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Petite-Vallée : plus fort que les désastres

Quand la taille d'un petit village grandit exponentiellement le temps d'un événement, tout le monde doit mettre la main à la pâte!

Par
Billy Eff
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Une première partie de cet article a été publiée ici.

Il y a deux semaines, la municipalité habituellement quiète de Petite-Vallée, en Gaspésie, accueillait plus de 6 000 festivaliers pour son annuel Festival en chanson. Un retour progressif vers la normale, pour ce petit village de 160 habitants permanents, et qui a l’habitude de recevoir 16 000 touristes pour cet événement.

Comme tous les festivals, celui de Petite-Vallée a dû apprendre à s’adapter à la pandémie. L’an dernier, le patron Alan Côté et son équipe ont offert aux habitués des spectacles hybrides, avec plus de représentations en extérieur, et même une randonnée en chanson sur le mont Didier!

Ce n’est quand même pas une pandémie qui allait arrêter le village, ou son festival!

Accumuler les malheurs, multiplier les succès

Car la crise sanitaire n’était qu’un caillou additionnel dans les souliers des organisateurs du Festival en chanson de Petite-Vallée. Ce fut un malheur généralisé lorsque le Théâtre de la Vieille-Forge, qui servait de salle principale pour la plupart des concerts de l’événement, a été ravagé par les flammes en août 2017. Au printemps suivant, c’est la Maison Lebreux, l’auberge avoisinante, qui était incendiée.

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« Ç’a été vraiment émotif, quand la Vieille Forge a brûlé. Il y a vraiment eu un “avant” et un “après”; il y a eu beaucoup de drames accumulés, cette année-là », me confie Klô Pelgag, qui a déjà joué au festival huit fois dans le passé (il s’agit d’une estimation de la principale intéressée). « J’avais plein de souvenirs dans cet endroit-là, ça m’a fait quelque chose de savoir que ce n’était plus là. Même quand je retourne dans le chapiteau, je sens que c’est pas pareil et je m’ennuie de la Vieille Forge. »

Quelques jours avant le début du festival, la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, a annoncé que le gouvernement du Québec s’engageait à octroyer un budget de 9,8 millions de dollars pour la reconstruction du théâtre, qui devrait être inauguré à l’édition 2024. Les organisateurs font par ailleurs appel au gouvernement fédéral pour une aide additionnelle de 3 millions de dollars.

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Un festival par les locaux, pour les locaux

Habituée aux intempéries, l’équipe a pu procéder dans des conditions plus ou moins normales en 2018 et en 2019. Un chapiteau accueille maintenant le café-bar où se rejoignent les festivaliers et les artistes pour un verre au bord de la mer en fin de soirée. La jauge réduite de capacité a fait que les organisateurs ont pu accueillir environ 10 000 festivaliers de moins qu’à l’habitude, ce qui ne veut pas pour autant dire leur vie fut plus facile.

« On a la chance que les gens s’attachent au festival et veulent aider. Autrefois, 80% des bénévoles, c’était des gens du village. Aujourd’hui, les gens viennent de la ville et prennent des vacances pour donner un coup de main! On rajeunit le festival, autant au niveau spectateurs qu’organisation. », dit Côté. Et lorsque les mesures sanitaires ont forcé les organisateurs à repenser leur service de traiteur pour les artistes, « des femmes du village ont levé la main et ont dit “Si vous avez besoin d’aide, on sortira de notre retraite. On va mettre nos chapeaux et on va vous faire de la bouffe!” Ça m’a beaucoup touché, j’étais très content de ça. »

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Particulièrement fier des artistes qu’il a aidés à faire rayonner au fil des années, et avec qui il continue d’entretenir un rapport très bienveillant, Côté renouvelle chaque année le pari de miser sur la relève. Pour preuve Mattiu, un des artistes-phares de cette année, chanteur originaire de la communauté Mani-utenam, a commencé son parcours au festival il y a plusieurs années comme technicien de scène. Et, conscient des difficultés auxquelles les artistes moins connus ont dû faire face dans la dernière année et demie, il a choisi de faire du festival un endroit propice à l’essai et au nouveau.

« On s’est rendu compte qu’on était souvent le premier endroit où les gens rejouaient pour la première fois, après la pandémie », m’explique Alan Côté. « Soudainement, les tests de son se transformaient en répétitions de show complet. Mais on a été bon joueur, et on s’est dit que si ça peut aider la machine à repartir pour ces artistes-là, on allait aider. »

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Rester une vitrine

Malgré tout ce qui peut arriver, le Festival en chanson de Petite-Vallée ne perd pas de vue l’important : tisser des liens en faisant rayonner la culture. Que ce soit à travers des spectacles collaboratifs comme ceux qu’ils ont proposés avec leur nouvelle formule de « Marées », ou à travers les nombreux ateliers d’artistes. Ce sentiment est partagé par plusieurs artistes, à commencer par Klô Pelgag.

« C’est un endroit important pour moi. Ç’a été mon premier genre de concours, je me suis fait plein d’amis comme Philippe Brach, Lisa LeBlanc, VioleTT Pi. C’est très significatif pour toi, ce que tu vis dans les premières années de ta vingtaine. Donc c’est un festival qui m’a beaucoup marqué », ajoute Klô Pelgag. « J’ai grandi à Sainte-Anne-des-Monts, qui est pas hyper loin. Donc il y a cette proximité, qui me permet de retourner en Gaspésie au moins une fois aux deux ans. »

Protéger son écosystème

Au-delà de l’aspect culturel, central à l’événement, le festival est aussi un moteur économique pour le village et sa région. Chaque année, ce sont des retombées de plusieurs millions de dollars, et Alan Côté a à cœur que le village garde son charme, sa taille humaine et sa quiétude. Mais le marché immobilier qui s’enflamme, l’amour que se sont découvert les citadins pour la Gaspésie et la possibilité d’un monde où on peut rester en télétravail pour toujours forment un trio explosif qui pourrait déstabiliser Petite-Vallée, comme c’est arrivé autre part.

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« C’est certain que c’est le village qui s’adapte à nous. Mais en même temps, on est très respectueux du village et de son écosystème, de son écologie. Le village vieillit, on a de nouveaux arrivants avec lesquels composer » m’avoue Alan Côté. « Notamment, les gens qui achètent des maisons pour en faire des Airbnbs, ce que je ne trouve pas nécessairement sain pour le village. Parce que ça ne rajoute pas d’enfants à l’école, ça ne crée pas une synergie avec la population. On devrait être heureux et se dire que c’est le fun qu’il y ait plein de gens qui viennent en vacances, mais ce n’est pas ça ma vision d’un village. »

Que ce soit à travers le Festival, le Village en Chanson, ou de par les nombreux événements qu’organisent le patron et son équipe, le village de Petite-Vallée et sa mission culturelle sont maintenant inextricablement liés, et ça ne s’arrêtera pas de sitôt. Et les habitants en sont conscients : lors d’un déjeuner avec des locaux, tous se sont mobilisés en un instant pour aller aider l’équipe de bénévoles à rapidement déplacer les 200 chaises d’un concert. De la pharmacienne à la poissonnière, tous se relaient, ferment leur commerce plus tôt, tout ça dans le but d’aller profiter des concerts et encourager les arts québécois. Et malgré les obstacles, Petite-Vallée reste aussi irréductible qu’à son habitude.

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« On essaie de contribuer à l’essor du village autrement », conclut le président du festival. « Premièrement en organisant des résidences pour les artistes. On a le nouveau théâtre qui va arriver, plein de nouvelles infrastructures pour loger les gens. On va continuer de faire ce qu’on a toujours fait, mais avec plus de moyens pour le faire! »