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À un peu plus de deux mois de la fin de l’année, 2020 n’a pas dit son dernier mot. Elle est d’ailleurs en bonne voie pour être élue Année la plus heavy de l’Histoire de l’humanité, ex aequo peut-être avec l’année 536 (identifiée comme la pire de tous les temps selon CNN ), où une éruption volcanique a causé une famine mondiale et où la peste bubonique a ravagé l’Empire romain.
Quand on se compare, on se console, comme on dit.
Mais la nouvelle décennie n’a pas amené que son lot de désastres. Des mouvements sociaux comme Black Lives Matter et des vagues de dénonciation d’inconduites sexuelles ont vu le jour, brassant de vieilles croyances désuètes pour tendre vers un monde meilleur.
«Ce n’est pas la longueur de leur jupe qui devrait décider de si les garçons sont aptes à écouter en classe.»
L’un des plus récents mouvements made in Québec est porté par de jeunes garçons du secondaire… en jupes. La semaine dernière, des élèves de plusieurs écoles de la Rive-Sud de Montréal ont décidé de porter des jupes pour dénoncer les doubles standards sexistes concernant le port d’uniforme. Leurs actions ont fait le tour des médias de la province et leur ont même trouvé écho de l’autre côté de l’Atlantique.
«La société traite les femmes comme si elles étaient responsables des actions que les autres portent sur elles alors que la réalité est bien différente. Ce n’est pas la longueur de leur jupe qui devrait décider de si les garçons sont aptes à écouter en classe», pouvait-on lire sous le post Instagram de Guillaume Déry, un jeune homme arborant fièrement un jupon carreauté avec d’autres comparses.
https://www.instagram.com/p/CF7leZChOcf/
Avec ce coup d’éclat 2.0, on peut se demander comment aborder la question des uniformes dans un contexte où les normes de la société sont constamment remises en question.
Pour en parler, on s’est entretenu avec Madeleine Goubau, étudiante au doctorat conjoint en communication de l’UQAM et détentrice d’une maîtrise en journalisme spécialisé en mode de la University of the Arts de Londres, qui s’intéresse à l’habillement comme outil de communication.
Ni blanc ni noir, les uniformes
«Il y a quand même une logique intéressante derrière le fait d’instaurer des uniformes dans un milieu scolaire, admet d’emblée Madeleine Goubau. Ça évite de discriminer les autres pour leur style vestimentaire ou leur capacité financière à s’acheter du linge à la mode qui vaut cher. Ça met tout le monde au même niveau, en quelque sorte.»
«Dans le contexte d’aujourd’hui, où les enjeux de genre sont au cœur des préoccupations des jeunes, ça ne tient plus la route de leur imposer ça.»
Le problème, selon elle, réside non pas dans le fait d’avoir un code vestimentaire uniformisé, mais plutôt dans le fait d’avoir des pièces de vêtements «très genrés» qui séparent les filles et les garçons en deux catégories distinctes. «Il y a quelques années, c’était quelque chose qui n’était pas du tout choquant. Mais dans le contexte d’aujourd’hui, où les enjeux de genre sont au cœur des préoccupations des jeunes, ça ne tient plus la route de leur imposer ça», soutient la journaliste.
Les statistiques semblent en effet venir appuyer ce que Madeleine Goubau avance. Selon un sondage du Pew Research Center, 6 répondants sur 10 de la génération Z (celle juste après les fameux millénariaux) aimeraient avoir d’autres options que «homme» ou «femme» sur les formulaires et lors de la création de profils virtuels sur le web. 35% affirment connaître des membres de leur entourage qui préfèrent être interpellés avec des pronoms non genrés.
«Est-ce qu’il faut abolir les uniformes? Pas nécessairement. Mais est-ce qu’il faut les repenser dans une perspective plus neutre? Absolument», affirme la journaliste.
L’arbre qui cache la forêt
Selon Madeleine Goubau, le phénomène de ce dernier mouvement porté par les jeunes découle d’un problème de société beaucoup plus grand. «Ça nous met au visage notre perception sexiste de la décence qu’on impose aux filles. C’est un problème profondément ancré et je ne crois pas qu’une direction d’école va vraiment changer les choses. Il faut collectivement en tant que société revoir ces standards.»
Elle cite en exemple le fait qu’on juge «inadmissible» le décolleté d’une élève ou la jupe en haut du genou. «À première vue, ça semble logique comme opinion. Mais quand on se penche vraiment sur ce réflexe de pensée là, on se rend compte qu’en fait, on trouve ça indécent parce que ça pourrait attirer le regard d’un garçon et susciter du désir. On rejette cette responsabilité sur la fille plutôt que sur les mécanismes sexistes qui régissent nos croyances et c’est ça le problème», explique-t-elle.
Si la question de l’habillement des filles en milieu scolaire ne date pas d’hier, Madeleine croit que le contexte social dans lequel le mouvement s’est ancré est favorable à son déploiement.
«C’est rendu normal et même trendy de prendre position sur des enjeux, de défendre une cause.»
«C’est rendu normal et même trendy de prendre position sur des enjeux, de défendre une cause. On le voit dans plusieurs milieux comme celui de la publicité, par exemple avec Gillette qui a changé son message pour être en phase avec un public plus axé sur les questions de genre. Donc d’avoir des modèles comme ça autour de nous, ça donne de l’audace et ça nous encourage à passer à l’action», lance la journaliste, qui ne remet pas en question le courage et les motivations de ces activistes en jupons pour autant.
Pour améliorer la situation dans les écoles, Madeleine Goubau conseille aux directions d’écouter un peu plus ce que les élèves ont à dire. «Peut-être qu’ils se rendraient compte que leurs demandes ne sont pas si exigeantes et inconcevables que ça et qu’elles portent un véritable message d’égalité et de justice.»
D’ici là, on peut se demander quand les règles vont seulement servir aux cours de géométrie et non à mesurer la longueur des jupes des élèves.