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Montréal est au Québec ce que New York est aux États-Unis. La ville est belle, elle est grande et est pleine de promesses. Comme bien des gens, j’ai quitté ma ville natale, St-Hyacinthe, pour aller vivre dans une ville aussi grande que mes ambitions de l’époque. Montréal, c’est la ville où tout peut se passer, mais c’est aussi la ville aux rêves déchus.
(Aviez-vous lu le 23e épisode?: Ordinaire avec extra )
Depuis toujours, les jeunes adultes avides d’épanouissement et d’un futur prospère partent des banlieues pour aller vivre dans les grandes villes. Ils y vont d’abord pour étudier et ensuite y travailler. Bien loin de ces quartiers résidentiels avec de grandes cours arrière et des piscines creusées, on y trouve une vie qui donne l’impression d’un plus grand potentiel. Tout est à côté de nous.
Il y a les artistes qui vivent de leur art et qui vendent des toiles dans les galeries. Il y a aussi ceux qui n’en vivent pas et qui les exposent dans les cafés. Au gymnase, il y a les athlètes que l’on voit à la télévision, et les acteurs de téléromans boivent dans les mêmes bars que nous. Il y a la bourse, les grandes compagnies de publicité, les lancements de magazines, les productions de cinéma américaines, les festivals, les touristes, les Canadiens et les spectacles des gens que l’on entend à la radio. Ici, il y a la grande aventure, la liberté et pas seulement du 9 à 5. On peut se faire de bons contacts, on peut rencontrer la femme de sa vie, travailler dans un domaine qui nous passionne et bien sûr, devenir riche. Quand on vit à Montréal, on est sûr de ne rien manquer. Que l’on se dise!
Toutefois, peu à peu, on constate que dans l’attente du futur qui nous est promis, la peur de manquer quelque chose ne nous rend pas très friands d’engagements. On ne prévoit que des choses faciles qui ne durent pas trop longtemps afin de se garder toujours disponibles pour quelque chose d’éventuellement plus grand. Des emplois que l’on quitte pour voyager, des emplois qui n’ont d’autre but que de payer le loyer, des emplois qui nous donnent beaucoup de temps libres pour bidouiller sur des projets personnels entre deux soupers entre amis et nos émissions de télé.
Dans notre quête du grand amour, s’est même immiscée cette zone grise entre les fréquentations et le couple officiel. On aime avec la condition de ne jamais parler de demain. Il n’y a que maintenant et en ce moment, sinon, c’est la fuite et les textos boiteux que l’on reçoit à des heures bizarres. Il y a aussi des relations qui durent trop longtemps, et ce même si une éventuelle date d’expiration est déjà connue d’au moins un des deux protagonistes depuis le début. On fréquente des gens tout en se gardant disponible au cas où l’on croiserait le grand amour dans ce café où les gens se regardent sans se parler. On attend encore ce qui n’existe pas.
Les années passent sans rendre de compte. La vingtaine se termine. Où sont toutes ces belles et grandes choses qui devaient nous arriver à Montréal? L’idée que quelque chose nous manque dans cette ville où l’on ne manque de rien apparaît parfois dans l’ombre d’une pensée que l’on enterre bien vite sous des tonnes de plaisirs éphémères.
Pendant ce temps, les amis avec qui l’on a gardé contact en banlieue ont maintenant des maisons et des enfants. Quelques fois par année, nous allons nous immerger dans cet univers que l’on a quitté sans jamais regarder derrière : celui des familles, des ballons, du bon voisinage et des bonheurs sans complexe.
Il y a le petit neveu de cinq ans qui nous montre les jouets dans sa chambre en nommant ses toutous en ordre de préférence. Il y a notre filleule qui fait des chorégraphies avec ses amies du primaire et des parents qui sont ensemble depuis toujours. Une famille qui semble vraiment heureuse et équilibrée, comme la nôtre, qui nous semblait bien petite avant que l’on parte pour la grande ville. Eux ils sont restés là, à St-Hyacinthe, avec des jobs pourtant si peu glamour et je n’ai pas l’impression qu’ils ont tant manqué. Sont-ils seulement conscients de toutes ces merveilleuses choses qu’ils ne peuvent pas faire en banlieue que nous nous faisons à Montréal?
Sur la 20, en direction de Montréal, seul en silence dans la voiture, je me demande parfois ce qu’il y a de si précieux dans la grande ville, que l’on veut à tout prix ne pas manquer.
Voilà le prix à payer.
Le 25e épisode est ICI.