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Pourquoi ne trouve-t-on pas de kebabs « à la française » à Montréal?

LA question qui enflamme tous les forums d’expatriés!

Par
Billy Eff
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Ayant passé beaucoup de temps à Paris dans ma vingtaine, je reste profondément nostalgique de la France. L’architecture, la bonne humeur des Parisiens, les vins nature à prix raisonnables. Mais je dois l’avouer honteusement; ce qui me manque le plus, ce sont les kébabs quand tu sors du bar complètement bourré et bien affamé.

D’habitude, il ne suffit que de quelques minutes de conversation avec une personne nouvellement arrivée de la France pour qu’on me demande : « Mais Billy, pourquoi vous avez pas de kebabs ici? »

C’est une question tout à fait légitime. Après tout, 7 vols par jour relient Montréal et Paris, plus de 4 000 nouveaux Français s’installent dans la province chaque année et pourtant, toujours pas de kebab, du moins pas comme on l’entend en France. On a certains sandwich qui s’en rapprochent, mais rien qui ne sache pleinement satisfaire l’estomac et l’esprit de mes amis de l’Hexagone.

Mais qu’est-ce qui nous bloque l’accès à ces glorieuses bombes caloriques? Elles sont où, les 6 000 sauces différentes? Est-ce que je vais un jour trouver quelqu’un qui sera plus généreux avec les garnitures si je l’appelle « Chef »?

Enquête sur l’un des sujets les plus conflictuels des forums pour expatriés!

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Kebab VS donër VS shawarma : qui dit vrai?

Déjà, entendons-nous sur ce qu’on veut dire, lorsqu’on parle de kebab « à la française ». Ma checklist, validée par des experts (les Français et Françaises du bureau), se résume à :

– De minces tranches de viande, habituellement un mélange de veau et de dinde, grillées à la broche verticale

– Un pain légèrement plus levé qu’une pita

– Des crudités (salade, tomate, oignon)

– De la sauce blanche (idéalement faite maison), ainsi qu’une grande variété de sauces industrielles, souvent de marque Nawhal’s

Certains d’entre nous reconnaissent là-dedans, à quelques détails près, le shawarma tel qu’on le connaît dans les chaînes libano-canadiennes comme Amir ou Boustan. Ce qui nous amène à la deuxième partie du problème que rencontrent les Français qui cherchent leur kebab familier : ce n’est pas tout à fait le bon mot pour décrire ce qu’ils veulent.

« Kebab » est un mot turc qui désigne simplement de la viande épicée puis grillée. Le shawarma est, quant à lui, le sandwich que l’on prépare à base de kebab et qu’on appelle parfois au Québec « shish taouk ».

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On l’appellera aussi parfois « donër » dans certains pays, mais celui-là est encore bien différent du « donair » que l’on pratique à Halifax qui est pour sa part plutôt inspiré du « gyros » à la grecque. Le gyros étant connu en France depuis plus longtemps que le shawarma, les Français se sont mis à appeler les sandwichs préparés par les immigrants turcs d’après-guerre des « grecs », en voyant la broche de viande tourner.

C’est donc par métonymie que « kebab » en est venu à représenter à la fois le sandwich et le restaurant qui le sert. D’ailleurs, on appelle « kebabiste » le tenancier d’un tel établissement et la société France Kebab attribue même des certificats de Maître Kebabiste.

Une histoire d’identité…

Un peu comme ici avec la poutine, le kebab est devenu en France l’un des items de restauration rapide les plus consommés, particulièrement chez les étudiants et les fêtards. Mais c’est aussi devenu un symbole politique. Peu importe à quel point cela déplaît à la crowd du Rassemblement National, un touriste qui visite la France sera forcément confronté à un kebab à un moment ou un autre, et verra ce sandwich comme partie intégrante de la gastronomie française rapide.

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On trouve à Montréal tout plein d’options qui se rapprochent d’un kebab, mais il manque toujours quelque chose, m’expliquent mes collègues français.

On est souvent à un ou deux détails près : soit le pain est trop plat, soit il manque de variétés de sauces, ou pire encore, la viande est cuite à la plancha plutôt qu’à la broche.

Pour essayer de comprendre si ce n’était pas simplement les immigrants français qui, encore une fois, se plaignaient que « c’est pas pareil, ici », j’ai amené notre Jughead Jones de Palaiseau, le réalisateur d’URBANIA Alexandre Sarkis, manger plusieurs kebabs. Et coup sur coup, le truc qui faisait que ce n’était « pas pareil ici » avait à voir avec les aspects moins qualitatifs du kebab français. Genre, le produit était trop artisanal ou trop bien présenté, les sauces étaient faites maison plutôt que commandées chez Nawhal’s. Limite : l’endroit est trop propre.

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Avec tous les immigrants français ici, c’est quand même étonnant qu’on ne trouve pas au moins un endroit qui propose des kebabs authentiquement français, soit par nostalgie de la mère-patrie ou simplement par amour du profit.

… et d’immigration!

Mais ç’a aussi du sens lorsqu’on jette un coup d’œil aux vagues d’immigration très différentes qu’on a eues au Québec, comparé à la France. À partir de la fin du 19e siècle, alors que l’Empire ottoman s’écroule, on commence à voir un grand déplacement de Turcs, d’Arabes et de Grecs qui vivent pour la plupart sur le territoire de l’Empire.

Notamment, dès le début des années 1900, la France fait venir en grand nombre des Grecs pour renflouer la main-d’œuvre dans les usines et d’autres encore durant la Reconstruction, pendant l’entre-deux-guerres. Plusieurs d’entre eux ouvrent des restaurants ou des commerces de bouche, dont certains sont encore ouverts rue Huchette, dans le 5e arrondissement de Paris.

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Les Turcs sont pour leur part engagés par l’Allemagne sur des chantiers de construction, au courant des années 60, et apportent avec eux la tradition des (vrais) kebabs.

À Berlin, plusieurs restaurateurs turcs affirment avoir été les premiers à créer dans les années 70 le sandwich tel qu’on le connaît aujourd’hui.

En tout cas, chose certaine, ça n’a pas pris de temps avant que le kebab (appelé donër en allemand, juste pour rendre les choses plus compliquées) ne prenne d’assaut le pays : le premier stand 100 % dédié à la chose voit le jour en 1975 et en 1990, on estime déjà à près de 25 milliards de Deutsche Mark (20 milliards d’euros actuels) l’industrie allemande du donër.

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Au Québec, les grandes vagues d’immigration grecques ne commencent vraiment qu’à partir des années 30 et s’intensifient dans l’après-guerre. Ici comme en France, les petites gargotes sont un moyen populaire de se lancer en affaires. Mais de ce côté de l’Atlantique, ils opteront plutôt pour le modèle d’affaires des greasy spoons, à mi-chemin entre diner américain et taverna.

L’immigration turque s’est quant à elle fait beaucoup plus lentement et en plus petit nombre. On n’a donc pas eu droit à l’appellation kebab, ni à un des éléments importants de ce sandwich à la française : le pain pide, à ne pas confondre avec son cousin le pain pita.

Mais si la France et l’Allemagne ont eu leurs vagues d’immigration suivant la chute de l’Empire ottoman, le Québec a pour sa part accueilli une grande communauté libanaise dès la fin des années 1800. Encore aujourd’hui, Montréal abrite plus de la moitié de la diaspora libanaise au Canada! C’est pourquoi on connaît tous ici le shawarma libanais, que l’on peut trouver dans la plupart des villes et villages.

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Une exception gastro-culturelle

Bon, on a donc un sandwich d’origine turque, familièrement appelé « grec » à tort, et qui en est venu à représenter la communauté maghrébine en France. Y a de quoi avoir un mal de tête!

Mais qu’est-ce qui fait vraiment qu’on n’a pas ce genre d’établissement ici? On pourrait, théoriquement, en avoir un.

Il y a effectivement d’une part le fait que les shawarmas proposés par les restaurateurs québéco-libanais sont déjà bien connus, ici, et sont souvent faits de manière plus artisanale et intéressante pour les mangeurs d’ici qu’un kebab en région parisienne. Peut-être que les entrepreneurs voient le shawarma traditionnel comme une trop grande compétition pour un éventuel business de kebab, ce qui expliquerait en partie pourquoi on a autant de restos de French Tacos qui n’avaient pas d’équivalents, ici.

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Il y a aussi le fait qu’avant même que le premier resto de donër n’ouvre en Allemagne, le Québec était déjà bien connu pour certaines de ses options d’après-soirée grasses, roboratives et plus adaptées au palais québécois, comme les steamés, le smoked meat et bien entendu, la poutine!

Qui plus est, le kebab est aussi une invention adaptée et optimisée pour l’Europe moderne.

Dans un pays comme la France, où le cochon est le symbole tout-puissant et omniprésent de la gastronomie traditionnelle française, la minorité sans cesse grandissante qui ne consomme pas de porc a besoin d’options. Les restaurants que se sont mis à ouvrir les immigrants maghrébins répondent donc à ce besoin, étant pour la plupart fièrement 100 % halal.

Les Européens sont aussi en moyenne plus réfractaires aux grandes chaînes de fast food à l’américaine; le kebab représente un bon compromis entre nourriture rapide et calorique, pas trop malsaine et bon marché. C’est pourquoi le traditionnel jambon-beurre est tombé en désuétude tandis qu’on vend maintenant en France près de 11 kebabs par seconde.

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Finalement, les Français d’origine maghrébine qui arrivent ici peuvent déjà trouver d’excellentes options culinaires de leur pays d’origine, à l’opposé du sandwich kebab créé dans le seul but de plaire aux palais européens. Le multiculturalisme montréalais prône la diversité et l’authenticité plutôt que la facilité et le consensuel, et cela se reflète aussi dans ses offres culinaires. Donc pas vraiment besoin d’un kebab industriel français pour être heureux ici!

Mais on peut se consoler en se disant que ça donne aux immigrants français et aux francophiles l’occasion de rêver à leur prochain kebab, lorsqu’ils rentreront, et de le savourer à pleines dents.

Alors qui gagnera le challenge? Aura-t-on au Québec un kebab digne de ce nom avant que la France n’ait un bon resto à poutine? Les paris sont ouverts!

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