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Que reste-t-il de nos années grunge?

Les années 90 sont peut-être loin derrière, mais leur esprit nous hante encore.

Par
Benoît Lelièvre
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Le 24 septembre 1991, la société changeait de visage. À cette date, le groupe rock américain Nirvana lançait Nevermind, un album qui non seulement allait rendre obsolète une décennie entière de musique en quelques semaines, mais qui allait provoquer une véritable révolution culturelle. Propulsé par le succès monstre Smells Like Teen Spirit, l’album allait vendre plus de 30 millions de copies et changer la façon de voir le monde d’innombrables adolescents à l’époque.

C’était nouveau, terrifiant et la chanson communiquait par sa structure et ses multiples explosions sonores une colère difficile à mettre en mots.

J’avais huit ans lorsque j’ai regardé le clip à MusiquePlus pour la première fois. Je m’en rappelle encore. C’était nouveau, terrifiant et la chanson communiquait par sa structure et ses multiples explosions sonores une colère difficile à mettre en mots. C’est à mon avis encore aujourd’hui une des chansons les mieux écrites que j’ai eu le plaisir d’entendre dans ma vie. Elle n’est pas complexe ou profonde au sens lyrique, mais elle communique un message fort et demeure toujours aussi agréable à entendre trente ans plus tard.

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Les années grunge habitent encore aujourd’hui ceux et celles qui les ont vécues. Comment est disparue la dernière grande révolution rock? Était-ce une vulgaire étincelle face à un raz-de-marée de capitalisme triomphant? Revenons en arrière pour mieux comprendre comment les idées du grunge ont survécu au temps et à la mort.

Au revoir le spray net, bonjour les chemises carreautées!

Même si la paternité du terme «génération X» appartient techniquement à l’auteur canadien Douglas Copeland, c’est vraiment Kurt Cobain qui a été le visage et le porte-parole. Il faut comprendre qu’à l’époque, la culture populaire baignait encore dans les coiffures sculpturales, les couleurs néon et les pantalons de cuir serrés. C’était non seulement un choc de voir trois gars pas super propres foutre le bordel dans un gym enfumé, mais c’était aussi terrifiant pour toute une génération de parents de voir que leurs enfants et ados trippaient royalement là-dessus.

C’était non seulement un choc de voir trois gars pas super propres foutre le bordel dans un gym enfumé, mais c’était aussi terrifiant pour des parents de voir que leurs enfants trippaient là-dessus.

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Nirvana et la scène grunge au sens large (mais surtout Nirvana) étaient la personnification même du rejet des valeurs du monde d’après-guerre: l’individualisme, le matérialisme, la quête du succès personnel et financier à tout prix, etc. Bref, le monde façonné par les années 80 triomphantes de Ronald Reagan et George Bush. Ces mêmes années 80 où les membres de la génération X se butèrent à un marché du travail saturé par les baby-boomers sans réel moyen d’accéder à la classe moyenne idyllique promise. Les X voulaient un monde plus juste, égalitaire et libéré de conventions sociales lourdes et étriquées et c’est par le grunge qu’ils ont fait connaître leurs revendications.

Kurt Cobain était en quelque sorte le grand-père des wokes de la génération Z. Il mettait souvent des robes en spectacle dans l’espoir d’antagoniser de potentiels homophobes dans la salle. Il a écrit à l’intérieur du livret de l’album Incesticide: «Si vous haïssez les homosexuels, les gens d’une autre couleur de peau que la vôtre ou les femmes, crissez-nous patience. N’achetez pas nos albums et ne venez pas nous voir en spectacle.» Cobain et les musiciens grunge voulaient parler des choses laides et difficiles qui faisaient partie de leur vie comme la dépendance, la pauvreté, la dépression.

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À l’époque où les balades bonbon comme More Than Words ou To Be With You étaient au top des palmarès, le grunge mettait de l’avant des idées dérangeantes et ils se sont fait entendre.

Kurt Cobain était en quelque sorte le grand-père des wokes de la génération Z.

Qu’on le veuille ou non, la musique grunge aura été une révolution. Comme le retrace très bien la série Dark Side of the Nineties, ses idées ce sont rapidement propagées au monde de la télévision à travers des émissions jeunesses comme Beverly Hills 90210, My So-Called Life, Party of Five et plus près de chez nous Watatatow. Des premières relations sexuelles aux problèmes de dépendance en passant par le suicide, les thèmes abordés aux heures de grande écoute sont devenus plus sombres, réalistes et confrontants.

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Propulsé par la musique grunge, le rejet des valeurs matérialiste et des conventions sociales obsolètes de la génération X a réussi à changer le monde avant de se faire rattraper par le virus du capitalisme, quelque part vers 1995. On est passés de Nirvana à Creed, des chemises carreautées aux t-shirts serrés et aux chaînes de portefeuilles, de la rage aux formules radiophoniques. Ce fut une mort rapide, mais douloureuse.

Heureusement, son fantôme nous hante toujours.

Le fantôme de Kurt Cobain

C’est le propre de chaque génération de vouloir changer le monde. Les baby-boomers se sont délestés de l’austérité de la génération d’avant-guerre avec une industrialisation avancée et la quête du confort via la classe moyenne. Les X ont voulu affirmer leur différence et faire éclater les modèles sociaux. Les millénariaux (dont je fais partie) ont voulu reprendre contrôle du système par la technologie, l’entrepreneuriat et la passion.

C’est le propre de chaque génération de vouloir changer le monde.

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C’est aussi le propre de chaque génération de croire que les changements sociaux dont ils sont responsables ont rendu le monde parfait. C’est la raison pour laquelle vous vous embrouillez constamment avec votre oncle Ghislain sur Facebook et c’est la raison pour laquelle personne ne sait trop quoi penser de la génération Z. Nos ados et jeunes adultes hyperconnectés et hyperanxieux qui rejettent non seulement les conventions sociales des générations précédentes, mais leur savoir acquis comme par exemple la notion de genre.

Ça ne vous rappelle pas quelqu’un ça?

Oui, les Z sont différents des X. Ils ne sont pas nés dans le même monde, n’ont pas souffert des mêmes pressions sociales et n’ont pas grandi avec la même musique. Ils sont quand même les enfants des X. Ils sont également définis par le rejet des normes et une rébellion qui s’exprime principalement par la musique. Qu’on parle de l’électro de Billie Eilish, de l’hyperpop de Charlie XCX ou du emo rap d’un Lil Peep, leur musique communique leur anxiété et leur besoin fondamental de changement, mais aussi leur rapport à la technologie beaucoup plus compliqué que le nôtre.

Chaque génération est une réponse à celle qui la précède. Bien que ce soit difficile de se regarder dans le miroir de la génération Z, c’est important d’écouter et de comprendre leur message.

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Chaque génération est une réponse à celle qui la précède. Bien que ce soit difficile de se regarder dans le miroir de la génération Z, c’est important d’écouter et de comprendre leur message. Parce qu’ils ont un regard critique sur le monde qu’on a bâti. L’internet, les réseaux sociaux, la pression d’avoir une présence en ligne et la pression du succès, ce sont tous là des concepts qui viennent de nous, les millénariaux. On est donc mal placés pour en comprendre les conséquences, mais elles sont bien réelles pour ceux qui n’ont pas choisi ce monde. Elles l’étaient pour Kurt Cobain en 1991 et elles le sont pour Billie Eilish et les autres en 2021.

Sans la popularité de Nevermind et du tournant culturel causé par la musique grunge, on n’aurait jamais connu cette forme de rébellion passive agressive, caractérisée par une manie et un désir de confronter des idées à première vue angoissantes et désagréables. Son influence est encore palpable aujourd’hui et le sera probablement encore pour des décennies à venir.

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Bon 30e, Nevermind! Merci d’avoir changé le monde et de continuer d’influencer les jeunes rebelles créatifs au-delà du temps, des modes et de la mort!