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Popeye : la voix légendaire de la radio innue
La première fois que j’ai entendu la voix de Georges-Eugène Vollant, c’était à bord d’un vieux pick-up perdu je ne sais plus où sur la Côte-Nord. À travers des tracks d’innu-folk et de pop des années 2000, sa voix chaude, souple et réconfortante m’avait fait toute une impression.
Accroché aux paroles de cet inconnu au timbre cuivré, j’ai pris de le pouls auprès d’amis et tous n’avaient que des éloges envers ce pilier radiophonique, évoquant un grand respect à l’animateur charismatique du Top Musical, l’émission la plus écoutée de la station communautaire CKAU. Selon leurs dires, son programme est plus qu’un simple enchaînement musical, mais le repère du matin pour obtenir des nouvelles pratiques propres à la réalité innue.
J’ai profité de mon lointain périple au festival Innu Nikamu pour rencontrer l’homme derrière le micro et partager l’histoire de cette éloquence inimitable qui a tissé sa légende au rythme même de l’émancipation de la radio autochtone.
Ce fameux surnom, Popeye, d’où vient-il? « Ça fait tellement longtemps. C’est un oncle qui m’amenait en ville voir des games de hockey et il y avait un arbitre célèbre qui s’appelait Popeye. Le surnom est venu comme ça. On m’a toujours appelé ainsi, depuis l’enfance. Quand mes parents partaient chasser, je me faisais garder chez une femme qui a même appelé l’un de ses fils Popeye, alors on est deux à Maliotenam. »
Popeye Vollant a commencé sa carrière radiophonique en 1984 à l’âge de 19 ans. C’est un ami à la barre d’une émission country western qui l’a d’abord invité à le visiter en studio. Ayant été séduit par ce premier contact, il est revenu, et cette fois, on lui a tendu le micro en direct. Il ne lui en fallait pas plus pour avoir la piqûre et rapidement obtenir les rênes d’une première émission.
À l’époque, le local de CKAU était situé dans une petite salle bancale du gymnase de Maliotenam, réserve innue en retrait de la 138 à quinze kilomètres au nord de Sept-Îles. C’était la première station radiophonique pour la communauté de Uashat Mak Mani-Utenam et les balbutiements du médium chez les Premières Nations au Québec. Des années formatrices pour l’équipe de diffusion qui devait établir une identité, tant musicale qu’informative.
La première mouture de son rendez-vous matinal se nommait le 5 h 48. « Mais les gens n’ont jamais compris le nom, déclare-t-il en levant les bras. C’était pourtant évident, c’était l’heure où ça commençait! On avait enregistré un aîné récitant la prière du matin en innu, d’une durée de 11 minutes et 48 secondes. À 6 h pile, je commençais la musique. » La formule est demeurée la même, mais avec une accroche plus classique, le Top Musical.
À l’époque, Popeye précise qu’il n’y avait aucune programmation ni structure à respecter. Tout se faisait à la bonne franquette, avec des vinyles et des 8 pistes, puis avec des cassettes jusqu’à l’arrivée des disques compacts, qui a ébranlé la station. « C’était une révolution, mais ce n’était rien comparé au moment où les MP3 et les ordinateurs sont rentrés. Nous avons dû numériser toutes nos archives musicales et là, plusieurs employés ont quitté, complètement dépassés. » Un bouleversement technologique de l’ordre du souvenir, car aujourd’hui, force est de constater l’aisance de l’animateur derrière sa console et ses deux écrans.
La musique est un élément central et rassembleur de la culture du Nitassinan, mais au-delà des morceaux, la plage horaire de Popeye est également un canal de diffusion privilégié pour véhiculer une tonne d’informations. Des résultats du dernier bingo aux jours des poubelles, les nouvelles politiques au même titre que le menu de la cantine locale et les avancements de la chasse communautaire au caribou. En plus d’être le DJ de l’aurore, l’animateur s’assure d’être au service des citoyens et citoyennes de Uashat Mak Mani-Utenam.
Malgré qu’il soit un grand fumeur de tabac, sa voix mielleuse de baryton, immédiatement reconnaissable, est devenue au fil des années sa signature. « L’autre jour j’étais à Trois-Rivières et une Atikamekw m’arrête : “Eille Popeye, on t’écoute souvent, continue!“ ou un peu partout sur la Côte-Nord, quand je m’arrête au service au volant, on me demande si c’est bien moi. Jamais je n’aurais cru un jour être aussi connu. Les gens me demandent même des selfies », s’esclaffe-t-il. Un succès qu’il accueille, de son propre aveu, avec humilité.
Aujourd’hui âgé de 57 ans, le cuisinier-disc-jockey est-il la grande voix de la communauté innue? « C’est ce qu’ont dit! Ça fait presque 40 ans que je fais ça! J’adore parler avec les gens. Mais si j’ai le malheur de dire des bêtises, on me le fait savoir assez vite », souligne-t-il en riant.
CKAU déménagera bientôt ses locaux à une nouvelle adresse, « une grosse station toute neuve », explique-t-il avec enthousiasme. Un lieu où l’animateur pourra continuer de laisser son empreinte sur la Côte-Nord et spinner son morceau préféré : Nitassinan de Florent Vollant.
« Je ne suis plus très jeune, mais je veux rester en ondes tant et aussi longtemps que la santé sera bonne. La radio a toujours été ma passion et ma maison. Pour me lever à cette heure-là chaque matin, je dois bien l’aimer, ma job. »