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(Aviez-vous lu le 22e épisode?: La vie sans câble)
INTÉRIEUR. JOUR. DÉPANNEUR – SCÈNE 1
Ce printemps, je suis allé chercher du café au dépanneur du coin St-Hubert et Sauvé. Pourquoi si loin vous vous dites? C’est juste à côté de chez nous que je vous réponds.
J’entre dans le commerce et cherche des yeux l’employée en service afin de la saluer. Je la trouve en train d’accomplir des tâches de dépanneur et lui offre un très banal :
« Salut. »
Elle me répond par un mot qui veut dire sensiblement la même chose. Jusqu’ici, tout va bien, le scénario est suivi à la lettre.
Je procède vers la rangée du pain avec le but très humble de m’acheter du pain. Ce faisant, j’essaie d’avoir l’air d’un client tout à fait normal. Pain en main, je me dirige ensuite à la machine qui fait du café avec l’objectif on ne peut plus logique de me faire un café.
Aller au dépanneur c’est plaisant, car, contrairement à plusieurs circonstances de la vraie vie, on sait exactement ce que l’on veut y trouver et la plupart du temps, on l’obtient très rapidement. (Surtout depuis qu’il n’y a plus personne qui peut payer en cennes noires).
Une fois l’infusion terminée, j’arrive au comptoir-caisse. La jeune employée laisse ce qu’elle faisait pour venir inventorier mes achats. Nous nous redisons « salut » et l’on s’informe sur notre état actuel. Nous allons bien sûr très bien. Dans cette situation, il est attendu que nous allions bien.
C’est écrit comme ça, car mal aller dans un dépanneur implique une réécriture du texte ainsi qu’une redéfinition les rôles de chacun.
Voici quelques échanges rejetés :
« Ça va?
– Non, vraiment pas!
– Ah, c’est plate, je viens juste me chercher un café. »
Et aussi :
« Ça va ?
– Ah tu sais des fois la vie, on se questionne, on cherche des réponses …
– Dude je travaille, je veux juste finir mon shift tranquille! Suivant! »
Afin d’alléger le texte, il fut convenu que c’était plus simple avec une humeur céleste. Toutefois, j’avais devant moi une bonne actrice qui s’est permis un ajout au script. Il est d’un commun savoir que ce n’est que lorsque l’on maîtrise son rôle à la perfection que l’on peut se permettre de l’improvisation.
« Humm, ça sent le chocolat! » réplique-t-elle.
Elle parlait bien sûr de mon café cappuccino vanille française. (Pas mal classe pour un café de dépanneur.)
Comme cette phrase n’était pas écrite dans le texte, j’ai dû penser très vite et répondre un maladroit :
« Ah, oui hein, il est bon celui-là! »
Moi qui m’attendais à ce que l’on se souhaite la bonne journée en stéréo pour clore la transaction. Malgré cet imprévu, je reste dans mon personnage de client, je paye et je sors comme si de rien n’était. Je regarde vers le réalisateur et il me fait signe que nous allons garder la scène et commente la prise :
« Ça fait très humain comme ajout, ça donne vraiment l’impression que vous n’êtes pas des automates. »
Ce jour là, en allant au dépanneur, j’avais la tête complètement absorbée à trouver de l’inspiration pour mon texte de cette semaine que j’en ai oublié que pour bien jouer son rôle dans la vie, c’est primordial de se donner pleinement dans chaque scène. Si on a l’esprit qui vagabonde ailleurs que dans le moment présent, ce qu’on ajoute dans le film est terne et sans saveur.
Être sur le pilote automatique au dépanneur est amplement suffisant pour aller se chercher un café, mais comme nous connaissons tous par coeur ce qui est attendu de nous dans à peu près toutes les circonstances sociales, qu’est-ce que ça coûte d’ajouter un petit extra à l’ordinaire.
Pour ne pas avoir l’air de robots, il suffit juste d’être un peu vivant.
« Et c’est une fin de journée ! » crie le réalisateur.
Le 24e épisode est ICI.