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Pour ses 15 ans, URBANIA se lançait un défi de taille : définir qui est le nouveau Québécois.
Vite de même, ça pourrait ressembler à une idée typique d’un ado un peu rebelle. En pleine crise existentielle, on remet tout en question sans avoir de réel objectif, sauf être contre les figures d’autorités. Mais rapidement, la pertinence de la question nous frappe de plein fouet. Devant les débats sur l’identité et la protection de notre patrimoine, par exemple, on réalise qu’il n’y a pas de réponse claire à la question « c’est quoi être un Québécois ».
Avec une question sans réponse, l’exploration des positions est un exercice passionnant et pertinent.
Cela dit, le 47e numéro du magazine URBANIA a été dévoilé avec, en couverture, une photo de Richard Martineau criblé de flèches, posé en martyr, dans un clin d’oeil hommage à l’immortel Mohamed Ali dans les années 60.
Depuis ce dévoilement, un malaise m’habite et j’ai de la difficulté à mettre le doigt dessus. Est-ce la simple présence de Richard Martineau qui me dérange à ce point? Est-ce que je suis déçu de voir des collègues que j’estime énormément tomber dans un piège à clics? Est-ce ma fibre québécoise qui est secouée par cette crise d’adolescence?
Les questions se bousculent depuis plusieurs heures et j’ai tendu la main vers les patrons d’URBANIA. Et si on en jasait? Et si on devançait les questions des gens? Si moi, un collaborateur de longue date, je jongle avec ce malaise, qu’en est-il des lecteurs et des observateurs avec une franche coudée de distance?
J’ai donc pratiqué mes techniques de respiration et j’ai cherché une approche afin d’attaquer ce malaise sans discréditer le travail des gens d’URBANIA qui, après tout, ont leurs raisons de nous faire cette proposition, raisons qui sont tout à fait légitimes.
Rose-Aimée l’explique d’ailleurs brièvement dans cette vidéo – il ne s’agit pas d’un geste anodin, ni même d’un bête clickbait pour enflammer les kiosques. Une partie de la proposition de ce numéro est d’expliquer en quoi le nouveau Québécois se présente en martyr au quotidien. Dans cette optique, qui de mieux que Richard Martineau et son sens de la mise en scène pour l’illustrer?
Cette partie, honnêtement, je vis bien avec. C’est vrai qu’il se présente souvent en martyr et il n’est pas le seul. Le nommer, en parler et mettre une image sur la chose, c’est un exutoire en soi et une porte ouverte vers la discussion.
Quelque chose cloche dans cette utilisation d’un martyr autoproclamé qui, de par sa présence, l’entrevue qu’il accorde et le sourire qu’il offre à la lentille, est de connivence avec son statut de cible.
Par contre, quelque chose cloche dans cette utilisation d’un martyr autoproclamé qui, de par sa présence, l’entrevue qu’il accorde et le sourire qu’il offre à la lentille, est de connivence avec son statut de cible. Un martyr, après tout, est une personne qui préfère affronter de grandes souffrances plutôt que de reculer sur ses propos ou ses convictions, il y a une forme de fatalité devant ces options. Encore là, la définition colle bien à la peau de monsieur Martineau à une petite exception : le martyr est prêt à se sacrifier pour faire avancer ses idées ou son message.
Quand je vois Richard Martineau fanfaronner sur sa page Facebook en disant qu’il fait un cadeau à ses détracteurs, c’est drôle, la notion de sacrifice n’est pas tellement présente. J’y vois plus une forme de fierté, une boutade, une validation de sa méthode parce qu’au fond il est un bon père, un bon chum, un bon ami et il tend la joue quand on veut lui foutre une petite baffe. Parce qu’il affronte les critiques, il peut à son tour déverser les siennes. C’est logique et j’ose croire que ce n’était pas l’intention d’URBANIA que d’offrir un tremplin au polémiste.
Rendu là, Martineau n’est pas différent de vous et moi, il n’irait pas volontairement devant des flèches qui pourraient lui faire mal. S’il s’est prêté au jeu, c’est probablement parce qu’il y avait une carotte au bout du bâton pour lui, une victoire accessible. Cette validation, exprimée en démonstration de courage complice sur Facebook, c’est une belle tape dans le dos quand même.
Je pense que mon malaise s’alimente de cela en très grande partie.
Parce que même en lui faisant des reproches et en remettant en question sa méthode à l’intérieur des pages du magazine, on ne peut pas parler d’une dénonciation franche. Quand le Time a nommé Donald Trump comme personnalité de l’année en 2017, par exemple, le polarisant président n’était pas impliqué dans la prise de position du magazine. Son image était utilisée, certes, mais ce n’était pas tourné à la boutade et il n’y avait certainement pas une complicité entre le sujet de la dénonciation et le dénonciateur.
Ce n’est donc pas la photo de Richard Martineau qui me dérange, clairement. C’est le message qu’elle envoie. Elle baigne dans la validation que j’illustrais plus tôt et cette amertume que le Québec est peut-être, malheureusement, un monde médiatique où nous ne sommes plus à l’aise de critiquer sans être complices, par esprit de préservation.
Sauf que mes collègues chez URBANIA ne sont pas des idiots, loin de là. Peut-être alors que c’est moi le problème et que le deuxième degré m’échappe, comme l’humour des chroniques de Martineau. Mais en faisait le tour de la chambre d’écho qu’est mon fil Facebook, je réalise que le malaise ne s’est pas installé en solo chez moi. Il y a quelque chose de commun et plusieurs autres personnes se demandent pourquoi, en 2018, offrir une tribune supplémentaire à Richard Martineau?
Ce n’est donc pas la photo de Richard Martineau qui me dérange, clairement. C’est le message qu’elle envoie.
Et si Richard Martineau était le nouveau Québécois? Ainsi la couverture serait parfaite que je me dis. Mais la réponse ne peut pas être aussi simple, encapsulée dans une seule photo. Et si Martineau est la réponse, le questionnement perd-t-il de son intérêt?
En voulant définir mon malaise, je voulais aussi éviter le piège de chercher une meilleure idée, une meilleure personne à mettre en couverture. Ça devient des préférences, des jugements de valeur et, ultimement, c’est difficile de discuter de ses goûts. On peut, par contre, observer la démarche et se demander pourquoi on s’y est engagé.
URBANIA, avec cette couverture, veut me dire quoi? J’ai cru comprendre qu’on voulait faire jaser, et ça fonctionne, mais on jase de quoi? Débattre du choix de la couverture nous éloigne quand même de la question de base : qui est le nouveau Québécois?
Peut-être aussi que le Québec est de plus en plus défini par ses polémistes et les groupes qui se forment de chaque côté de leurs opinions tranchées. Les pour et les contre, en perpétuelle opposition, et quelques choses comme une paix fragile entre les deux. Dans ce cas, ne fallait-il pas opposer le martyr Martineau à un équivalent de l’autre côté du spectre?
Ce qui est difficile avec un malaise comme celui que j’exprime ici, c’est qu’il n’est pas rationnel. Ma réception de la couverture est teintée par mes convictions et ce que j’ai lu et vu au préalable. Probablement qu’une grande partie de moi refuse cette association complice de près ou de loin à Richard Martineau parce qu’au-delà du martyr, il représente aussi tout ce que je déteste des chroniques d’opinions – c’est à dire la surenchère, l’utilisation de dénominateurs communs et l’évacuation des nuances pour faire plus punché.
Cette couverture du magazine URBANIA, c’est un punch, hommage coup-de-poing à la droite dévastatrice d’Ali. C’est juste que j’aurais espéré que la personne K.O., après coup, soit Richard Martineau et non moi devant la puissance de mon malaise.