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Pendant ce temps au Carrefour Laval
Pas de retour à la normale avant des mois, voire une année, prédisaient les experts en mars dernier, estimant le temps que ça prendrait avant la commercialisation d’un vaccin contre la COVID-19.
Le déconfinement s’est malgré tout accéléré à la vitesse grand V, jusqu’à la réouverture des gyms, des glissades d’eau, des camps de jour et des cinémas. Au moment d’écrire ces lignes, seuls les masques, les files d’attente, les bilans quotidiens du gouvernement et les clients du Mile Public House nous rappellent l’existence de la pandémie.
Mais le test ultime pour savoir si la vie normale a repris ses droits, c’est bien sûr d’aller faire un tour au Carrefour Laval.
Après avoir couvert la guerre en Afghanistan et l’ouragan Katrina, je me sentais à nouveau prêt à mettre ma propre vie en jeu au nom du droit du public à l’information.
J’ai donc sauté dans ma rutilante Matrix 2008 à peine rouillée (un traitement à l’huile de temps en temps), en direction de l’île Jésus. Avant la sortie du Carrefour, j’ai toujours une pensée solidaire pour ce pauvre Centre Laval, abandonné à son sort à l’est de l’autoroute 15.
C’est comme passer devant ton ex average dans l’agora de la polyvalente, pour aller frencher ta nouvelle blonde lifeguard au Super Aqua-Club de Pointe-Calumet.
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Le centre commercial ouvre à 11h et le stationnement est déjà presque plein, même si un soleil radieux brille de mille feux au-dessus du Cosmodôme. À l’entrée principale, les clients débarquent par grappes. La scène a quelque chose de déstabilisant. Après des semaines à entrer au compte-goutte quelque part, non sans d’abord se soumettre à un questionnaire complet sur notre état de santé, c’est étrange de voir les troupeaux pénétrer dans cette Mecque de la consommation.
Au fait, est-ce que quelqu ’un a déjà répondu: « Oui, je tousse du sang et j’ai perdu l’odorat en plus de mes graves difficultés respiratoires » à la question « Avez-vous des symptômes de la COVID » qu’on nous posait systématiquement à l’entrée des pharmacies?
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Si oui, écrivez-moi.
Dès qu’on pousse la porte, une dame avec une visière veille à ce que tout le monde se badigeonne les mains avec ce gel rappelant nos traumatismes liés à l’excès de Tequila Bang Bang.
« Bonjour, suivez les flèches à droite, gardez une distance et bon magasinage! », répète machinalement l’employée, aux hordes de clients qui entrent comme dans un moulin. « Je leur dis d’aller à droite, mais ils partent vers la gauche », soupire-t-elle lorsque je lui demande si les gens obtempèrent un peu.
Il faut avouer qu’on s’y perd un peu avec les pastilles de direction éparpillées au sol et les files devant les magasins. Celles devant les boutiques populaires surtout, qui s’étirent sur d’impressionnantes (désespérantes) distances.
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Des employés masqués avec des visières sont aussi postés devant chaque magasin, pour s’assurer que les gens se badigeonnent à nouveau de désinfectant. Bref, quelqu’un qui se lance dans une grosse séance de magasinage risque d’avoir les mains sèches au terme de son aventure mercantile.
Les queues les plus intenses se trouvent devant les magasins Zara, Nespresso et Apple, bref les trois seules compagnies qui ne se sont pas placées sous la protection de leurs créanciers ces derniers mois.
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Comme j’ai étudié en lettres à Lionel-Groulx, je ne suis évidemment pas insensible à ces dizaines de parapluies suspendus au plafond, au-dessus de petites chutes dans lesquelles les gens de l’Ancien Monde garrochaient des cennes ( une monnaie utilisée à l’époque) pour faire des voeux (oui les gens étaient naïfs comme ça).
Le spectacle est grandiose et fait rapidement oublier la faillite du Cirque du Soleil. Ajoutez deux acrobates, un mime, une madame qui fait du trapèze au-dessus de la chute et je traîne ma chaise la prochaine fois. En plus, j’ai croisé un kiosque où on vend du popcorn funky comme celui de François Lambert me semble.
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Dans toute cette liesse, d’immenses panneaux interactifs au-dessus des allées nous rappellent heureusement l’importance du deux mètres. Une consigne aussi populaire que l’émission Votre beau programme.
Au moins, le port du masque est répandu et touche plus de 50% des gens selon mes observations. Certaines boutiques l’imposent d’ailleurs, à commencer par le Apple Store, pris d’assaut. En plus du masque, un employé vérifie avec une machine la température de chaque client qui entre dans le magasin pour s’assurer qu’il ne fait pas de fièvre.
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Il y a deux files, une pour les achats et une autre pour les réparations. Il fallait s’armer de patience dans les deux cas, assure un client, qualifiant de « bordel» son expérience. « Des gens entrent et sortent n’importe où, je suis à la veille de m’en aller », lance l’homme venu acheter un cellulaire, bien découragé de voir autant d’affluence si tôt dans la journée.
Une employée distribue aussi des masques jetables aux nombreux clients du Lululemon tout près, ce qui rend l’allée presque aussi achalandée que les rues de Montréal pendant le printemps Érable.
« À QUI L’ALLÉE 1, À NOUS L’ALLÉE 1!! »
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À la foire alimentaire, les tables ont été enlevées pour éloigner au maximum les mangeurs les uns des autres, ce qui réduit gravement leur nombre. Rien de plus triste que de voir des gens engouffrer en solitaire leur Pad see-ew du Thaï express ou leur pointe all dress de la Place Tevere. « Ils comptent le nombre de personnes admises au Carrefour pour éviter d’avoir trop de monde », marmonne une employée de l ’entretien, l’air au bout du rouleau.
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Qui dit déconfinement dit sinon boutique Lego. C’est ce qu’on est en droit de se dire en voyant également une longue file devant le populaire magasin de jouets. J’y croise une mère venue avec son fils pour lui acheter un cadeau de fin d’année scolaire. « J’ai juste hâte que l’école reprenne comme avant et que les choses redeviennent normales », soupire la maman, qui a déjà l’air à boutte de son été.
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À part la boutique Apple, l’autre plus longue file s’étend devant la boutique « Bath & Body Works », où l’on écoule des produits pour le bain et la maison.
Tsé le genre de moment où tu réalises que certaines choses de la vie t’échappent.
Dans mon cas, il y a en trois:
1- La file pré-COVID du restaurant l’Avenue.
2- La carrière de Jonas.
3- L’engouement extrême pour une boutique de produits pour le bain.
La file fait même des détours comme pour aller dans la rivière sauvage aux glissades d’eau Saint-Sauveur (2e référence à des glissages d’eau, c’est pas un hasard). « C’est pas si pire en plus, parfois elle va jusqu’à la porte là-bas », lance une employée, en pointant les portes au loin près de l’entrée du Sports Experts.
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Il faut prendre son mal en patience aussi devant la bijouterie Pandora. La file n’est pas si longue, mais les clients prennent leur temps quand ils décident de débourser pour du bling bling. « C’est la deuxième fois que je viens, j’ai rebroussé la dernière fois parce qu’il y avait trop de monde », explique une cliente en file, venue – on lui souhaite – acheter un pendentif émeraude en forme de dragon pour un éventuel mariage médiéval.
Ah j’oubliais, certains magasins autorisent l’essayage, mais pas tous. « C’est à la discrétion de chacun », souligne une employée du Dynamite, où c’est permis. Tant mieux, parce qu’une boutique de vêtements sans accès à une cabine d’essayage, ça commence à crier très très fort avec un porte-voix «ACHAT EN LIGNE» dans mes oreilles.
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L’employée du Café Dépôt m’explique pour sa part que la PCU ne complique pas l’embauche de personnel. Au contraire. Les heures d’opérations ont été réduites et plusieurs employés font quelques heures en plus de percevoir leur PCU.
En sortant, je croise Jessica avec son bébé devant la porte. Elle attend sa soeur, qui doit retourner des achats effectués en ligne.
« Je viens me promener un peu, rien à acheter vraiment. », explique la jeune maman solidaire. « Je crois que c’est la nouvelle normalité », souligne Jessica au sujet des files qui l’attendent à l’intérieur.
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C’était déjà pas l’fun aller au Carrefour Laval, ça me déprime d’imaginer que cette « nouvelle normalité » sera permanente. Une heure et demie après mon arrivée, le stationnement déborde autant que celui des chutes de Rawdon il y a quelques semaines.
Je retrouve mon char, à côté de celui d’une femme qui quitte en même temps. « C’est vraiment pas une belle expérience », résume-t-elle, au sujet de sa visite au Carrefour.
En effet madame. Je me demande juste si ç’a déjà été le cas.