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MBC TLMEP

Plaidoyer pour des médias forts

On jase.

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Ce matin, je me suis réveillée avec un solide mal de crâne. Et non, c’est pas parce que j’ai profité du grand retour du Sour Puss.

J’étais plutôt encore hangover du flot ininterrompu de paroles émanant de la bouche de Mathieu Bock-Côté (MBC) à Tout le monde en parle, la veille.

Des propos qui m’ont saoulée ben raide, débités sans réelle opposition, devant un public médusé. En voyant l’algorithme placarder le visage Mathieu Bock-Côté partout sur mes réseaux sociaux au petit matin, je me suis demandé si ça valait vraiment la peine pour moi de contribuer à une autre tournée de commentaires le concernant parce que le coma étylique est vite arrivé et peut laisser des séquelles. J’ai déjà été la cible de monsieur à plus d’une reprise, dans ses chroniques du Journal de Montréal, mais aussi sur Facebook où il a cru bon me livrer en pâture à ses abonnés avant de se faire ramasser par les miens (cheers, Marie-Noëlle).

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Comment alors parler de Mathieu Bock-Côté sans faire remonter la bile?

J’ai trouvé le remède à mes interrogations (et à mon hangover) sur Instagram où une connaissance a partagé par hasard la vidéo d’un cardiologue, également détenteur d’une maîtrise en nutrition, qui fait de la vulgarisation sur les réseaux sociaux. Idrees Mughal, aussi connu sous le nom de Dr Idz, est suivi par près de 2 millions de personnes sur TikTok et 727 000 sur Insta. Dans sa plus récente vidéo, il parle de la fatigue qu’il ressent devant les proportions que prend la désinformation en ligne. « Je ne vais pas vous mentir, guys, ma motivation à corriger de l’information erronée et potentiellement néfaste est à son plus bas », explique-t-il avant d’évoquer la loi de Brandolini, également connue sous le nom de « Principe d’asymétrie des baratins », un concept qui relève le sérieux déséquilibre entre le mensonge et la vérité dans le discours public.

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En gros, ce que ça dit, la loi de Brandolini, c’est que ça ne prend qu’une fraction de seconde à quelqu’un pour garrocher des mensonges sur l’espace public, mais ça prend des heures, voire des jours, pour rétablir les faits et la vérité. Ça demande du temps, des bras et bien souvent, de l’argent. Autrement dit : la bullshit roule en décapotable sur une autoroute à six voies pendant que la vérité doit laisser passer 4 métros sur la ligne orange avant de pouvoir embarquer.

Prenons un des commentaires avancés hier par Mathieu Bock-Côté sur le plateau de Guy A. Lepage. Selon lui, le fait de remettre en question l’affirmation selon laquelle des hommes peuvent accoucher pouvait jusqu’à tout récemment vous valoir des accusations de transphobie à cause de la vague du « politiquement correct » des dernières années. Ce à quoi Guy A. a répondu « OK, on continue ». Hein? De kessé? Existe-t-il un exemple concret de gens qui se sont vus attribuer l’étiquette de transphobe et qui ont été arrêtés par la police et jugés devant des tribunaux? Qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi? Ces questions, fondamentales pour avancer un fait, n’ont pas été posées et sont donc restées sans réponse.

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Ma théorie, c’est que MBC a repris des arguments avancés par certaines mouvances de droite allergiques à la diversité de genre qui, elle, remet en question le modèle binaire. Des mouvances persuadées qu’on ne peut plus rien dire. Oui, vous pouvez encore dire qu’un homme ne peut pas accoucher. Par contre, on peut vous répondre que d’affirmer qu’un homme peut accoucher, c’est simplement prendre en considération qu’il y a des hommes trans ou des personnes non binaires qui ont encore des attributs de leur sexe assigné à la naissance (ovaire, utérus, vagin) et qu’iels peuvent ainsi donner la vie.

Et que dire de l’argument de MBC au sujet de la police britannique qui débarque chez des mères de famille à 6h du matin à cause de tweets haineux-pas-vraiment-haineux? J’ai fouillé sur le web et la seule histoire récente que j’ai trouvée concerne une femme blanche qui avait invité ses abonnés à mettre le feu à des hôtels où étaient logés des demandeurs d’asile en juillet 2024. Tout ça en réponse à une fausse nouvelle qui alléguait que des fillettes avaient été tuées par un sans-papiers alors qu’il s’agissait d’un citoyen. Son message débile a été repartagé 940 fois et a cumulé 310 000 vues avant qu’elle ne le retire. Si c’est à cette histoire que fait référence MBC, c’est fucking grave parce que c’est littéralement un appel au meurtre, et donc, de l’incitation à la haine, raciale, spécifiquement. C’est ça qui a mené à l’arrestation de cette femme, et non pas le fait d’avoir parlé d’immigration sur un ton badin.

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J’ai également trouvé un autre cas impliquant un scénariste irlandais connu pour ses déclarations anti-trans. Il a notamment exhorté ses abonnés à « provoquer une scène » et à « appeler la police » si jamais ils devaient se trouver en compagnie d’une femme trans dans un espace réservé aux femmes cisgenres. « Si tout échoue, donnez-lui un coup de pied dans les couilles », a-t-il écrit dans son Substack au printemps dernier. Sans surprise, il a lui aussi été arrêté par la police britannique.

Voilà donc le véritable profil de ces martyrs du politiquement correct.

Pour une vraie « élite » médiatique

La méthode MBC, c’est la même que celle de Charlie Kirk : des demi-vérités et des sophismes à la pelletée, mitraillés de façon à étourdir ses interlocuteurs, généralement de bonne foi et peu habitués de dealer avec des gens à l’aise de verser dans la désinformation pour faire des gains politiques. La naïveté de ces personnes nous coûte cher, collectivement, et elle est en partie responsable de la fragilisation des démocraties en Occident.

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Les médias traditionnels tombent souvent dans le panneau en déroulant le tapis pour des « intellectuels » ou des « débatteurs » (qui sont surtout des influenceurs à la méthodologie douteuse) au nom de la pluralité des voix et de l’importance de maintenir le dialogue entre les différentes classes de citoyens pour rompre avec la polarisation ambiante. C’est très trendy dans le contexte sociopolitique actuel et il faut effectivement continuer en ce sens… à condition de savoir contrer les philosophies intolérantes par des arguments logiques. Cette dernière phrase n’est pas de moi, elle vient d’un certain Karl Popper, un philosophe d’origine autrichienne, qui s’est appuyé sur les événements de la Seconde Guerre mondiale pour développer ce qu’il a appelé le « paradoxe de la tolérance ».

On pourrait résumer sa pensée ainsi : à force de faire place à des intolérants, ils finissent par occuper tout l’espace et une fois qu’ils sont installés, parce qu’ils sont intolérants, ils en chassent les tolérants. And just like that, tel est pris qui croyait prendre. La fenêtre des sujets acceptables en société glisse tranquillement vers l’extrême droite qui devient simplement la droite au fur et à mesure que ses idées nauséabondes se fraient un chemin des marges jusqu’au centre, dans des canaux populaires.

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La tolérance ne devrait jamais signifier d’offrir une tribune sans résistance à ceux qui en abusent ; elle exige au contraire une vigilance de tous les instants pour les confronter.

J’irais même plus loin, au risque de flirter avec l’élitisme : ça prend un certain bagage universitaire pour soutenir des conversations avec des personnes comme feu Charlie Kirk ou Mathieu Bock-Côté, défendant des agendas qui ont le potentiel de nuire à la cohésion sociale ou de s’attaquer aux droits et libertés de certaines catégories de citoyens.

D’abord parce qu’il faut être capable de reconnaître les mécanismes élémentaires de manipulation psychique et politique auxquels ils ont recours : les sophismes de base, les raisonnements circulaires, les appels à l’émotion (j’ai déjà fait des capsules pour enfants là-dessus que je recommande désormais aux adultes), les fausses équivalences, les dog whistles qui visent des groupes spécifiques sans jamais les nommer, et les tentatives d’emballer des idées de merde (et ici, je ne parle pas de la fermeture des frontières, n’essayez pas de me faire passer pour une « mondialiste ») dans un bas de soie.

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Ensuite, parce qu’il faut avoir fait des travaux, avoir appris à fouiller, à argumenter, à vérifier, à construire une démonstration sur papier. Il faut avoir lu des livres, beaucoup de livres et s’intéresser à la LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE. Un dossier de recherche, même rigoureux, ne remplace pas une vraie bibliographie composée d’ouvrages qui recontextualisent le monde, ses systèmes, ses dérives et ses mutations À TRAVERS LES SIÈCLES. Bref, il faut avoir fait ses devoirs. Parlez-en à l’éditeur/auteur Mark Fortier, qui a lu un an de MBC pour se faire une tête sur le bonhomme.

Vous comprenez que c’est pas des kids de 18 ans sur des campus universitaires ou des entertainers, même avec beaucoup de verve et un bon sens de la répartie, qui peuvent faire ça.

Je sais que c’est une conversation délicate à avoir et que je ne me ferai pas d’amis en m’y aventurant parce que j’ai l’air de remettre en question l’intelligence, la compétence et le talent des personnes présentes autour de la table à Tout le monde en parle, hier soir. Mais, à mon sens, ça n’a rien à voir avec l’intelligence, la compétence ou le talent ; c’est d’abord une question de ressources et d’outils pour au moins soutenir le niveau du débat, à défaut de l’élever. Est-ce que les humoristes sont vraiment les personnes les plus qualifiées pour répondre à des propagandistes?

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La question devrait se poser sérieusement chez le diffuseur public (qui m’emploie comme collaboratrice sur différents projets, je le précise par souci de transparence, pas pour brag) pour l’avenir de notre démocratie.

Je ne sais pas si c’est encore le cas, mais dans mon temps (en 2015, lol), les aspirants journalistes devaient passer 3 examens (100 questions de culture générale, 100 questions de français, un examen de rédaction et de traduction) pour travailler dans la salle de nouvelles de Radio-Canada.

Pourquoi n’y a-t-il pas un standard similaire pour les émissions qui veulent faire de l’infodivertissement? Pourquoi n’y a-t-il pas plus de sociologues, d’anthropologues, de philosophes, de théologiens, d’historiens et de géopolitologues, pleinement intégrés aux équipes, plutôt que de passage pour faire la promo de leurs affaires, dans des émissions de grande écoute? Ça se voit ailleurs, en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis où on va chercher cet équilibre-là entre les entertainers capables de commentaires politiques et les universitaires capables de faire lever le party.

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En 2025, à l’ère de la polycrise où toute va mal tout le temps, ce n’est plus viable pour nous politiquement d’opposer charisme et bienveillance à la malhonnêteté intellectuelle.

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