement – la toune Butterly de Crazy Town dans la tête.
J’ai déjà hâte d’y retourner. Peut-être au Tzina vendredi, pour changer. Un secret bien gardé, alors n’en parlez pas trop svp.
Mais de grâce, le gouvernement, ne nous refais plus jamais ce coup-là.