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On ne sera jamais assez à jouer à Donjons & Dragons

Faerûn mon amour

Par
Simon-Albert Boudreault
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Le jeu de table Donjons & Dragons est arrivé en force dans l’imaginaire collectif québécois à une époque où l’internet 2.0 était encore à ses débuts par le biais d’un court-métrage intitulé La bataille de Farador. L’effet que ce projet a eu sur D&D est un peu semblable à celui que le LQGR Song a eu sur les LANs au Québec.

Ça fait d’ailleurs 10 ans de ça.

(pause pour se sentir vieux)

La culture pop a fait son bout de chemin depuis Farador et la quête de Gardakan, Mordak & Boba Fett. On est aujourd’hui dans l’époque de la revanche du nerd et j’ai pas assez de mes dix doigts pour compter les tendances s’étant développées sur ces étiquettes (sur lesquelles j’ai déjà mon opinion).

Certaines choses ont par contre été laissées loin derrière, comme les jeux de rôle, avec Donjons & Dragons en tête de proue.

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Mon collègue collaborateur Simon Delisle a publié la semaine passée un texte sur son expérience dans un Tim avec des rôlistes. La réaction du lectorat étant ce qu’elle a été, je suggère qu’on se remette en bons termes sur le sujet.

I. C’EST QUOI, D&D ?

Je joue à Donjons tous les mercredis, depuis 8 ans, avec les mêmes gars.

Tous les mercredis. Genre, ta blonde est mieux d’être en train d’accoucher, mourante, ou les deux si t’es pour choker la game à cause d’elle. Genre, attends-toi à des textos haineux si tu retardes la game avec des excuses comme le métro était en panne.

C’est un peu sectaire notre affaire. Je réalise d’ailleurs en écrivant ça que c’est difficile de jouer à D&D et de ne pas être intense. Je comprends absolument la perplexité d’une personne externe qui nous regarde jouer et qui secoue lentement la tête, les lèvres pincées.

On peut facilement reconnaître un vrai joueur de D&D par son intensité en jouant et en parlant du jeu, beaucoup plus que par son apparence.

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Je pourrais aborder le sujet de l’apparence mais, honnêtement, même si tu t’habilles fresh ou si t’as l’air d’avoir une vie sexuelle active, ce qui fait ou pas un rôliste va beaucoup plus loin que son look.

Regarde Farador une autre fois. Qu’est-ce que tu y vois ?

PATIENCE, MON CHER MORDAK — LE ROLEPLAY

Jouer à Donjons, c’est traverser sa pudeur pour se mettre dans la peau de quelqu’un de fictif et le rendre vivant à travers ses interactions. On transmet notre vulnérabilité en quelqu’un d’autre pour ainsi réellement prétendre qu’on l’incarne et ça, ça a toujours été l’ultime challenge : donner vie à un personnage qui n’existe que sur une feuille de papier et dans ton imagination.

ON JOUE. ON PARLERA APRÈS — LE CADRE

Un groupe de D&D est sélect. Une partie réussie se déroule avec le moins possible d’interventions du monde extérieur à la game. De la même manière que le silence nous plonge dans le suspension of disbelief durant une pièce de théâtre, le sérieux et le respect du décorum seraient l’équivalent pour une partie réussie de Donjons.

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J’FAIS 12D8+34 MON TABARNAC — LE VOCABULAIRE

À nous écouter parler pendant une partie, c’est comme écouter deux médecins parler entre eux, sauf qu’au lieu de parler de pH ou de l’haleine acétonémique du patient de l’autre jour, on parle de lames vorpales & du glabrezu qu’on s’est claqué l’autre jour. Les jeux de rôle ont leur langage; entrer dans cet univers, c’est apprendre ses règles, mais aussi le jargon qui nous fait nous exprimer en une langue qui oscille sans effort entre le franglais et le vieux français.

II. C’EST QUOI D&D POUR UN JEUNE?

Les gens étrangers à D&D peuvent peut-être y voir une fuite ou juste une façon de se faire du fun, mais je crois au contraire que tout le monde, sans discrimination d’âge ou de classe sociale, gagnerait à jouer aux jeux de rôle et commencer jeune sera toujours un atout pour grandir.

Tu sais toutes ces idées qui proposent d’enseigner la programmation dans les écoles primaires? J’imagine le même principe avec D&D.

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C’est un outil pour apprendre des concepts fondamentaux de la vie et il se démarque des autres jeux de table de plusieurs façons.

T’AS TUÉ MON BONHOMME — L’INTERPRÉTATION

Le jeu de rôle, c’est une façon hors classe de se découvrir entre amis, même après plusieurs années de jeu, tout en restant sous le couvert de la fiction. Peu importe le personnage qu’on choisit de jouer, on s’y projette énormément. À travers nos choix, notre moralité, notre personnalité choisie, ces avatars fictifs finissent toujours par révéler le caractère et la sensibilité du joueur derrière.

T’ES NIVEAU 1, J’ESPÈRE ? — LES RELATIONS

Imagine écouter ta série-télé préférée dans laquelle tu es obligé de parler et d’interagir pour faire progresser le récit. D&D est la quintessence du travail d’équipe et nous fait travailler notre répartie, notre aptitude à faire des compromis et notre capacité à ne pas tous se trucider après quelques heures de collaboration.

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NON, TU TE RÉVEILLES PAS — LA LIBERTÉ

On fait pratiquement ce qu’on veut dans Donjons & Dragons, ce qui nous met en constante situation de résolution de problèmes organiques & émergents. Les solutions dans ce jeu se résument jamais à des équations ou des formalités; on est plutôt constamment poussés à penser différemment et à trouver des réponses créatives pour progresser (et/ou assassiner ses compères).

III. C’EST QUOI D&D POUR UN ADULTE?

Mes homies et moi entrons tous tranquillement dans la trentaine et on réalise depuis peu l’arrivée de la croisée des chemins.

B. devient papa, G. pense partir vivre en Angleterre, J. est étudiant et toujours dans ses examens, V. a migré vers d’autres cercles sociaux… On est tous à ça d’arrêter de se tenir ensemble, après presque une décennie à se fréquenter, si ce n’était pas de ce jeu qui nous a sauvés.

Donjons & Dragons, c’est notre excuse.

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J’écrivais dans un autre texte que la beauté d’une expérience partagée ne s’arrête pas au simple fait qu’elle renforce une relation, c’est qu’elle devient la source même de celle-ci.

C’est une croyance populaire de se dire qu’on joue à D&D parce qu’on ne veut pas quitter notre jeunesse. Je rectifierais le tir en disant qu’on joue à D&D parce qu’on ne veut pas quitter nos liens, quitte à devoir s’inventer des noms avec des G pis des K dedans.

Après tout, quand notre groupe se fait juger pour ses pratiques — parce que ça arrive régulièrement — on ne réagira jamais en disant c’est pas vrai, moi j’ai une vie!

On se contente de répondre, avec un sourire en coin, tu sais pas ce que tu manques.

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