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L’été fâché s’est abattu sans crier gare. Inondations, pannes de courant, foudres déchirant le ciel comme dans un mauvais film catastrophe : dimanche, la météo avait des airs de fin du monde. Mon trois et demi, lui, suintait l’humidex par tous ses pores. L’air s’est alourdi et, en un éclair, l’appartement s’était transformé en air fryer avec moi, au milieu, captif et croustillant.
Alors, j’ai fui. J’ai laissé derrière moi mes draps collants pour me réfugier dans un cocon climatisé à peine plus grand qu’un cercueil : direction l’hôtel capsule. Minuscule oasis d’air frais, fraîchement inaugurée au cœur du centre-ville de Montréal.
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Une nuit passée dans un tiroir du futur, c’est peut-être ça, désormais, l’idée même d’une escapade. Car, en 2025, dormir ailleurs que chez soi tient du casse-tête. Chambre d’hôtel, lits superposés en dortoir, Airbnb douteux ou bout de tapis dans un sous-sol : voyager impose une gymnastique budgétaire pour s’offrir, au fond, un simple casier où entreposer son corps. Un lieu où poser ses vêtements, se laver, fermer les yeux. Fin de l’histoire? Pas tout à fait. Il faut surtout, et avant tout, un bon Wi-Fi.
Effectivement, même les plus bohèmes des auberges de jeunesse, jadis temples de destins croisés et de nuits qui n’en finissaient plus, ont perdu un peu de leur magie. J’y ai longtemps cru, en preux voyageur solitaire. Mais, depuis la pandémie, chacun semble s’être un peu plus replié dans sa coquille numérique. L’aire commune s’est muée en bulle Wi-Fi, et les beuveries d’antan ont laissé place aux tests de vitesse de connexion.
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On ne se dépayse plus : on se connecte, ailleurs. C’est tout.
Alors, quitte à vivre en vase clos, autant le faire avec style. Réduire l’hospitalité à l’essentiel prend soudain tout son sens. Exit l’espace, l’opulence, le service aux chambres et le jacuzzi. Place au lit simple, à la prise de recharge et à l’Internet, devenu fonction vitale.
Bien connu en Asie, le concept a atterri en mai dernier le long d’un recoin un peu défraîchi du boulevard Saint-Laurent. On s’y sent quelque part entre le dortoir et la station orbitale.
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Nés à Osaka en 1979, les hôtels capsules, ou pod hotels, incarnent le minimalisme dans sa forme la plus pure, avec un soupçon de rétrofuturisme. Pensé par l’architecte Kisho Kurokawa, le tout premier établissement du genre, le Capsule Inn Osaka, répondait à un besoin typiquement japonais : offrir un abri aux hommes d’affaires trop fatigués, ou trop ivres, pour attraper le dernier train. Un lit de secours, abordable et discret.
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D’abord, rien à dire sur le service à l’accueil : irréprochable. Derrière le comptoir, des rangées de mangas ajoutent une touche nippone au décor. Pendant que je termine mon enregistrement, un Européen ronfle déjà dans la capsule suspendue juste au-dessus du lobby.
« Il y a déjà une femme qui est restée un mois », me glisse la jeune employée à l’accueil, comme on partage un secret.
« Tu es dans la 24 », ajoute-t-elle en me tendant une carte vierge. Pas de nom, pas de chiffre. Juste un rectangle blanc, comme si mon identité s’était dissoute dans le système.
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Je trouve ma maison dans l’obscurité régnante et m’explose le tibia en entrant sous ce plafond constellé de fausses étoiles. J’accroche ma petite serviette, ouvre par réflexe le coffre-fort, tripote les lumières comme un enfant. Le strict minimum est là, mais il fait frais. Déjà mieux que chez moi.
Sur les draps, quelques taches suspectes, vestiges d’une intimité passée. Mais bon, qui dit hôtel capsule dit aussi une certaine solitude.
À 40 piastres la nuit, je ne m’attendais pas au Ritz non plus. La capsule accueille sans problème mes six pieds. Allongé, mes doigts effleurent le plafond. L’espace respire. Étonnamment, on s’y sent bien, malgré qu’il ferait suffoquer le moindre claustrophobe.
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La couette, seul drap fourni, m’apparaît un peu trop épaisse, même pour cet été climatisé. Alors, on sue en silence, coincé dans son cocon tempéré. Je passerai sur le matelas et l’oreiller. Moi qui me targuais de pouvoir dormir n’importe où, n’importe quand, en bon aventurier… Mais est-ce que c’est ça, vieillir? Voir en chaque nouvel oreiller un obstacle insurmontable?
Les douches et toilettes partagées sont impeccables. Propres et eau chaude au rendez-vous. Rien à redire, tout est encore neuf.
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Le concept, en soi, est bien ficelé. Mais il trahit, presque malgré lui, un symptôme de notre époque : l’individualisme devenu norme. Chacun bien rangé dans son alvéole numérotée. Ici, pas de rideaux, mais du contreplaqué. La collectivité des dortoirs a laissé place à des habitacles propulsés dans une version cheap de Blade Runner. Même la carte magnétique déclenche un clic robotique lorsqu’on y pénètre.
Il faut bien l’admettre : quelque chose flotte dans l’air. En fait, rien. Rien pantoute. Une atmosphère étrange, froide. Des hommes discrets, qui baissent les yeux et s’évitent comme si le simple fait d’être là relevait de la gêne. Nulle part où traîner, boire un coup, tuer l’ennui en écoutant du reggae. Juste un sous-sol baigné de néons et peuplé de machines qui distribuent bouchons d’oreilles et nouilles instantanées. Ça prendra plus que deux petites statues de Bouddha pour rendre ça zen.
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Parce qu’il y a quelque chose de vaguement dystopique dans cet espace réduit au confort technique, vendu comme une convenance. Il y a, certes, cet aspect résolument horizontal, presque nord-coréen : pas de hiérarchie de la grande chambre, pas de lits king. Ici, tout le monde loge dans le même (petit) bateau. Une égalité imposée par le design, géométrique. Mais derrière cette standardisation bienveillante flotte tout de même un léger parfum de science-fiction.
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Bref, si l’hôtel capsule déborde de bonnes intentions, j’ai tout de même eu, selon les règles de l’art, une nuit de marde. À ruminer ma vie entre deux insomnies, réveillé par le voisin qui se fracasse le coude contre la cloison. Et cette sensation persistante d’être le seul à ne pas dormir. Peut-être parce que je n’étais pas assez loin de chez moi.
Ajoutez à ça les ronflements, les bulletins du matin en allemand, et ce fond d’inconfort diffus.
Dormir dans un hôtel capsule, c’est surtout, à sa manière, une expérience. Un lieu encore trop étrange pour moi où l’on flotte entre le réel et une forme clinique d’onirisme.
Je pars au boulot avec une pensée inverse à celle que j’avais en tête au départ : à quoi bon habiter une grande maison, si c’est pour y passer ses journées les yeux rivés sur son cell?
Mais non… j’ai très hâte de retrouver mon trois et demi qui ne m’a jamais semblé aussi grand, même si on frétille à broil entre ses murs.
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