« Les gens ne devraient pas être fâchés contre moi, mais plutôt contre Legault! », plaide l’agente de sécurité à l’entrée de la boutique Sports Experts des Galeries d’Anjou, réagissant à l’imposition du passeport vaccinal dans les magasins à grande surface.
Contre le premier ministre ou plutôt contre les non-vacciné.e.s, à qui on souhaite rendre la vie difficile et limiter les déplacements en adoptant cette mesure controversée touchant tous les commerces d’une superficie de plus de 1500 mètres carrés, à l’exception des supermarchés et des pharmacies.
Au lendemain de l’entrée en vigueur de la mesure, je suis allé faire un tour à quelques adresses pour voir comment ça se passe sur le plancher des vaches.
Si aucune émeute ni effusion de sang n’a été observée, les employé.e.s des commerces visités deal déjà avec l’exaspération de certain.e.s et appréhendent l’achalandage de la fin de semaine.
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J’ai d’abord mis le cap au Walmart du boulevard Langelier.
Pour la petite histoire, j’ai travaillé là pendant trois mois incognito il y a plusieurs années pour un reportage et je ne suis jamais retourné (ni à une autre succursale du géant américain d’ailleurs). J’avais conclu un essai écrit en marge de cette infiltration en jurant que « jamais plus je ne remettrai les pieds dans un Walmart ».
Comme il n’y a que les fous et les pâtissières de Jonquière qui ne changent pas d’idée, je gare ma rutilante Kia Rondo vers 9 h 30 dans le stationnement toujours un peu plein.
Si bien qu’une mince file m’attend devant la porte. À l’intérieur, quatre employé.e.s sont installé.e.s derrière autant de postes pour valider nos codes QR, sans compter la traditionnelle préposée à l’accueil et un agent de sécurité.
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« Ça se passe plutôt bien à date », résume machinalement l’employée en scannant mon passeport.
Au poste voisin, un client né avant le droit de vote des femmes au Québec sort une photocopie de son passeport, en plus de fouiller dans ses poches pour en extirper une pièce d’identité, aussi exigée partout.
« C’est loin d’être la fin du monde », résume l’homme en poussant son carrosse dans le magasin, non sans d’abord se désinfecter les mains avec du Purell, autre escale obligatoire. « Ce n’est pas trop pénible, mais attends vendredi ou samedi, ça sera une autre paire de manches! », lance de son côté cette autre cliente, qui prévoit un chaos lorsque les foules du week-end prendront d’assaut le magasin.
Plusieurs employé.e.s croisé.e.s tout au long de ma tournée n’ont pas caché en avoir déjà plein les bras avec la pénurie de main-d’œuvre. Près des caisses (100 % libre-service), je croise un ancien collègue qui ne m’a pas reconnu sous mon masque et mes dix mille livres accumulées depuis l’époque où j’étais un SPÉCIALISTE DES PRODUITS SURGELÉS.
Aucune trace sinon des fameux enclos pour non-vacciné.e.s qui ont fait jaser sur les réseaux sociaux. Un porte-parole de Walmart a démenti l’existence de ces présumés cubicules de plexiglas servant de salle d’attente pour ceux et celles qui veulent aller à la pharmacie. « On accompagne plutôt une à une les personnes non vaccinées avant de les raccompagner à la porte », explique une employée de la pharmacie.
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À l’entrée, une jeune femme plaide que son cellulaire est déchargé à cause du froid et que par conséquent, elle est dans l’incapacité de montrer son passeport vaccinal. L’employée consulte sa collègue, puis l’autorise à entrer. Le client a toujours raison, surtout chez Walmart.
Ce n’est pas un vol de Sunwing de laxisme non plus, comme en fait foi le refoulement de deux jeunes femmes quelques minutes plus tard, parce qu’elles n’avaient aucune pièce d’identité sous la main.
Avant de sortir, je vais dans la section des aliments en vrac me chercher des amandes au chocolat à seulement quatre dollars, la seule chose qui me manque de Walmart, à l’exception de quelques camarades.
« Bonjour hugo! »
Au Carrefour Langelier, dont fait partie la succursale, nul besoin de présenter un passeport à l’entrée. L’accès au Walmart de l’intérieur est toutefois fermé pour contrôler le passeport et l’achalandage.
C’est à la SAAQ qu’on retrouve la plus grosse file à mon passage, s’étirant sur plusieurs dizaines de mètres dans le vieux mail.
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Si le buffet Mandarin risque d’être la dernière chose à ouvrir après les compétitions de Twister et le limbo full contact, le cinéma Starz au bout du couloir voit pour sa part enfin la proverbiale lumière au bout du tunnel.
Au Canadian Tire de l’autre côté du boulevard, la joie de vivre de l’employé qui valide les passeports à la porte contraste avec la mauvaise humeur ambiante. « Bonjour Hugo! », lance chaleureusement l’employé en confirmant mon identité.
Le client derrière moi ronchonne pour deux, échappant un profond soupir exaspéré lorsque l’employé lui rappelle de bien désinfecter ses mains après avoir présenté son passeport et sa carte d’identité. Il faut malgré tout s’armer de patience même s’il n’y a pas grand monde. Pour une raison qui m’échappera jusqu’au jugement dernier, certaines personnes semblent s’être lancé le défi de cacher leur pièce d’identité à des endroits insoupçonnés nécessitant des fouilles archéologiques.
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Si vous pensiez que la personne qui fait valider ses dix-huit billets de loterie au dépanneur jouait avec les limites de votre patience, je vous recommande chaudement une séance de méditation avant votre visite chez IKEA en fin de semaine.
« Il faut faire notre part »
À quelques kilomètres de là, aux Galeries d’Anjou, il y a plus de monde qu’on pense. Comme quoi le télétravail a le dos large et dissimule chez certain.e.s quelques envies pressantes d’aller dévaliser le chic magasin Ernest (une bannière grâce à laquelle j’ai ce look d’enfer me valant le surnom de «Thierry Mugler de Rosemont-Est »).
« Pas besoin de passeport pour entrer dans le centre d’achats, mais certains marchands l’exigent à la porte de leurs magasins », me résume une préposée de l’accueil derrière son plexiglas. Par « marchands », elle parle des gros joueurs comme Sports Experts, H&M, Simons, etc.; bref, ceux qui disposent d’estifies de grandes surfaces pour écouler leur merch.
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Au magasin La Baie, quelques personnes attendent l’ouverture devant l’immense grille encore fermée. Au travers, on aperçoit un employé assis derrière un poste pour valider les passeports, en train de pianoter sur son cellulaire.
«On ne le fait pas pour nous, mais pour les autres.»
Une dame âgée près de moi s’assure d’avoir ses papiers en ordre. Elle extirpe un à un de son portefeuille des petits cartons sur lesquels ont été plastifiés ses trois codes QR, correspondant à chaque dose reçue. « Ça ne me dérange pas, il faut faire notre part pour nous en sortir. On ne le fait pas pour nous, mais pour les autres », philosophe-t-elle en portant son masque sur son menton.
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Au magasin Simons au fond d’un corridor, l’employée affectée au contrôle des passeports a du mal à scanner le code d’un client avec son bidule. Le gars en face de moi dans la file s’impatiente à voix haute.
« C’mon! J’ai pas de patience pour ça! » se lamente-t-il à voix haute.
L’employée n’en fait pas de cas, garde le sourire et souhaite à tout le monde un bon magasinage. « À part quelques clients partis fâchés, ça se passe bien », assure la jeune femme, qui préfère ne pas penser à la fin de semaine qui approche. « Un problème à la fois », suggère-t-elle.
Au Sports Experts, ce sont des agent.e.s de sécurité et non des employé.e.s de la boutique qui contrôlent les deux accès.
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Sauf quelques exceptions, la clientèle fait preuve d’indulgence et de compréhension, assure un jeune homme posté devant l’entrée donnant sur le stationnement. « Je sais, ça ne doit pas être toujours facile pour vous, bonne journée, mec! », lance avec empathie un client en présentant son passeport et sa carte d’assurance maladie.
Je quitte le centre commercial en sortant par le food court désert, avec les chaises à l’envers sur les tables. Si la tristesse avait un visage, ça serait celui-ci. Sans compter les employé.e.s des comptoirs de bouffe toujours ouverts qui te regardent avec des yeux suppliants signifiant : « Awaye le gros, achète une pointe d’all dress à la Trattoria Tevere ou un général tao chez Manchu Wok. »
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Au Rona l’entrepôt l’autre bord de la rue, un seul employé contrôle l’entrée. Le client en face de moi prend un temps fou à retrouver son application VaxiCode sur son téléphone. « Préparez aussi une pièce d’identité en avance », suggère l’employé pour accélérer le processus. Comme plusieurs autres, il sait que le vrai test aura lieu en fin de semaine. « Mais bon, ce ne sera pas mon problème, puisque je ne travaille pas en fin de semaine. »
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Au gigantesque Best Buy pas loin, deux employés lisent les codes à l’entrée. Des gérants plutôt. « Ce sont nous (les gérants) qui le faisons pour une couple de semaines; après, on verra. On laisse nos effectifs sur le plancher », explique l’un d’eux, d’avis que les gens ont au moins l’habitude d’attendre maintenant. Lorsqu’un homme se présente sans son passeport – oublié à la maison –, le gérant lui bloque l’accès un peu à contrecœur. « Pas de problème mon ami », rétorque le client refoulé, compréhensif.
J’ai le goût… de me faire scanner à la pLace Versailles!
Je me déplace ensuite jusqu’à la Place Versailles quelques kilomètres plus loin.
Comme aux Galeries d’Anjou, on entre ici comme dans un moulin, mais le passeport est exigé pour accéder à certains gros magasins.
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À commencer par le Canadian Tire drette en entrant.
La DOUANIÈRE SANTÉ (copyright) devant la porte soupire quand je m’enquiers de son indice de bonheur, entre 0 et Marie-Josée Savard avant de réaliser qu’elle ne sera pas la mairesse de Québec.
«les 60 ans et plus, c’est laborieux. Ils n’ont pas téléchargé leur code QR et n’ont pas de pièce d’identité à portée de main.»
« Les jeunes comme vous (oui oui, elle a dit ça, je vous jure) ont leur code QR en main avec une pièce d’identité prête, mais les 60 ans et plus, c’est laborieux. Ils n’ont pas téléchargé leur code QR et n’ont pas de pièce d’identité à portée de main. Sinon, ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent montrer leurs informations personnelles, certains repartent frustrés », ventile l’employée.
Pas besoin de traîner longtemps autour d’elle pour avoir un aperçu de sa nouvelle réalité. « C’est comme au restaurant, ça prend les deux », explique patiemment l’employée à une dame qui rechigne sur la pièce d’identité.
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Le centre commercial est pas mal bondé pour un mardi après-midi. Des personnes âgées qui viennent faire leurs emplettes ou tuer le temps pour la plupart. Si les tables des casse-croûtes sont condamnées, quelques client.e.s mangent sur les bancs au milieu du mail. J’en profite pour faire pareil. Sur le banc voisin, deux couples placotent de tout et de rien. Cette petite puff de normalité est un bouillon pour l’âme.
Avant de partir, je garroche une piastre dans la fontaine pour faire un vœu (les gens font-ils encore ça?), devant le comptoir McDo achalandé.
C’est quoi mon voeu? Je peux pas le dire sinon il ne se réalisera pas (bon, ok, j’aimerais que l’argent du Go Fund Me des camionneurs fâchés soit redirigé dans mon compte).
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Une dernière escale au Renaud-Bray de la rue Saint-Denis, où les dirigeant.e.s ont tenté – sans succès – de faire exempter le passeport vaccinal à sa clientèle et au secteur du livre. « Ça ne s’applique heureusement que dans quelques succursales », se console l’employée à la porte, qui m’accueille tout sourire debout près d’une petite table.
Même si le magasin est peu achalandé à mon passage, une petite file se forme rapidement entre les deux portes. La clientèle s’y soumet sans faire de chichis. « Madame! Il faut présenter votre passeport! », lance l’employée à voix haute à une dame qui s’est faufilée dans le magasin sans présenter son passeport.
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La cliente revient sur ses pas en se confondant en excuses. « On n’est pas habitué », justifie-t-elle.
Reste à savoir si cette habitude sera créée ou si cette mesure sera éphémère à l’heure où Québec annonce quelques assouplissements.
En attendant de savoir si cette nouvelle mesure encourage des non-vacciné.e.s à prendre rendez-vous sur Clic Santé, ceux et celles qui ont leurs doses devront à nouveau s’armer de patience et – souhaitons-le – faire preuve d’indulgence à l’égard du personnel de ces commerces qui n’a rien demandé, surtout pas plus d’ouvrage.