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Quelques notions pour comprendre votre ami obsédé par les jeux de société
On a tous au moins un ami comme ça. Celui qui arrive à chaque soirée avec un nouveau jeu de société dans les bras, qui organise des potlucks de jeux chez lui et dont les yeux s’animent d’une lueur inquiétante lorsqu’il est question de la sortie imminente d’une nouvelle extension de Loups-Garous.
L’amour pour les jeux de société est devenu complètement mainstream.
Tel un virus dans Pandémie, la passion pour les jeux de société semble s’être répandue à une vitesse folle dans les dernières années. Les deux pubs ludiques Randolph sont fréquemment pleins (les proprios veulent d’ailleurs ouvrir une succursale sur la Rive-Nord et une sur la Rive-Sud), des fins de semaine de jeux sont organisées un peu partout à travers la province et L’osti d’jeu a été dans le top des idées-cadeaux de tout le monde à Noël. Bref, oublions l’image de la gang de geeks qui se cachent dans un sous-sol pour jouer: l’amour pour les jeux de société est devenu complètement mainstream.
Au fait, c’est un bon moment pour briser une fois pour toutes un mythe: c’est normal de ne pas aimer Monopoly, parce que ce n’est pas un bon jeu. Après une demi-heure de suspense au début, on passe les 3 heures suivantes à regarder l’écart se creuser de plus en plus jusqu’à ce que le vainqueur finisse par triompher en écrasant tout le monde, et les parties se finissent dans les pleurs ou l’amertume, selon l’âge des participants.
Réflexion sur la richesse et les iniquités, peut-être. Jeu intéressant, pas vraiment.
Même si les illustrations = <3
1. Les jeux de société, c’est de l’art
On disait il y a quelques semaines qu’on oublie parfois que les jeux vidéos sont des oeuvres d’art, et c’est aussi vrai pour les jeux de société. Les amateurs sont au courant que ce sont des produits culturels comme un livre ou un film, et certains ont même des auteurs de jeu préféré.
«Ils ont une intention lorsqu’il créent un jeu, il veulent transmettre quelque chose au public avec celui-ci.»
Des auteurs? Eh oui! L’Américain Alex Randolph est d’ailleurs considéré par plusieurs comme le père des auteurs de jeux de société, puisqu’il est l’un des premiers à s’être qualifié de professionnel dans le domaine. «Ce ne sont pas des patenteux, des inventeurs ou des designers; ce sont des auteurs. Ils ont une intention lorsqu’il créent un jeu, il veulent transmettre quelque chose au public avec celui-ci», explique Joël Gagnon, cofondateur de la compagnie Randolph (on n’a pas trop besoin de vous expliquer l’origine du nom).
Les jeux d’Alex Randolph pognaient beaucoup en Allemagne vu qu’ils étaient édités par Ravensburger, et il a donc influencé toute une génération de jeunes auteurs qui ont consolidé «l’école allemande» des jeux de société, dont le plus célèbre exemple est le fameux Catane de Klaus Teuber (1995). «C’est un jeu qui est venu cristalliser les nouvelles règles de design de jeu: la partie est différente chaque fois qu’on joue, tout le monde reste dans le jeu jusqu’à la fin, ce n’est pas trop long et le hasard n’occupe pas trop de place», résume Joël Gagnon.
Les Français font plusieurs jeux «de party», où on doit par exemple faire deviner un mot à son partenaire de jeu.
Les Allemands ont inspiré toute la nouvelle vague de jeux de société, mais on observe des variations géographiques: aux États-Unis, on fait plus de jeux basés sur une histoire spectaculaire (par exemple tuer des zombies), qui contiennent beaucoup de beaux éléments graphiques, comme des petites figurines et un plateau de jeu élaboré. Les productions allemandes sont moins esthétiques, mais leur mécanique de jeu est généralement plus élaborée. Les Français font plusieurs jeux «de party», où on doit par exemple faire deviner un mot à son partenaire de jeu. Les Japonais se spécialisent dans les jeux minimalistes, avec des cartes, qui entrent dans une toute petite boîte.
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Ça fait environ une trentaine d’années qu’il y a un virage dans le design jeux, une dizaine d’années que le public le comprend et environ cinq ans que c’est mainstream, estime Joël Gagnon.
2. Les fins de semaine intensives: moins cher qu’aller à Cayo Coco
Le comédien Jean-François Provençal (Les Appendices) fait partie des gens qui aiment assez jouer pour participer à des événements comme Les Jeux au Boute (JAB), soit un séjour de cinq jours dans Lanaudière où des adultes se réunissent pour jouer à des jeux de société non-stop. Les repas et l’hébergement sont inclus, et tout le monde amène ses jeux: «c’est comme un resort de jeux de société», dit celui qui compare les jeux de société à une drogue.
«Quand j’ai compris qu’il existait tout un monde à découvrir, je me suis mis à vouloir tout connaître. Je m’intéresse beaucoup aux mécaniques de jeu (enchères, trahisons, identités cachées)… une partie, c’est un peu comme un scénario de film, les moments de tension sont pensés. Il y a une histoire dans chaque jeu.»
Tout le monde pense que c’est juste des gros nerds qui puent, mais c’est pas vrai.
Et les événements spéciaux, c’est le bon endroit pour jouer une game de Loup-Garous à 30 ou pour essayer ce jeu dont une partie dure 6h sans t’aliéner ton entourage au passage. En plus, Jean-François Provençal le confirme: la crowd est diversifiée. «Tout le monde pense que c’est juste des gros nerds qui puent, mais c’est pas vrai. Au JAB cette année, il y avait des pompiers full en shape qui mangeaient leur yogourt protéiné en jouant aux jeux… C’est des gens ouverts, intelligents, et il y avait environ 40% de filles!»
Ses suggestions de jeux? En rafale: Viticulture, The Resistance, Mafia de Cuba, Two Rooms and a Boom. Et les jeux de son auteur préféré, Stefan Feld.
3. Toutes les raisons sont bonnes pour jouer
Avant d’ouvrir le premier pub Randolph, Joël Gagnon organisait des soirées de jeu dans un café à Montréal. «On remplissait la place à chaque fois», se souvient-il. Il y a rencontré ceux qui allaient devenir ses associés, malgré les recommandations de certains rabat-joie peu clairvoyants. «Il y a 10 ans, quand j’achetais des jeux pour ma carrière, les gens me disaient: c’est fini les jeux de société.»
Vraisemblablement ils avaient tort: vous le remarquez la prochaine fois que vous irez dans un magasin du genre Archambault ou Renaud-Bray: la section qui a tendance à grossir, c’est celle des jeux de société – entre autres parce que c’est l’un des rares produits culturels qui ne devient pas numérique.
Dans 20 ans, je n’aurai pas besoin d’une update quand je vais ouvrir ma boîte de jeu!
«Il y a tellement de raisons pour jouer. Découvrir un univers, vivre du suspense, stimuler l’interaction entre les gens, se challenger, passer le temps sans avoir besoin d’artifices compliqués (on peut vraiment avoir du fun avec un paquet de cartes!)… et il n’y a pas d’enjeux de compatibilité: dans 20 ans, je n’aurai pas besoin d’une update quand je vais ouvrir ma boîte!» s’exclame avec enthousiasme Joël Gagnon.
Et si on veut ajouter une raison, pourquoi pas L’AMOUR?
«Au bar on a énormément de first dates. Les gens se disent: au pire, si la soirée est plate, au moins j’apprends à connaître un jeu! Moi personnellement, j’ai découvert ma blonde par les jeux. Ce n’est pas une personne qui parle beaucoup, et en jouant, je me suis rendu compte que cette fille était vraiment bright. Je connaissais bien le jeu, et elle faisait des moves qui étaient les bons. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose là!»
Mais attention, il faut choisir son jeu: j’ai jamais entendu parler de quelqu’un qui était tombé amoureux au Monopoly.
Pour lire un autre texte de Camille Dauphinais-Pelletier: «3 choses que vous ne saviez pas sur le parc La Fontaine».