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Qui sont vraiment les Ostrogoths?

Méritaient-ils vraiment la réputation de sans-desseins de l’Antiquité?

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Cela faisait longtemps qu’un terme n’a pas autant marqué notre imaginaire collectif que le fameux « Ostrogoth » tout droit sorti de la bouche coquette du premier ministre canadien, soudainement pris par une verve digne du capitaine Haddock en décrivant les agissements des fêtard.e.s de Tulum. Bien que pendant un moment, la nation québécoise ait été unie par le fait de googler le même mot tout le monde en même temps, pourquoi en rester là? N’est-ce pas curieux que le nom d’un peuple germanique de l’Antiquité soit maintenant synonyme de manque de savoir-vivre? Un barbare se serait-il tartiné le nez de vaseline à la première occasion? N’en soyez pas si sûr.e.

Je suis allée chercher l’expertise de Maxime Laprise, doctorant et chargé de cours au département d’histoire de l’Université de Montréal pour injecter un peu de nuances dans nos idées reçues. Encore une fois, lorsqu’il est question d’histoire ancienne, on se rend compte qu’on prend ce que quelques bros du 18e siècle ont inventé dans leur salon un peu trop pour du cash.

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Des origines encore débattues

« Qui sont les Ostrogoths? C’est une question complexe », répond d’emblée Maxime Laprise. Si vous vous cherchez un nouveau jeu à boire, discutez avec un.e historien.ne et chaque fois que vous entendez « c’est complexe » ou « il y a débat », buvez une gorgée. Vous allez apprendre beaucoup, mais aussi boire beaucoup.

Mais, c’est vrai que c’est complexe lorsqu’on parle des Ostrogoths, un peuple qui n’a laissé que très peu de textes. « Ce qu’on connaît des Ostrogoths est majoritairement informé par les écrits romains à leur sujet. C’est le point de vue biaisé des conquérants », rappelle Maxime Laprise.

Les Ostrogoths sont donc, pour faire simple, un peuple germanique qui appartient à la grande unité culturelle des Goths.

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Les Ostrogoths sont donc, pour faire simple, un peuple germanique qui appartient à la grande unité culturelle des Goths. Leur origine exacte est sujette à débat dans la communauté historique, mais on sait qu’on les retrouvait en Ukraine au 2e siècle et qu’au 3e siècle, iels migrent massivement vers l’Ouest et franchissent le Danube, entrant en contact avec l’Empire romain.

Leurs rapports avec les Romains sont changeants. Des conflits armés éclatent, mais ils deviendront aussi alliés de l’Empire et seront massivement recrutés dans son armée. On entend pas mal plus parler d’eux autour de l’an 498, lorsque leur chef de l’époque, Théodoric le Grand, forme une alliance avec Zénon, l’empereur de Byzance pour reprendre ce qui deviendra l’Italie.

Une fois cela fait, Théodoric décide de ne pas redonner l’Italie à l’empereur et s’installe, créant ainsi le royaume des Ostrogoths en 493. Après la mort Théodoric, le royaume tombera dans l’instabilité et cessera d’exister en 526.

Ce court résumé vous a-t-il déçu.e? Vous attendiez-vous à des récits épiques de batailles sanglantes, de rituels païens et d’anecdotes paillardes? Finalement, la vie de barbare est pas mal moins sex, drugs and rock ‘n’ roll qu’on pourrait le croire.

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« Chacun appelle “barbarie” ce qui n’est pas de son usage »

Les Goths font partie de ce qu’on appelle les « peuples barbares ». Attention, cependant, le terme désigne à l’époque tous les peuples qui ne font pas partie des citoyens de l’Empire romain.

On attribue l’origine du mot aux Grecs, qui l’utilisaient pour les gens qui ne faisaient pas partie de leur culture. Le mot « barbare » viendrait de l’imitation un peu moqueuse des langues des autres peuples que les Grecs, pas super ouverts d’esprits pour ce coup-là, considéraient comme du charabia.

À l’époque des Romains, ce n’était pas à proprement parler un terme péjoratif. Tout barbare pouvait très bien être intégré à l’empire, explique Maxime Laprise : « Dès 212, les édits de Caracalla déclarent que tout habitant de l’empire est citoyen romain. Le concept de barbarie n’avait pas une dimension ethnique du tout. »

Il précise également que les barbares n’étaient pas considérés comme un bloc uniforme qui menaçait la civilisation. « Certains barbares étaient tenus en grande estime par les Romains, comme les Perses, explique-t-il. À l’autre bout du spectre, il y a les Gaulois, que les Romains méprisaient et considéraient presque comme des animaux. » Les Ostrogoths, quant à eux, avaient la réputation d’être de bons guerriers et de bien s’intégrer aux us et coutumes romains. Tout le contraire d’influenceurs sur le party dans le Sud, bref.

«Certains barbares étaient tenus en grande estime par les Romains, comme les Perses.»

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À partir de quel moment le barbare devient-il un dangereux sans-dessein dans l’imaginaire collectif de l’Occident? Je vais vous donner un truc, pour n’importe quel mythe un peu tiré par les cheveux à propos de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge, il faut se tourner vers la Renaissance et le siècle des Lumières.

« Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’au début de l’époque moderne, les penseurs rejettent en bloc tout ce qu’ils associent à l’ancien ordre des choses, explique Maxime Laprise. On souhaite un retour à l’idée fantasmée qu’on se fait de l’Antiquité. C’est seulement là qu’on crée une nette distinction entre la civilisation et la barbarie. »

C’est à ce moment qu’émerge la figure des barbares sauvages et sans culture qui auraient causé la chute de la grande civilisation romaine. Les philosophes de l’époque considèrent les peuples barbares comme les fondateurs de ce qui deviendra les royaumes féodaux du Moyen Âge, et le Moyen Âge correspond à tout ce qui leur donne de l’urticaire : le dogme religieux, la monarchie et le fait que le paysan moyen ne puisse pas citer Platon.

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Cette dichotomie entre la civilisation et la barbarie va évidemment beaucoup intéresser les puissances européennes quand il sera temps de justifier le fait de coloniser le reste de la planète. Comme les Romains d’antan, on se targue de vouloir « civiliser » les « barbares » en les faisant entrer de force dans un empire auquel iels n’ont rien demandé.

Le mythe persistant des « invasions barbares »

On se rend compte que l’histoire, ce n’est pas très différent du cinéma. Ça fait des années et des années qu’on sort des remakes. Encore aujourd’hui, notre vision romancée des barbares ressort, oui dans les mots de Justin Trudeau, mais aussi, moins rigolo cette fois, dans les discours de l’extrême droite.

Déjà au 3e siècle, on voit apparaître une propagande anti-barbare dans l’Empire romain, raconte Maxime Laprise : « L’armée romaine va finir par être majoritairement composée de barbares. Certains Romains se mettront donc à craindre la “barbarisation” de leur société. On annonce que les barbares vont venir remplacer les Romains et détruire leur culture. » Ça vous dit quelque chose?

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En effet, le concept des « Invasions barbares » va beaucoup impressionner les mouvements de droite, qui y voient l’exact reflet des « maudits immigrants » qui vont causer la perte de l’Occident en volant systématiquement toutes les jobs tout en profitant du chômage, parce qu’on peut faire les deux en même temps, semble-t-il.

Sauf que les « invasions barbares » n’ont rien d’une invasion.

Sauf que les « invasions barbares » n’ont rien d’une invasion. « On parlerait d’invasion si c’était une attaque militaire coordonnée. Dans les faits, il s’agissait de déplacements de population de manière graduelle sur plusieurs siècles », rappelle Maxime Laprise. Nos fameux Ostrogoths se sont déplacés en masse vers l’Ouest pour échapper à l’invasion (la vraie) des Huns, « un peu comme les réfugiés de la Syrie de notre époque », évoque le doctorant.

Il précise également que c’est le déclin de l’Empire romain qui aurait permis ces déplacements de populations, contrairement à la croyance voulant que ce soient les barbares qui auraient mis fin à leur civilisation.

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Que faut-il retenir de nos ami.e.s les Ostrogoths? D’abord, que l’histoire, c’est toujours plus compliqué qu’on pense, mais aussi qu’il y a souvent une volonté politique qui se cache derrière tout ce qui est tout noir ou tout blanc. C’est une logique qu’on peut appliquer aux nouvelles actuelles, mais je vous laisse faire l’exercice.