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La petite histoire des vélos fantômes
Si vous habitez à Montréal, vous avez peut-être déjà remarqué les vélos fantômes. Il y a celui sous le viaduc de la rue St-Denis, celui au coin des rues Wellington et Nazareth ou encore celui installé en hauteur sur un poteau de la 19e avenue au coin de Saint-Zotique la fin de semaine dernière. Sertis d’une plaque et couverts de fleurs, pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre qu’ils sont posés en mémoire de cyclistes décédés sur la route.
Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est qu’ils sont tous installés par le même collectif, dont je suis cofondatrice. Les gens sont souvent surpris quand j’en parle : « Eh ben, je ne pensais pas qu’il y avait quelqu’un qui s’occupait de ça. » Ça me fait généralement sourire (tsé, ils viennent d’où, les vélos, sinon?), mais surtout je suis heureuse de voir que les vélos fantômes sont plus connus que ceux qui les accrochent. Parce que l’important c’est le message : il reste du travail à faire pour que la route soit sécuritaire pour tout le monde, surtout les plus vulnérables.
Faire quelque chose
Vélo fantôme Montréal est né dans un bureau du centre-ville en 2013. Ma collègue et amie Hélène Lefranc était arrivée au travail bouleversée : la veille, elle remontait l’avenue du Parc à vélo derrière une autre cycliste. Un automobiliste stationné a ouvert une portière, la cycliste a tenté de l’éviter et a été happée par un chauffeur d’autobus, qui n’a jamais eu le temps de réagir.
J’ai des amis qui accrochent des vélos fantômes sur les lampadaires à Guadalajara au Mexique depuis 2009. Quand j’en ai parlé à Hélène, l’ampoule s’est allumée.
Hélène était sous le choc, et elle voulait faire quelque chose. Pendant quelques semaines, nous avons jonglé avec l’idée de lancer une campagne de sensibilisation ou d’acheter un gros panneau publicitaire pour mettre les gens en garde contre les portières.
Puis je me suis souvenue du mouvement mondial Ghost Bike. Né en 2003 à St-Louis au Missouri, il a depuis fait des émules à travers le monde, comme à Toronto, à New York et à Minneapolis. J’ai des amis qui accrochent des vélos fantômes sur les lampadaires à Guadalajara au Mexique depuis 2009. Quand j’en ai parlé à Hélène, l’ampoule s’est allumée.
Un vélo peint en blanc
Comment ça s’organise une cérémonie de vélo fantôme? Depuis le début, on fait à peu près la même chose : on contacte les proches, pour s’assurer de leur consentement. Ensuite, on crée un événement Facebook qu’on partage dans tous les groupes de vélo. Si le vélo de la victime n’est pas en assez bon état, on demande à notre atelier de vélo communautaire local s’ils peuvent nous donner un vélo qu’on peint en blanc avec deux-trois canettes de peinture. On fabrique la plaque avec des marqueurs et du bois qu’on trouve. Quelques jours avant l’événement, on envoie une invitation aux médias. Le jour même se retrouvent rassemblés une centaine de personnes qui croient elles aussi que c’est important d’agir contre la violence routière.
Demander mieux
Depuis sa fondation en 2013, le collectif Vélo fantôme a posé huit vélos peints en blanc sur le territoire montréalais, pas exactement un pour chaque cycliste décédé pendant la même période, et un à Mirabel. Chacun d’entre eux honore la mémoire d’une personne décédée sur la route et devient un symbole qui « suscite une réflexion sur les dangers des véhicules motorisés » (dixit nos communiqués de presse).
Pour nous, ça veut dire des aménagements qui respectent les besoins de tout le monde qui se promène à vélo ou à pied, comme des pistes cyclables qui ont du sens. Ça veut aussi dire changer les lois pour éviter qu’elles nous obligent à faire des choses dangereuses (comme la loi qui obligeait à circuler le plus à droite de la route possible, juste dans la zone où on peut se faire emportiérer et qui a été changée dans la nouvelle version du Code de la route). On présente des mémoires dans le cadre des consultations publiques qui s’intéressent à la sécurité routière.
Pour nous, ça veut dire des aménagements qui respectent les besoins de tout le monde qui se promène à vélo ou à pied, comme des pistes cyclables qui ont du sens.
Une de nos revendications, c’est aussi de changer le vocabulaire utilisé pour parler des décès et blessures sur la route. On veut notamment remplacer le mot « accident » par « collision ». Pourquoi? Parce que quand quelqu’un meurt à vélo sur la route, ce n’est pas accidentel. C’est souvent le résultat d’un mauvais aménagement ou d’une conduite négligente. C’était prévisible, il y avait une manière d’empêcher que ça se produise. Et ça, c’est le nœud de ce qu’on réclame.
Surtout, on veut éviter de donner l’impression que faire du vélo est dangereux. D’une part, parce que la meilleure façon de rendre le cyclisme sécuritaire, c’est d’être de plus en plus de cyclistes sur la route. D’autre part, parce que les usagers les plus vulnérables, c’est les piétons (environ un piéton par semaine est heurté mortellement au Québec). En attirant l’attention sur les problèmes, on veut rendre le cyclisme encore plus populaire, encore plus sécuritaire.
On nous demande souvent quand on va retirer les vélos. La réponse est toujours la même : quand le problème qui a mené au décès du cycliste sera réglé. Pour le moment, tous les vélos fantômes sont encore là.