L’autrice est sexologue. Pour encore plus de conseils éclairés, visitez son compte Instagram et son blogue La Tête dans le cul.
Récemment, le duo sexologique de l’heure, Apéro Sexo, a annoncé sa séparation, jetant le blâme sur deux visions différentes de la passation des savoirs sexologiques. Le monde québécois de la sexo étant très petit, il n’en fallait pas plus pour que cela fasse réagir bien des gens, dont moi.
En premier lieu, je tiens à souligner que j’apprécie le travail du duo et que je me suis toujours demandé comment elles arrivaient à faire la part des choses entre leur travail d’éducation à la sexualité et leur vie privée. Pour les sexologues comme moi, c’est un sujet hyper délicat que de parler de soi. Pourtant, l’idée de partir d’anecdotes personnelles et de savoirs expérientiels pour aborder la sexologie est géniale. Mais c’est aussi un terrain vraiment glissant.
Je vous explique ma vision des choses.*
SEXOLOGUE OU PROFESSIONNEL.LE EN SEXOLOGIE?
D’abord, réglons un truc : oui, il y a une différence importante entre sexologues et pros en sexo. Les personnes qui se disent sexologues doivent faire partie de l’OPSQ (Ordre des sexologues du Québec) et paient une cotisation annuelle pour pouvoir porter ce titre réservé. Elles doivent aussi faire de la formation continue (30 heures par période de deux ans**) et respecter un code de déontologie.
Les professionnel.le.s en sexologie ont souvent – mais pas toujours – une formation comme bachelier.ère en sexologie et iels ne sont pas tenus aux mêmes obligations que les sexologues en termes de formation et de règles à suivre. Sont-elles moins compétentes? Pas du tout! Mais il faut comprendre que n’importe qui peut porter ce titre, ce qui, malheureusement, peut inclure des gens moins bien intentionnés ou qui ont un agenda pas nécessairement altruiste. (Des coachs de vie qui veulent te vendre 1001 cossins pour « atteindre ton plein potentiel », alors que tu n’en as ni les moyens ni le besoin? Ça, ça me met à boutte.)
Le terme « professionnel.le » peut aussi porter à confusion.
Ce ne sont pas tous.tes les professionnel.le.s qui sont régis par un ordre, mais lorsqu’il en existe un – comme l’OPSQ – on peut s’attendre à ce que le terme vienne avec une réglementation.
C’est le cas pour le titre de sexologue, mais pas celui de professionnel.le.
Est-ce que ça crée de l’incompréhension auprès du public? Probablement.
LE CADRE, TON MEILLEUR ALLIÉ
Imaginez un cercle. C’est l’espace dédié à la rencontre clinique entre un.e sexologue et la personne cliente. Lorsqu’on entre dans ce cercle, chaque personne endosse un rôle ; d’un côté, le ou la thérapeute et, de l’autre, la personne aidée. On appelle ça le « cadre thérapeutique » et, pour que ça fonctionne, il doit y avoir des règles :
Les propos tournent autour des enjeux et problématiques de la personne aidée seulement, pas ceux du ou de la thérapeute.
Les gens arrivent en souffrance ; on doit leur offrir un espace sécurisé pour s’ouvrir. Elles doivent pouvoir prendre la place pour laquelle elles paient pour exprimer leurs émotions, leur vécu, leur souffrance. Si la personne aidante prend cette place, on passe à côté du but. Ce n’est pas notre thérapie, c’est la vôtre.
Les échanges thérapeutiques se passent à l’intérieur de ce cadre, pas ailleurs.
Bureau privé ou en ligne, peu importe : l’essentiel, c’est qu’il y a un moment et un espace dédié à ça. Même les échanges par courriel ou par téléphone doivent demeurer strictement d’ordre professionnel. Pas de consultation via les plateformes sociales, non plus. Pensez deux secondes à ce qui peut arriver, si on n’encadre pas tout ça. Se faire appeler à toute heure du jour ou de la nuit? Être accosté.e à l’épicerie pour prodiguer un conseil? Recevoir des dévoilements détaillés via Instagram? No, thank you! Et ça va dans les deux sens ; aimeriez-vous que votre thérapeute vous salue au café du coin en lançant : « Pis, la libido, ça va ? » Ça briserait le secret professionnel sur un temps rare.
Ce n’est pas une relation d’amitié.
C’est parfois dur de réaliser ça, parce que votre thérapeute en sait souvent pas mal plus sur vous que vos proches. Mais pour qu’une relation thérapeutique se passe bien, il faut instaurer des limites. Est-ce que ça nous arrive de recevoir des gens avec qui on sent qu’on pourrait devenir ami.e.s, dater, tomber en amour? Of course! Mais la distance est NÉCESSAIRE pour rester dans la relation professionnelle et ne pas verser dans les comparaisons et les projections.
La relation thérapeutique se veut la plus neutre possible pour éviter les dynamiques de transfert et de contre-transfert.
Le transfert, c’est lorsqu’une personne cliente projette sur le ou la thérapeute des émotions ou sentiments qu’elle ressent pour une personne dans sa vie actuelle ou son passé. Quant au contre-transfert, c’est la réaction du ou de la thérapeute au transfert. Un exemple? Un client voit des parallèles entre sa mère et sa thérapeute et se met à réagir vivement pendant les rencontres, à prendre tout comme de la critique, comme dans sa vraie relation avec sa mère. La thérapeute, mal à l’aise face aux réactions du client, devient distante et moins investie. Résultat : la relation thérapeutique est endommagée. Un autre exemple de transfert classique : la personne cliente qui tombe amoureuse de son ou sa thérapeute. Notez que ça peut arriver sans que le ou la thérapeute se dévoile, mais vous comprendrez que le dévoilement de soi peut augmenter les risques que cela se produise.
Ce qui nous amène au point suivant.
La délicate question du dévoilement de soi
On dirait parfois que les sexologues ont une aura, un glow sexu qui leur colle à la peau parce qu’iels ont choisi de travailler avec, comme sujet premier, la sexualité humaine. Souvent, on a l’impression qu’iels sont super ouvert.e.s à discuter de sexualité n’importe où, n’importe quand et n’importe comment, mais non. On a beau être formé.e.s à évaluer le développement et le comportement sexuel humain, ça ne veut pas dire qu’on veut en parler tout le temps ou même parler du nôtre.
Comme sexologue, puis-je parler de mes propres expériences? Oui, mais c’est délicat. D’abord, il faut être capable de justifier pourquoi on le fait. Le dévoilement de soi peut être un excellent outil en clinique ; ça peut rendre le suivi plus humain, aider à créer un sentiment de confiance et, dans certains cas, renforcer l’alliance thérapeutique.
Avant de se dévoiler, il faut réfléchir, peser le pour et le contre, et se demander quels sont les bénéfices pour la personne cliente.
Voici quelques exemples*** :
– Dire à une personne qui fait de l’anorgasmie que ça peut se régler parce que la thérapeute est déjà passée par là, c’est aussi dire comment et pourquoi. Par contre, imaginez si ça ne fonctionne pas pour la personne et qu’elle vous revient en disant : « Tu m’avais dit que ça avait marché pour toi! » Ouch.
– Dévoiler son orientation sexuelle à une personne qui demande un suivi avec un ou une thérapeute LGTBQ+ pour se sentir mieux comprise, ça peut aider à renforcer le lien de confiance et servir à offrir des services « par et pour » (ex. : par des personnes trans pour des personnes trans). Le dire juste parce que la ou le thérapeute veut bounder avec sa clientèle qui, elle, a simplement dit être LGBTQ+, ce n’est pas nécessairement utile.
– Pour rassurer une personne qui indique avoir des enjeux d’image corporelle, notamment en raison de son poids, lancer : « Moi, je trouve ça super beau des personnes en chair! ». De un, ça peut créer une ambiguïté (ex. : la thérapeute me trouve-t-elle de son goût?) et , de deux, dévoiler des préférences qui n’ont pas à être nommées. Mieux vaut utiliser des éléments avec lesquels la personne peut travailler, comme son ou sa partenaire. Par exemple, lui dire : « Tu me disais récemment que ton ou ta partenaire te trouve sexy. Lui as-tu déjà demandé ce qu’il ou elle aime chez toi ? Pourrais-tu lui suggérer de te le répéter plus souvent ? »
N’oubliez pas qu’en tant que sexologue, on rencontre toutes sortes de gens, souvent ébranlés, fragilisés et vulnérables.
Même s’il peut être tentant de s’ouvrir pour aider l’autre (et croyez-moi, ça nous arrive!), mieux vaut faire attention et garder un cadre strict qui pourra s’assouplir au fur et à mesure de la relation thérapeutique.
Bref, et comme je l’ai déjà mentionné dans mon infolettre perso, si votre thérapeute vous semble parfois rigide ou strict.e, c’est une bonne chose : on veut votre bien-être – et le nôtre! – pour vous aider le mieux possible.
Donc, si vous me rencontrez dans mon bureau virtuel, sachez que je ne vous parlerai jamais de ma sexualité. Non seulement ça m’appartient, mais ça ne vous rendrait pas service. Parce que ce qui me tient à cœur pendant ces moments, ce n’est pas de vous confier mes propres expériences, mais plutôt de mieux comprendre les vôtres, et l’assurance de vous aider avec rigueur et professionnalisme.
*Je ne parle pas au nom de tous.tes les sexologues. Le dévoilement de soi est un sujet qui peut être débattu longtemps.
**Pour donner une idée du stock qu’il est possible d’apprendre pour se garder à jour, j’en suis à 55 heures de formation et mes deux années ne sont même pas écoulées. Faire partie d’une clinique privée, comme c’est mon cas, aide beaucoup. Et je suis une personne qui adore se former et ça me tient vraiment à cœur. Call me intense, c’est aussi moi! 💁♀️
*** Ce sont des exemples imaginés qui auraient pu être nettement plus développés en rencontre thérapeutique, mais ça vous donne une idée.
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!