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Les mots pour parler de la violence psychologique dans un couple

Idéalisation, gaslighting, trauma bonding: un lexique sur les abus pour mieux les reconnaître et s'en libérer.

Par
Laura Laval
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Pour beaucoup de gens, la violence psychologique est un concept vague, qui pourrait se limiter à la violence verbale.

Pourtant, c’est assez facile à définir. La violence psychologique est une violence morale.

L’identifier, par contre, c’est moins évident. C’est un ensemble de comportements qui affecte l’estime de soi des victimes, qui manipule leur sens de la réalité et qui détruit leur autonomie émotive.

Quand on la vit en couple, c’est de la violence conjugale (qu’elle soit accompagnée ou non de violence physique ou verbale). Quand on la vit au travail, on parle plutôt de harcèlement moral. Elle existe également à plus grande échelle, souvent entre une société et certaines minorités qu’elle marginalise.

On a pu en voir quelques exemples lors de la vague de dénonciations d’agressions et d’inconduites sexuelles, soit entre les victimes de ces agressions et leurs agresseurs, soit entre les victimes et le discours de certains médias, commentateurs et humoristes.

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Pourtant, ses effets psychologiques sont les mêmes que ceux associés à la violence physique : anxiété généralisée, dépression chronique, syndrome de choc post-traumatique, idées suicidaires, etc.

Certaines études avancent même que la violence psychologique occasionne un plus grand traumatisme que la violence physique peu fréquente.

Il s’agit souvent de gestes et paroles d’apparence inoffensive si on les isole, mais qui, à force d’être répétés, provoquent des résultats qui deviennent de plus en plus lourds à supporter.

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Les victimes de violence psychologique n’arborent pas de blessures physiques comme des ecchymoses ou des os fracturés, mais des études ont fait des liens entre la violence psychologique et des troubles de santé physique comme la somatisation, les troubles gastro-intestinaux ou encore la douleur chronique.

Parce qu’on ne peut la retrouver que dans les espaces négatifs de nos relations avec les gens (le malaise mystérieux et inexplicable qu’on ressent entre deux paroles, entre deux gestes), ces comportements insidieux sont donc difficiles à détecter et à démontrer.

Pris individuellement, ces gestes et ces paroles peuvent avoir l’air anodins. C’est à force d’être répétés qu’ils ont des conséquences pas mal plus dommageables.

Certaines personnes ayant vécu de genre d’abus ne savent parfois même pas qu’elles ont vécu de la violence psychologique. Elles sentent que quelque chose ne va pas, mais elles sont incapables de mettre le doigt (et les mots) sur ce qui cloche.

C’est pour tenter de mieux cerner ce type de violence que je vous propose ce lexique, qui recense certaines tactiques de manipulation utilisées par les abuseurs et abuseuses.

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Parce que parfois, nommer les choses, ça ouvre une porte vers la guérison.

À noter : les termes suivants ne sont pas tous des termes «officiels». Vous remarquerez aussi que plusieurs termes sont en anglais. La littérature et les thérapies pour les victimes de ce genre d’abus sont plus développées aux États-Unis actuellement. Il existe également plusieurs communautés de survivants d’abus psychologique en ligne et sur les médias sociaux qui ont contribué à l’adoption de plusieurs termes.

À noter 2 : dans ce texte, je me concentrerai sur la sphère amoureuse pour expliquer le phénomène.

Idéalisation (ou love bombing)

C’est la première phase d’une relation avec un abuseur.euse. C’est une période où, pour apprivoiser la future victime, l’abuseur.euse lui offre compliments et gestes d’affection, souvent de façon très intense et/ou démesurée.

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C’est la première phase d’une relation avec un abuseur.euse. C’est une période où, pour apprivoiser la future victime, l’abuseur.euse lui offre compliments et gestes d’affection, souvent de façon très intense et/ou démesurée. Cela sert à deux choses : tout d’abord, une fois la victime en confiance, il est plus facile pour l’abuseur.euse de récolter certaines informations sur ses peurs, ses vulnérabilités, ses points faibles, informations qu’iel utilisera à ses fins par la suite. Par exemple, si l’abuseur.euse apprend que la victime souffre d’un trouble anxieux, iel pourra utiliser cette information pour renverser sur elle la responsabilité de l’abus. La seconde utilité de l’idéalisation, c’est qu’elle sert à conditionner la victime à supporter les abus à venir. C’est-à-dire que lorsqu’un épisode d’abus a lieu, la victime se souviendra de la période d’idéalisation et cherchera à la retrouver en tentant de modifier son propre comportement.

Negging (ou négation)

Le negging faisait à l’origine partie du vocabulaire des « pick-up artists » ou « experts en séduction ». En faisaint un compliment « à l’envers » à quelqu’un d’autre, on diminue sa confiance et, par le fait même, on crée un besoin d’approbation dont profite l’abuseur.euse. Exemples :

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« Tu as publié ton premier roman pour adolescents ? Bravo ! Peut-être qu’un jour tu pourras écrire de la vraie littérature ! »

« T’es pas comme les autres filles. »

« T’es quand même drôle pour une fille ! »

« Bravo pour l’article que tu as publié ! Je ne m’attendais pas à ce qu’il devienne aussi populaire ! »

Quand le negging est relevé, la réponse habituelle est une forme de gaslighting (définition à voir plus loin) :

« C’tait juste une joke ! »

« My God, t’es donc ben insécure ! »

« J’t’agace, voyons ! «

Dévaluation

La seconde phase d’une relation abusive. Subtilement, imperceptiblement, différentes formes de violence psychologique sont perpétrées à l’endroit de la victime. On se demande souvent pourquoi certaines personnes agissent de façon abusive. Parfois ça relève de la pathologie, parfois d’un narcissisme aveugle. Ce qui différencie un.e abuseur.euse psychologique d’une personne normale, c’est que lorsque cette dernière est mise au courant de son comportement problématique, elle est capable de reconnaître son tort, d’éprouver de l’empathie pour l’autre et de modifier son comportement. L’abuseur.euse, de son côté est convaincu.e que ses actes sont justifiés.

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Allégorie de la grenouille dans l’eau bouillante

C’est une allégorie souvent utilisée pour expliquer pourquoi il est si difficile de reconnaître la violence psychologique. Si vous plongez une grenouille dans une casserole d’eau bouillante, elle s’enfuira immédiatement. Mais si vous la plongez dans de l’eau froide et que vous réchauffez l’eau très lentement, la grenouille ne s’apercevra pas du danger et n’aura plus la force de sauter hors de la casserole quand l’eau sera devenue trop chaude.

Et pour expliquer que pourquoi ce type d’abus se perpétue de façon très subtile, il y a l’allégorie des roches sur la grève. Si, en se promenant sur la plage, on s’amuse à ramasser des pierres, une seule pierre ne pèse pas beaucoup. On peut aisément la placer dans notre sac. C’est une fois qu’on a ramassé plusieurs pierres qu’on s’aperçoit que le sac devient trop lourd à porter. Un geste irrespectueux, mais mineur, en soi peut ne pas être considéré comme de l’abus. Mais plusieurs gestes, d’apparence anodine, répétés dans le temps deviennent une situation abusive.

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Gaslighting

Ce terme jouit d’une grande popularité ces derniers temps. Ma collègue Julie Lemay s’est penchée sur le sujet dans ce pertinent texte que je vous conseille vivement de lire.

En gros, gaslighter quelqu’un dans une situation de violence psychologique, c’est quand l’abuseur.euse distortionne consciemment la réalité afin de la nier ou la diminuer.

En gros, gaslighter quelqu’un dans une situation de violence psychologique, c’est quand l’abuseur.euse distortionne consciemment la réalité afin de la nier ou la diminuer. Par exemple, si vous entamez une conversation avec l’abuseur.euse au sujet d’un geste ou d’une parole irrespectueuse à votre endroit, soit iel niera que la parole ou le geste a été dit ou posé, soit iel vous reprochera votre réaction à cette parole/geste. Si l’abus vous a mis en colère, iel vous reprochera d’être agressif/ve, si l’abus vous a fait de la peine, iel vous reprochera d’être trop sensible ou insécure. L’abuseur.euse peut aussi décider de vous punir d’avoir osé en discuter, par exemple en cessant tout contact avec vous pendant quelques jours ou en retirant son affection ou son attention. Avec le temps, vous commencez à douter de votre perception de la réalité (« Est-ce qu’il a vraiment été abusif avec moi ou bien suis-je trop sensible ? »), à ignorer votre instinct et vos propres limites et vous apprenez tranquillement à ne pas réagir à son abus ni à en discuter avec lui par peur de représailles.

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Triangulation

Les abuseurs.euses créent, fabriquent ou provoquent des émotions et des réactions chez leur victime de façon à mieux la contrôler. La triangulation est une autre technique de manipulation, où l’abuseur.euse amène une troisième personne dans la relation pour ébranler et affaiblir la victime et l’inciter à chercher l’approbation et la validation auprès de l’abuseur.euse. Dans un contexte amoureux, il peut s’agir de l’ex-partenaire de l’abuseur.euse, d’une personne avec qui l’abuseur.euse entretient une liaison extra-conjugale ou de toute autre personne que l’abuseur.euse peut transformer en rival.e pour la victime. Cela permet de maintenir la victime sous contrôle en provoquant chez elle doute, jalousie, incertitude, peur de se faire laisser, etc. De plus, ça fournit à l’abuseur.euse de l’attention supplémentaire ainsi que l’impression qu’iel est en demande.

La triangulation est une autre technique de manipulation, où l’abuseur.euse amène une troisième personne dans la relation pour ébranler et affaiblir la victime et l’inciter à chercher l’approbation et la validation auprès de l’abuseur.euse.

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Comment ça se traduit ? L’abuseur.euse peut flirter ouvertement avec d’autres personnes, tromper la victime (émotionnellement ou physiquement), comparer la victime avec un.e ex (« Mon ex n’était pas aussi dramatique que toi ! »), créer un différend entre les deux personnes triangulées à l’aide de fausses informations, etc. Bref, l’abuseur.euse place consciemment sa victime dans un triangle relationnel toxique, ce qui érode la confiance en elle de la victime et la fait douter de sa propre perception de la réalité et de la validité de ses propres émotions.

Trauma bonding

C’est une stratégie de survie que plusieurs survivant.es adoptent et comprendre le trauma bonding permet d’expliquer pourquoi ils restent dans la relation. Dans un environnement aussi hostile qu’une relation de violence conjugale, la victime sait qu’elle est constamment en danger de violence (physique, psychologique, émotionnelle). Cependant, lors de périodes plus calmes, l’abuseur.euse peut offrir à sa victime de petites pépites de gentillesse, d’attention, d’affection, ce qui donne l’impression à la victime qu’elle est à nouveau en sécurité, qu’elle est mieux connectée avec son/sa partenaire. C’est un peu comme le syndrome de Stockholm. Ces pépites de gentillesse indiquent faussement à la victime que l’abuseur.euse n’est pas si dangereux, qu’iel l’aime et l’apprécie et peuvent la convaincre de rester dans la relation, en espérant recevoir plus de ces pépites et, idéalement, revenir à la phase lune de miel de la relation.

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Dissonance cognitive

Une autre stratégie de survie, souvent inconsciente, qui explique pourquoi les victimes ont autant de difficulté à quitter la relation abusive.

Lorsqu’on est dans une relation où tellement de formes d’abus et de contrôle sont utilisées pour garder la victime sous emprise, la menace d’abus est constamment présente. Cela provoque chez la victime un état de confusion profonde. La victime sait que sa situation est défavorable, mais la peur de représailles de la part de son abuseur.euse si elle quitte la relation peut la forcer à rester. C’est là que la dissonance cognitive se trouve : deux idées contradictoires : d’un côté la victime se sait maltraitée et abusée, mais de l’autre elle a été convaincue qu’elle est la cause de son abus ou encore que son abuseur.euse la violente parce qu’iel l’aime. Quand le trauma bonding et la dissonance cognitive sont présents en même temps, la victime finit par croire que non seulement la relation est acceptable, mais qu’elle est indispensable pour sa survie.

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Il existe encore des dizaines de termes permettant de mettre en lumière les mécanismes et les effets de l’abus psychologique et émotionnel : word salad, silent treatment, no contact, grey rock, flying monkeys, complex-PTSD, etc.

Il s’agit de termes que les communautés de survivant.e.s et plusieurs thérapeutes ont adoptés afin de mieux définir ce type d’abus et surtout pour permettre aux victimes de mieux comprendre ce qui leur est arrivé et éventuellement, de commencer un processus de guérison.

Voici quelques ressources si vous désirez en apprendre davantage ou si vous aimeriez entreprendre des démarches de thérapie.

Note importante : certains sites web sont des blogues tenus par des psychothérapeutes et non des psychologues. Je ne les endosse pas nécessairement. Ils ne peuvent pas être considérés comme une forme de thérapie. Consultez-les à titre informatif seulement, poussez vos recherches le plus possible et n’hésitez pas à contre-vérifier vos données.

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