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Pow-wow de Pessamit : Un vent de changement

Renouer avec le passé pour mieux avancer.

Par
Jean Bourbeau
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En bordure de la 138, un quatre-roues progresse en sens inverse, soulevant un épais nuage de sable derrière lui. Deux adolescentes roulent sans casque, laissant leurs longs cheveux noirs flotter au gré de la vitesse. Après huit heures de route, me voici enfin dans le Nitassinan, le territoire innu.

Je règle ma radio sur la fréquence communautaire de Pessamit en parcourant ses rues que je découvre à l’occasion de son neuvième pow-wow. Un premier pour ma part. Trois jours de célébrations avec, en point d’orgue, une cérémonie de guérison.

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Le pow-wow est un rassemblement culturel où les peuples autochtones d’Amérique du Nord célèbrent leur héritage en participant à des danses, des chants et des rituels traditionnels. Cet événement, qui s’inscrit à l’intérieur d’un circuit national, est ouvert au public, offrant ainsi l’opportunité de découvrir un patrimoine culturel méconnu.

Au cours de l’histoire, les danses autochtones ont souvent été mal interprétées et confondues avec des danses de guerre. Ces cérémonies, qui revêtaient un rôle essentiel dans l’identité culturelle des Premières Nations du continent, ont été réprimées et interdites par les gouvernements jusqu’au milieu du XXe siècle.

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En parallèle, le pouvoir religieux a également cherché à éradiquer les croyances spirituelles et les manifestations traditionnelles autochtones. Malgré ces mesures restrictives, les cérémonies et les danses ont perduré à l’abri des regards.

La tenue d’un pow-wow à Pessamit a suscité mon intérêt en raison de la réputation de cette communauté de près de 2 000 âmes de la Côte-Nord, reconnue pour son attachement aussi bien à sa foi qu’à la préservation de sa culture ancestrale. L’événement de ce week-end offre donc l’occasion de témoigner de cet entremêlement de croyances qui se nourrissent mutuellement.

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Arrivant juste à temps pour la grande entrée du vendredi soir, je retrouve Aimé, le gardien du feu sacré, affairé à purifier les danseurs avec de la fumée de sauge, juste avant que les porteurs de drapeaux ne foulent l’arène. Cette marche est suivie d’une prière en innu-aimun, puis d’un premier makusham, une danse circulaire aux pas lents à laquelle prend part une trentaine de participants aux regalia multicolores.

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Un chapiteau offre de l’ombre aux aînées coiffées du célèbre bonnet montagnais, le « sheshipatuan-akunishkeun ». Si les anciens sont toujours traités avec considération, le thème annuel du pow-wow est centré sur la relève, mettant de l’avant la participation des nombreux jeunes présents.

Les percussionnistes de la Baie-James ont quant à eux apporté leurs petits oursons de miel, question de protéger leurs cordes vocales, tandis que les cantiniers mohawks ont fait le trajet depuis Kahnawake pour servir des burgers au bison.

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À l’intérieur du cercle sacré, les danseurs avancent en pas pointés, effectuant des chorégraphies gracieuses, chaussés de mocassins et parés de plumes. Plusieurs participantes sont drapées de clochettes, tandis que les hommes arborent des grelots aux chevilles.

Le soleil couchant brille de tout son feu sur les ornementations, faisant valser les reflets comme les vagues du fleuve. Lorsque les tambours s’arrêtent, nous n’entendons plus que les tintements des vêtements, douce musique du pow-wow.

« Hoka! », félicite au micro Paul-André Vollant, le maître de cérémonie.

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C’est sur ce terrain de sport réaménagé que je rencontre Armand Collar, 73 ans, le globe-trotter de Pessamit. Célèbre pour avoir construit un scooter afin de se rendre jusqu’à Montréal pour parier au billard, il a vadrouillé les États-Unis, lancé des blagues lors de panels très sérieux en Suisse et s’est fait offrir le café à Paris par des Arabes qui n’avaient jamais rencontré d’Autochtones auparavant.

« J’ai passé 15 ans sur le pouce à la recherche d’aventures. Maintenant, avec le tourisme qui se développe à Pessamit, je peux continuer mon nomadisme tout en restant chez nous », raconte-t-il avec un clin d’œil. Farceur indomptable, il me confie qu’enfant, il a été envoyé de force au pensionnat. « J’ai failli y mourir! Mourir d’ennui! », lance-t-il en riant. « Le pow-wow est un lieu d’échange, alors je partage autant mes connaissances que mon ignorance. »

Juste avant de rentrer, Armand ajoute : « Ce soir, tu vas entendre mon band jouer! »

En effet, vers minuit débute sous mille étoiles la symphonie des « teum », ces chiens dont la rue est le royaume.

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À l’aurore, Pierre-Luc écoute du dubstep sur son cell, assis face à l’horizon du Saint-Laurent. En me tendant sa bouteille de vodka, il me confie ne pas avoir l’intention d’assister au pow-wow ni d’aller à la messe. Après avoir passé la nuit sur la berge, il préfère le spectacle offert par le lever du soleil.

Si plusieurs sont fiers de leurs racines et revendiquent une forme de spiritualité surpassant les enseignements du clergé, d’autres Pessamiulnuat se sentent encore davantage connectés au Seigneur qu’au teuehikan, le tambour sacré innu. On peut observer des croix tatouées sur les bras ou suspendues aux cous des aînés. Sans oublier les nombreuses Vierge Marie en plâtre disposées aux fenêtres.

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Le tipi érigé entre le presbytère et l’église reflète cette hybridation constante entre les traditions autochtones et l’évangélisation qui a profondément marqué la vie des Innus.

Mais peu à peu, les choses évoluent. Pierre-Luc affirme que « les jeunes de la communauté ne veulent plus rien savoir de l’Église ». En calculant vite fait la moyenne d’âge qui dansait hier, force est d’admettre qu’il a raison.

Judith se tient à l’entrée du site avec un bâton de hockey. Son rôle? Veiller à ce que les chiens n’entrent pas sur les lieux des festivités. L’ordre et la sécurité sont entre ses mains.

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Armand, jamais bien loin, me tend la main : « Même s’il y a beaucoup de chiens et de sauvages, la réserve n’est pas un safari. J’ai croisé des touristes ce matin, les mains serrées sur le volant, le teint blême de peur. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’on les observe, nous aussi! », s’exclame-t-il, hilare.

Les danseurs défilent avec leurs petites valises contenant leurs regalia soigneusement pliées. Liette Picard tresse les cheveux de sa petite-fille, y attachant aux extrémités deux fourrures de loutre. Pour d’autres, c’est de l’hermine ou du lièvre en pelage d’hiver.

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Les danseurs arborent fièrement des blasons et des médaillons représentant leur clan, associés à leurs familles ou leurs territoires ancestraux. On peut déceler les symboles de la tortue, de l’ours ou de l’orignal. Chaque élément des regalia est empreint de sens et d’histoire, reflétant l’identité de chaque danseur.

Philippe installe son kiosque de fourrures issues de la trappe. Martre, pékan, lynx, loup et bien d’autres sont en vente. « Du loup, il en reste en masse, mais du carcajou, y’en a pu beaucoup », indique-t-il en aspergeant sa casquette des Blackhawks d’anti-moustique.

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Devant le mât central, Philibert corrige rapidement mon erreur : « Ce n’est pas un costume, c’est mon habit traditionnel ». Vétéran chasseur, il se présente comme le gardien des légendes et un dompteur d’ours sauvages.

Il me présente son staff de l’aigle et le miroir qu’il porte autour du cou, un élément populaire chez les hommes, situé au centre des plumes arrière. Il explique : « Le miroir, c’est pour te voir enfin, comme qui tu es vraiment. Les gens viennent au pow-wow pour se guérir d’eux-mêmes. »

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L’aigle occupe une place de premier plan dans le pow-wow et symbolise à sa façon, la dualité religieuse et spirituelle. Ses plumes sont souvent associées à des prières, car l’aigle est considéré comme l’oiseau qui vole le plus haut, rapprochant ainsi ses messages des cieux. D’un autre côté, en raison de son altitude élevée, l’aigle est perçu comme un protecteur des chasseurs.

La maîtresse de cérémonie, Audrey-Lise Rock-Hervieux, me confirme que pour certains aînés, le pow-wow est effectivement trop éloigné de l’Église. « Il y a actuellement deux modes de pensées qui s’opposent, ici comme ailleurs sur la Côte-Nord. Les pow-wow gagnent en popularité, surtout auprès des plus jeunes générations. Personnellement, je n’ai pas trouvé ma place dans la religion, mais je l’ai trouvée ici, dans la spiritualité de mes ancêtres. »

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Elle ajoute que les clochettes sur les regalia, au nombre de 365, représentent chaque jour de l’année et symbolisent chaque prière offerte. Un énième symbole du métissage entre les deux ordres de croyances.

Son collègue Paul-André abonde dans le même sens : « Ça se veut avant tout spirituel et non religieux. Des rites du catholicisme se sont insérés au sein des célébrations, car ils se sont mêlés aux traditions. Il ne faut pas oublier qu’en 2014, il n’y avait pas le public que l’on voit aujourd’hui, je dansais presque seul! À Pessamit, l’acceptabilité sociale a été un enjeu. C’était beaucoup d’inconnus. »

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Si le pow-wow prend désormais une place privilégiée dans le calendrier de la communauté, c’est grâce à Paul Fontaine, un ancien drummer qui est allé acquérir les connaissances nécessaires dans l’ouest du pays.

« Au début, on associait le pow-wow à une compétition de fer à cheval, de tir ou de canoë, souligne-t-il. Je me rappelle quand on a commencé, j’ai dû mettre un CD dans mon camion parce que les drummers ne s’étaient pas présentés à l’heure. J’ai fait venir des danseurs pour montrer ce que c’était et, petit à petit, ça a fait son chemin ».

Il assure depuis le rôle de directeur d’arène.

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Juliette semble pleine d’aisance dans le cercle sacré, elle qui danse depuis l’âge de 6 ans, accumulant déjà dix années de pratique. Elle constate avec joie que de plus en plus de jeunes s’investissent : « Avant, le pow-wow était principalement fréquenté par des adultes, mais on est plus nombreux qu’eux, maintenant! »

À sa taille, elle arbore le foulard qui appartenait autrefois à sa grand-mère : « Quand je danse, je pense à ma famille, pour qu’elle soit en sécurité ou qu’elle aille mieux. Ma grand-mère est décédée récemment et c’est maintenant mon grand-père qui est en fin de vie ».

Le guide touristique et pêcheur d’oursin Germain Riverin, 60 ans, est l’un des danseurs les plus impressionnants, se plongeant dans une transe qui lui est propre. Il a fait ses classes chez les Hurons-Wendats.

« J’ai appris leurs danses et leurs chants, mais aussi ceux des Cris, des Ojibwés et bien sûr, les miens. Je joue aussi du tambour, mais pas du teuehikan. Pour jouer le vrai, il faut que tu y rêves trois fois ou qu’un aîné te le permette. J’attends mon tour. »

Après l’avoir vu danser devant des Européens dans le coin de Québec, un chaman de Pessamit qui avait confectionné sa propre regalia en recueillant quelques pièces dans l’ouest canadien s’est approché de Germain et lui a dit : « Je ne peux plus danser, donc je t’offre mes habits. J’ai vu comment tu danses, tu mérites ma regalia ».

Son fils Scott a exprimé le désir d’un jour danser et espère recevoir la regalia rouge et noire paternelle.

Dimanche matin, le stationnement de l’église se remplit de pick-ups. On ne va pas à la messe en quatre roues.

Une fois terminée, je m’y glisse avec Germain qui me fait remarquer les bibles traduites en innu-aimun et les symboles traditionnels dans les vitraux.

« Depuis 300 ans, la religion prédominante à Pessamit a été celle de la peur. Mais aujourd’hui, les choses changent. Le prêtre prie en notre langue, signe de notre capacité à le convertir. Il porte même une soutane en cuir fumée de caribou. Cette transition s’installe dans le lent retour à notre propre spiritualité. Les pow-wow jouent un rôle essentiel dans ce changement. C’est réconfortant. »

Chez ce pêcheur également acteur à ses heures, le pow-wow est surtout de nature spirituelle : « Je suis plus esprit que apôtre », décrit-il en poursuivant sur son expérience dans la hutte de sudation : « Faut que tu le vives, ça, mon homme. Tu vas voir la vie d’une autre façon, après. Il y a quelque chose qui reste dans la hutte ».

De retour sur le site, je croise Armand déambulant avec sa canne, occupé à bavarder avec une Française. « Jean! J’ai trouvé une volontaire pour la cérémonie du scalpe qui a lieu ce soir! », m’apostrophe-t-il, incapable de garder son sérieux un seul instant.

La cérémonie de guérison est l’événement phare du pow-wow et son enregistrement est, sans surprise, interdit. Depuis mon arrivée, de nombreuses personnes m’ont partagé que ce moment de cure physique et intérieur a été profondément marquant.

Les gradins se remplissent d’une grande diversité de spectateurs : des Pessamiulnuat, bien sûr, mais également des cyclistes essoufflés, de jeunes familles, des retraités voyageant en VR et même quelques hippies.

Depuis mon arrivée, de nombreuses personnes m’ont partagé que ce moment de cure physique et intérieur a été profondément marquant.

Pour l’occasion, le cercle sacré n’est réservé qu’aux danseurs adultes, les plus âgés se tenant aux extrémités, tandis que les femmes portant des clochettes se trouvent plus près du centre. Au cœur du cercle, une trentaine de convives de toutes les origines sont assis sur des chaises. Ce sont ceux visés par les traitements.

Encore plus près du mât central, des aînés prient en innu, et derrière eux, au centre du rond, deux fumeurs de pipe expirent des nuages de tabac, fruit des récoltes de dons du week-end.

La foule est entièrement silencieuse, et les enfants, habituellement libres, sont cette fois retenus par leurs parents.

Les drummers cris entonnent des chants de guérison déchirants et les clochettes amorcent une danse sur place au rythme de la musique. Deux guérisseurs enveloppent les participants de fumée de sauge et chaque convive est touché sur la tête par des plumes d’aigle.

Face au souffle puissant des tambours, une tension hypnotisante s’installe dans l’après-midi. À la fois émouvante et bouleversante, cette expérience d’une dizaine de minutes ne laisse personne indifférent. Plusieurs fondent en larmes, sur les chaises comme dans l’assistance.

Il est difficile de trouver les mots justes pour décrire une expérience aussi énigmatique, mais la scène a largement dépassé tout ce que je pouvais m’imaginer.

En soirée, les vibrations du teuehikan annoncent la clôture des festivités.

Au-delà du simple rassemblement festif, le pow-wow de Pessamit semble refléter une volonté de transition pour la communauté. Les discussions sur la spiritualité, la transformation des croyances religieuses et le désir de préserver leur culture face aux défis modernes occupent une place centrale.

Il offre une opportunité de réflexion et d’échange, permettant de renforcer leur identité culturelle tout en adaptant et préservant leurs traditions ancestrales pour les générations futures.

Avant de quitter, je fais glisser une dernière fois le sable du nord hors de mes chaussures, ravi que les danses habitent à nouveau le pays des « ka papeshet », ceux qui aiment rire.