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Le grand retour du Festival en chanson de Petite-Vallée
Depuis le début de la pandémie, les organisateurs de festivals ont dû apprendre à repenser leur organisation. Contacts physiques limités au strict minimum, masques et mesures sanitaires constamment changeantes selon l’état de la crise; c’est l’équivalent de rajouter milles pièces dépareillées à ce qui est déjà en temps normal un casse-tête logistique.
J’ai eu la chance inouïe d’assister à une poignée de festivals qui se sont déroulés malgré la crise sanitaire, tous très plaisants et bien organisés. Mais quand j’ai entendu l’histoire du Festival en chanson de Petite-Vallée, j’ai tout de suite compris qu’il fallait que j’aille en faire l’expérience moi-même. Selon la légende, telle qu’elle m’a été racontée, un groupe de jeunes un peu flyés aurait décidé en 1983 d’organiser un petit évènement annuel pour les habitants des environs, et leurs enfants qui reviennent en vacances voir leurs parents. Quatre décennies plus tard et après avoir fait briller plusieurs grands noms de la scène musicale québécoise, le festival ne cesse de grandir, changeant au fil du temps la face de ce petit village de moins de 200 habitants. Tout ça malgré une pandémie et deux incendies qui ont détruit des lieux marquants du festival.
Arriver en territoire inconnu
Peu à peu, on réalise vers où on s’en va : un festival, un vrai, le premier depuis longtemps.
En longeant la 132 durant plusieurs heures, on a le temps de contempler l’immensité de l’eau, du territoire de la Gaspésie, et de l’aspect féérique que tout ça prend lorsque le soleil se couche sur le fleuve. Peu à peu, on réalise vers où on s’en va : un festival, un vrai, le premier depuis longtemps.
Lorsqu’on arrive enfin à Petite-Vallée tard le soir, il est difficile de s’imaginer que le lendemain, ce sera bondé de monde, que la musique emplira les rues. Pourtant, dans ce petit village qui n’en connait jamais, de (mini) bouchons de circulation se forment, alors que les vans Légaré transportent le stock et les artistes de scène en scène, que les festivaliers cherchent le chalet qu’ils ont loué, que les connaisseurs s’empressent de passer à la Glacerie pour un encas avant le prochain spectacle.
Une programmation éclectique
Au Bar d’la Mer (oui, c’est exactement ce que le nom laisse penser), je commence en douceur mon expérience de festival. Ici, on vient pour faire des découvertes. Pour moi, la première fut Mamzelle Ruiz. Arrivée au Québec en 2010 pour travailler avec le Cirque du Soleil, l’auteure-compositrice-interprète originaire du Mexique propose un folk latin suave, envoutant, qui berce comme les vagues de la mer qu’on aperçoit en arrière-plan.
Plus tard, c’est au Grand Chapiteau Québecor, installé sur le terrain de baseball de l’école secondaire de Grande-Vallée (devant laquelle trônent des pancartes avec les photos des dix gradués de la promotion 2021), que se livre Tire le Coyote. Lui-même ancien joueur de baseball semi-pro, l’artiste et sa bande de collaborateurs ont offert une solide heure et demie de rock teinté de bluegrass fuelé au whisky et aux kilomètres sur la route. Ici et là, les musiciens quittent la scène pour laisser place au duo Tire le Coyote/Jeannot Bournival, la paire ayant fait paraître plus tôt cette année Le temps des autres, un projet de versions épurées de reprises de certaines des chansons préférées du chanteur.
La soirée se termine en force au Théâtre de la Vieille-Forge avec le toujours excellent KNLO. Entouré de sa compagne Caro Dupont et de son acolyte Vlooper, le rappeur originaire de Ste-Foy prouve une fois de plus qu’il est hors compétition, lorsqu’on parle de la scène rap québécoise. De ses interactions avec le public, des pauses qu’il prend pour freestyler entre les chansons à la symbiose qu’a le trio sur scène, il joue clairement dans sa propre ligue. Du fun pour toute la famille !
Un festival ancré dans ses valeurs
Au cours des prochains jours, artistes et festivaliers me recommandent avec la même fébrilité d’assister au spectacle de Nikamu Mamuitun, le mercredi après-midi. Le projet imaginé par le programmateur et DG du Festival, Alan Côté, réunit sur scènes quatre artistes autochtones et quatre artistes allochtones. Sous la supervision de mentors de premier choix, comme Florent Vollant et Marc Déry, le collectif de jeunes artistes aborde des sujets complexes avec beaucoup de sensibilité, avec comme trame de fond un folk qui tire sur le country. Assurément une des plus belles découvertes du festival !
un des avantages de Petite-Vallée est le fait que c’est un bon endroit pour tester du nouveau matériel […] les festivaliers sont là pour tout entendre et tout applaudir.
Ce soir-là, c’est l’iconique Daniel Boucher qui prend possession du Théâtre de la Vieille-Forge. Celui qui y a fait ses débuts en 1997 ne cessera à travers la soirée de répéter son bonheur de revenir au festival, de revoir les habitants et surtout de retrouver son public. Comme plusieurs des autres artistes le mentionneront également au courant du festival, un des avantages de Petite-Vallée est le fait que c’est un bon endroit pour tester du nouveau matériel. Des chansons incomplètes, des couplets en attente d’une mélodie ou des pièces instrumentales; les festivaliers sont là pour tout entendre et tout applaudir.
Si le public est aussi compréhensif, c’est qu’il fait lui aussi partie du festival. Contrairement à un Osheaga ou un Jazzfest, les barrières (autant physiques que sociales) sont très peu présentes, ici. Lorsqu’un artiste termine son spectacle, il sort de scène pour directement venir s’asseoir dans la salle, prendre une bière offerte par un spectateur ou discuter avec le mécanicien du village des meilleures options pour une van qui tombe en ruine. Cette promiscuité induite par la taille humaine du village contribue grandement à l’esprit et au rayonnement du Festival en chanson de Petite-Vallée. Comme me le confirme le big boss Alan Côté, «c’est le village qui s’adapte au festival!».
Trois grandes marées
Un des nouveaux concepts qu’ont mis sur pied Côté et son équipe cette année est celui des Marées, des spectacles collectifs rassemblant sur scène un «artiste-passeur» (autrefois appelés «mentors», lorsque le Festival avait encore un volet concours), et des artistes de la relève de son choix. Les trois passeurs furent cette année des habitués : Klô Pelgag, Louis-Jean Cormier et Tire le Coyote. À chaque spectacle fut aussi associé des metteurs en scène, en l’occurrence Ines Talbi pour la Marée du Coyote, Phillip Brach pour celle du Grand Héron, et Martin Léon pour celle du Loup. Pas seulement confinés aux scènes de Petite-Vallée, ces Marées ont été présentées un peu partout au Québec sous différentes formes.
Outre la chanson et les musiques populaires, le Festival en chanson de Petite-Vallée a aussi programmé quelques choix aussi ambitieux qu’inusités. C’est ainsi que nous, une centaine d’autres festivaliers et moi-même, furent conviés samedi après-midi sur la pelouse d’un ancien motel, sous un soleil chaud, à un concert intime et minimaliste de la soprano Marie-Josée Lord. Pendant près d’une heure dans un décor enchanteur, elle nous régala de mélodies du vieux continent, de Bizet à Catalani en passant par Cardillo. De quoi égayer nos cœurs avant la grande finale du festival.
«Chanter plus fort que la mer»
Au fil des chansons, les artistes prennent différentes positions, devant le micro ou derrière des instruments, pour réinterpréter les chansons de l’un l’autre, avec beaucoup de cœur et d’admiration mutuelle.
Pour sa Marée, Louis-Jean Cormier, grand habitué du festival et, accessoirement, cousin d’Alan Côté (à qui il donne le crédit de lui avoir appris ses premiers accords de guitare), a choisi d’inviter sur scène Vincent Vallières, Beyries, Matiu, Cindy Bédard, Gab Bouchard et Laura Niquay. Au fil des chansons, les artistes prennent différentes positions, devant le micro ou derrière des instruments, pour réinterpréter les chansons de l’un l’autre, avec beaucoup de cœur et d’admiration mutuelle.
Une fois la nuit tombée sur la plage derrière le Café de la Vieille-Forge, sorte de QG du festival, artistes et spectateurs échangent autour d’une bière ou d’un feu de camp, se rappelant avec nostalgie les années précédentes, s’étonnant du succès de cette édition et trinquant à l’espoir que le festival puisse revenir l’an prochain sous sa formule originale, et avec ses 16 000 spectateurs tous réunis. Le lendemain, le ventre rempli de fruits de mer et de bières de microbrasseries, la cohorte de touristes refait son chemin vers la grand’ ville, le village retrouve sa quiétude habituelle, et tous peuvent se targuer d’avoir réussi à garder en vie la devise du festival, en chantant «plus fort que la mer».