Bonjour Père Noël,
Devrais-je dire : Merhaba Sayın de Myre Bok büyük kazık?
Surpris que je t’aborde en turc? Tu pensais que trois ou quatre histoires floues sur ta provenance polaire, des rennes volants et des photos sur les canettes de Coke allaient faire oublier tes origines turques et ton rôle dans le surestimé Concile de Nicée?
Assis dans ton atelier rénové à l’époque des Filles de Caleb, tu as oublié que l’on avait accès à l’information. Toi tu as de la neige. Nous on a Wikipédia.
Je vais tout de suite mettre quelque chose au clair, c’est parce qu’on me l’a commandé que j’interromps mes vacances et mon marathon Des chiffres & des lettres pour t’écrire. Sinon, je n’aurais jamais eu l’idée parce que, fondamentalement, je n’ai rien à te dire.
En passant, oui je te tutoie. C’est ce que je fais avec les gens qui me déçoivent. T’en parleras au sommelier du Mike’s de Vaudreuil-Dorion et son “vin” maison… Mais son cépage Gatorade-raisin/peroxyde n’est même pas en compétition avec toutes tes déceptions. Parce que s’il y a bien une personne qui n’a jamais arrêté de me décevoir au fil de ma vie, c’est bien toi.
Par où commencer? Te souviens-tu de Noël 1993?
Moi, je m’en souviens. Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans ma liste? Il n’y avait qu’un seul article : “Camion des Ninja Turtles”. Tu seras d’accord avec moi pour dire que ces quatre mots sont plutôt simples. Alors, explique-moi comment “Camion des Ninja Turtles” s’est transformé en Encyclopédie de la médecine médiévale pour enfant?
Je veux bien que tu sois dyslexique et que le système d’éducation polaire ne vaille pas de la marde (À ce que je sache, aucun Prix Nobel n’a gradué de l’Université du Pôle Nord), mais il y a quand même des limites à la libre interprétation des mots!
Et l’encyclopédie n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Noël 1995 : Soldat de plomb de l’armée napoléonienne et d’autres jouets cancérigènes de 1932.
Noël 1998 : Jaquette de nuit avec capuche qui me donnait des airs de Geppetto dans Pinocchio.
Noël 2002 : Guide des records Guinness 1999
Pour plusieurs, la magie de Noël c’était de passer du temps en famille et déballer leurs cadeaux rêvés. Pour moi, c’était de voir le mot PlayStation se transformer miraculeusement en jouets de chez Ikea.
À ce propos, quel humain normal pense que les jouets chez Ikea vont r épandre le bonheur? Je vais te le dire, parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse : les jouets de chez Ikea ne créent pas le bonheur. Ils ne créent que la désolation et le regret de vivre. Pensais-tu que ça me rendrait heureux? Toi, tu te disais qu’à côté de la figurine de Star Wars donnée à Serge Duval, tout le monde s’arracherait ma peluche de Nøkken, l’esprit de l’eau dans la mythologie scandinave?
Quand je pense aux efforts que j’ai faits pour toi : avoir des bonnes notes, faire mon lit au carré et ranger mes jouets par ordre de couleur. Honnêtement, il y en a deux sur trois qui étaient dus à mes TOC non diagnostiqués… Mais quand même! Quelqu’un te donne deux biscuits au chocolat, tu lui donnes des beaux cadeaux. C’est un principe moral de base comme ouvrir la porte à une fille, remercier un bon samaritain et claquer des talons en se présentant à un aristocrate germanique.
Je ne t’aime vraiment pas Nicolas.
À cause de toi, j’ai sacrifié un nombre infini d’heures en ligne dans un centre d’achats; pris en sandwich entre des pleurs d’enfants et l’odeur d’excrément laissée par le renne que t’as trouvé judicieux de laisser errer dans l’enclos à côté de chez Suzy Shier. C’était vraiment une bonne idée ça! D’ailleurs, je suis sûr que c’est en voyant son regard qu’on a eu l’idée de fonder Suicide Action Montréal.
C’était pour que tu reçoives ma commande directement que j’endurais ces désagréments. Et tout ça pour quoi? Me faire dire : “Ho! Ho! Ho! Père Noël va voir ce qu’il peut faire…”, prendre une photo surexposée qui coûterait 82$ et recevoir une mini canne de noël de base que même ma coiffeuse me donnait. Merci beaucoup pour ses souvenirs immémoriaux! (Et merci à ton renne dépressif d’avoir mastiqué et ruiné ma tuque dragon)
À ta défense, tu as frappé fort lors du Noël de 1997. Je dois admettre que cette année-là, tu as parfaitement rempli la commande de : “Faire durer les vacances le plus longtemps possible”. Je t’ai trouvé très créatif avec le verglas et, en plus, ça m’a permis de voir Titanic 14 fois au cinéma. Mais, c’est bien ta seule réussite parce que je n’oublie pas le tapis de téléphone hongrois de Noël 2010.
Le pire c’est que tous ces cadeaux ont fini par me mettre en marge des autres.
Tes choix atroces ont contribué au développement d’une singularité qui, parfois fait rire, d’autres fois vaut un regard interrogateur. Dans la perspective où j’essaie de gagner ma vie en provoquant des rires, je ne te dirai pas merci. Je te dirai juste que c’était bien pensé.
Sur ce, je te laisse à tes derniers préparatifs et moi je retourne regarder Marion de Clermont-Ferrand dire “Consonnes, voyelles, consonnes, voyelles…” pour ensuite se faire mépriser par deux Français à la beauté al dente.
Bonne soirée de travail.
***
Pour lire un autre texte de Philippe Audrey Larrue St-Jacques : Simone de Beauvoir aurait aimé Marie-Mai.