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Non, je n’arrêterai pas de lire les commentaires. Même ceux selon lesquels je mérite de me faire battre à coups de briques.

Encore une sortie contre la violence en ligne!

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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Hey, salut!

Ça fait un bail. Je suis pas mal occupée à donner naissance au prochain numéro du magazine URBANIA (celui qui marque notre quinzième anniversaire!), alors je délaisse un peu le web. Sauf qu’hier, par élan de nostalgie, j’ai décidé d’aller faire un tour sur les vieux épisodes de la série Sans filtre, que j’anime chaque semaine. Parce que je m’ennuyais de vous, parce que je n’avais pas eu le temps de lire vos commentaires dans les dernières semaines, parce que j’étais curieuse de voir combien de personnes formidables j’avais interviewées cette année, j’sais pas…

Toujours est-il qu’au cours de mon voyage nostalgique, j’ai remarqué un commentateur récurrent qui n’intervenait pas nécessairement avec des propos pertinents. Un clic plus tard, j’ai constaté que derrière ces messages se cachait un gars qui fait des montages psychédéliques à partir d’extraits d’émissions (surtout liées à la diversité, au féminisme et à la gauche). J’y ai trouvé des vidéos de moi, dont une créée à partir de mon entrevue Sans filtre avec Valérie Plante.

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Dans cet ingénieux montage, on me voit répéter en boucle que « la gauche radicale, ça ne me fait pas peur » et la mairesse répond qu’elle non plus. S’en suivent des images d’émeutes violentes mettant en vedette des antifascistes. C’est fascinant. Ce qu’on ne montre pas, c’est le contexte dans lequel ces phrases ont été énoncées. Dans l’entrevue initiale, je dis d’abord qu’on a souvent reproché à Projet Montréal d’avoir des « chefs de la gauche radicale ». Et j’ajoute ensuite que « moi, ça ne me fait même pas peur! »

Parce que non, Richard Bergeron ne me fait pas chier dans mes shorts… Je dois être le courage incarné.

En tout cas. Ça ne me dérange pas beaucoup, tout ça. J’ai même ri de bon cœur devant certaines vidéos! Sauf que j’ai malheureusement eu la surprise de découvrir des trucs moins le fun. Ça, par exemple…

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« Deux immondes connasses qui méritent d’être battues à coups de briques et de chaises… La peur n’est rien sans la douleur. »

C’est violent. Et très graphique. Pourtant, ma première réaction a été – comme d’habitude – de me dire qu’il n’y avait rien là, que ce ne sont que des mots. Reste que mon corps, lui, avait chaud. Une certaine angoisse se pointait, même si je restais pragmatique.

Et c’est à cet instant que j’ai réalisé qu’encore une fois, je taisais mes émotions. Un réflexe acquis à force de me faire répéter les mêmes affaires, chaque fois que je me plains de la brutalité du web : «ignore les trolls, faut pas s’en faire avec eux; après tout, ils ne le pensent pas; ils ne passeraient jamais à l’action, tu le sais bien; ils sont juste impulsifs et jaloux; leur donner de l’attention, c’est les faire gagner.»

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En gros: tais-toi et continue ta journée comme si personne ne t’avait imaginée en train de te faire frapper par des briques, ce matin.

Ma première réaction a été – comme d’habitude – de me dire qu’il n’y avait rien là, que ce ne sont que des mots. Reste que mon corps, lui, avait chaud. Une certaine angoisse se pointait, même si je restais pragmatique.

Sauf que la vérité, c’est que ça déstabilise, de telles images. Et on ne peut pas juste les ignorer. Oh, évidemment, on pourrait le faire d’un point de vue pratico-pratique. Mais ne pas lire les commentaires de notre audience, ce serait se priver, la très grande majeure partie du temps, des réflexions d’internautes qui veulent amener la discussion plus loin, faire rebondir les idées, acquiescer ou remettre en doute. Bref, ce serait se passer des commentaires de celles et ceux qui veulent juste jaser de façon parfaitement respectueuse.

Je devrais me priver de ça au nom d’une poignée de tatas ? Non.

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“Faites-vous frapper par un train ou bien mourrez dans un incendie.”

Au-delà de ça, ne pas lire les commentaires, ce serait nier le problème. Car c’est un grave problème. Je ne suis certainement pas la première à le dire. D’autres femmes mènent une lutte importante contre la haine sur le web. Au Québec seulement, on peut penser à Judith Lussier, Pénélope McQuade, Léa Clermont-Dion, Safia Nolin, etc.

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Si j’en parle aujourd’hui, est-ce que ça veut dire que c’est un vieux sujet dépassé? Non, ça veut justement dire qu’on a beau dénoncer, la violence persiste. Et tant qu’elle demeurera, je considère qu’il est de notre devoir d’en parler. Parce qu’il faut qu’on se rappelle, de façon collective, que cette haine fait partie du quotidien des femmes qui prennent parole sur la place publique.

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Si recevoir de tels commentaires, ça fait partie de ma job, alors je veux être payée pour les fois où, en éteignant mon cadran à 6 h 30, la première chose qui s’affiche sur mon écran, c’est le message d’un inconnu disant « qu’il veut me fourrer même si je suis une crisse de conne. »

Un bonus de 10 $ par message haineux? Une heure de thérapie gratuite après 15 commentaires portant sur la grosse touffe que j’ai probablement dans les culottes? J’sais pas, je suis en mode solution…

Bon. Avant d’en arriver là, il y a certainement d’autres pistes à explorer. En fait, ce que j’aimerais par-dessus tout, c’est qu’on cesse de banaliser cette violence. Que vous ne la balayiez plus de la main quand on vous la mentionne. Qu’on ne nous demande plus jamais de la cacher, sous prétexte qu’elle fait partie de la game.

On n’a pas signé pour ça (qui signerait pour ça?).

À qui la faute?

Le problème, ce n’est pas notre rapport aux commentaires. Le problème, c’est le noyau d’épais qui considèrent pertinent de répandre sa violence. Le problème, c’est le manque de dénonciation de la part des autres internautes. Le manque de solidarité. Le manque de recours. Le manque d’écoute.

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Dans tous les cas, le problème, ce n’est certainement pas notre colère.

Je ne suis pas la mère, ni la sœur ni la psy de ces hommes frustrés. J’ai autre chose à faire que de les guider vers la bienveillance et de les délivrer de leur charge émotive…

Depuis quelque temps, certaines personnalités publiques tendent la main à leurs trolls. On peut penser au podcast Conversations with people who hate me de Dylan Marron ou encore à la désormais fameuse conversation entre l’humoriste Sarah Silverman et un de ses détracteurs repentant, sur Twitter.

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J’admire ces personnes qui prennent le temps de parler à ceux qui les insultent, or je n’ai pas leur patience. Qui plus est, je ne suis pas la mère, ni la sœur ni la psy de ces hommes frustrés. J’ai autre chose à faire que de les guider vers la bienveillance et de les délivrer de leur charge émotive… J’ai un magazine à imprimer dans trois semaines et des rides de vélo à préparer. C’est le printemps pour tout le monde, crisse.

Bref, pour toutes ces raisons, je vais continuer à vous lire. Mais pareil: va péter, Stéphane.