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Martin le catholique : troll ou messie?

Le prêcheur du boulevard Saint-Laurent qui voulait devenir « président du Québec ».

Par
Salomé Maari
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À l’heure où les prières musulmanes sur la voie publique font polémique, celui qui se bâtit une petite notoriété sur Instagram sous le nom de « Martin le catholique » occupe les rues avec une seule mission en tête : ramener les jeunes à l’église, et raviver leur fièvre souverainiste.

C’est donc à l’intersection de deux phénomènes en hausse chez les jeunes, soit l’indépendantisme et l’évangélisme en ligne, que le prêcheur urbain de 24 ans a trouvé sa voie. Sur les réseaux sociaux, il gagne constamment du terrain avec ses vidéos filmées sur le boulevard Saint-Laurent, dans lesquelles il aborde de jeunes femmes, tard le soir, pour leur dire qu’elles devraient être à l’église plutôt que sur cette rue « satanique ». Sa phrase culte : « Vive le Québec libre et Jésus-Christ! »

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Mais qui est réellement cet influenceur religieux? S’agit-il d’un troll avide de clics ou d’un prédicateur aux véritables motivations messianiques?

Pour en avoir le cœur net, je suis allée rencontrer celui qui est convaincu qu’il deviendra un jour « le président du Québec » devant la basilique Notre-Dame, à Montréal.

DEVENU CATHOLIQUE GRÂCE AUX CLICS

Martin m’attend debout comme un piquet au milieu d’une Place d’Armes bondée de touristes. Même de loin, il est reconnaissable grâce à son hoodie noir à l’effigie de la Vierge Marie et du petit Jésus. Un morceau de vêtement que j’ai déjà aperçu tant de fois sur mon feed Instagram.

Il me tend une main nerveuse.

D’emblée, je mets quelque chose au clair avec l’influenceur : si je suis ici pour en savoir plus sur lui, je n’hésiterai pas à le confronter sur ses idées et son approche.

Pas de problème, il savait à quoi s’attendre.

Deal.

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Alors qu’une longue file de visiteurs entre au compte-goutte dans la basilique, Martin m’explique que, bien qu’il ait grandi dans une famille catholique, ça ne fait qu’un an et demi qu’il pratique sa religion de manière aussi tape-à-l’œil.

Pas qu’il y ait eu dans sa vie un point tournant dramatique, voire un événement de non-retour qui l’aurait fait basculer vers la religion. Loin de là.

Faire des vidéos sur Jésus dans la rue, ça fonctionnait bien sur les réseaux sociaux. C’est aussi simple que ça. « Honnêtement, j’ai commencé à faire du contenu sur Jésus-Christ, juste pour avoir de l’engagement, des visionnements », lance candidement le jeune homme, à l’ombre de cette basilique qui a récemment fait les manchettes.

Tout a commencé avec des vidéos de pranks (« farces ») dans la rue et des magasins à grande surface. De là, il s’est mis à réaliser des entrevues au sujet des relations hommes-femmes, toujours dans la rue, en mode vox pop.

« J’ai été vraiment influencé par Andrew Tate, je sais pas si tu connais », dit-il.

Oui, je connais bien Andrew Tate, cet influenceur britannico-américain masculiniste associé à l’extrême droite qui se dit lui-même misogyne. L’ex-kickboxeur fait d’ailleurs face à des accusations de traite d’êtres humains et de viol.

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Martin assure ne plus supporter Tate aujourd’hui. À cause de ses idées extrémistes? Non, c’est qu’il suit maintenant les fondements catholiques, alors que la vedette s’est convertie à l’Islam.

S’il était à l’époque séduit par les discours de Tate, c’est parce qu’il a été « un des premiers à parler du rôle de l’homme et de la femme, c’est-à-dire que l’homme doit travailler fort dans la société pour respecter les femmes », lance-t-il. Je l’interromps dans son envolée : « Euh, il ne dit pas qu’il faut respecter les femmes. »

« Non, tu as raison, tu as raison. Ça dépend de la vidéo… », répond-il en riant nerveusement, avant de rediriger la conversation vers un autre sujet.

En revenant sur l’évolution de son contenu, il raconte avoir un jour décidé de faire une vidéo où il demandait aux gens : « Qu’est-ce que tu choisis : un million de dollars ou Jésus-Christ ? »

« C’est devenu viral. Donc, depuis ce moment-là, j’ai juste parlé de Jésus-Christ. »

« CATHOLIQUE À 100 % »

C’est ainsi que le jeune homme né au Venezuela d’une mère québécoise, et qui a immigré au Québec à l’âge de sept ans, a commencé à s’intéresser plus sérieusement à la Bible et est « devenu catholique à 100 % ».

Depuis, il prie une heure par jour, se rend à l’église tous les dimanches, et s’est donné pour mission de répandre la parole de Dieu dans la rue.

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Il a également lancé une compagnie de vêtements arborant des images orthodoxes byzantines, nommée Christ Icon. Fervent défenseur d’un Québec libre, il dit avoir fondé un parti politique provincial, le Parti national patriote. Pour l’instant, celui-ci n’est pas enregistré, mais Martin assure qu’il y travaille.

Son compte Instagram compte aujourd’hui plus de 16 000 abonnés, et son compte TikTok, où il s’exprime en anglais, en cumule plus de 230 000. Ses vidéos y sont variées : micro-trottoirs, prédication de rue, prises de position sur des sujets controversés, montages « nostalgiques » sur le Québec du passé…

Avec son contenu, le catholique rejoint de plus en plus de jeunes, et face à l’avenir, il entretient des idées de grandeur.

Photo : Salomé Maari
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DES PROJETS DE GRANDEUR… À SAVEUR DICTATORIALE

« Je pense que le Québec va être indépendant, puis que je vais être président à vie. Donc, je vais avoir le pouvoir absolu », prédit-il, sûr de lui, en se projetant dans le futur. Une ambition qui rappelle celles des dictateurs.

Chose certaine : Martin ne se cache pas de ses visées politiques qui tendent vers l’extrême droite.

Le vingtenaire affirme sans rire que « quand il sera » président du Québec, il « va » bannir toutes les autres religions, investir massivement dans le militaire et ramener les politiques d’immigration de la Nouvelle-France, c’est-à-dire faire venir des femmes catholiques de l’Europe pour faire augmenter le taux de mariage et de natalité, comme à l’époque des Filles du Roy.

Des idées pour le moins rétrogrades.

Martin a une autre plan, qui détonne avec les autres : créer une île… de chats.

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Selon lui, le fait que l’on stérilise encore des chats « sans leur consentement » est aberrant. « Ma solution, c’est d’ouvrir une île, mettre tous les chats là-dessus, mettre ça sur les médias sociaux, si les gens veulent visiter les chats, ils doivent payer pour le parking, vendre les chats cher… Écoute, ça serait viral! », déclare celui qui a tiré son inspiration d’une île japonaise avec le même concept. Un projet qu’il assure qu’il réalisera un jour.

Le jeune prédicateur pratique la manifestation, une technique d’autopersuasion. « Je suis président, et éventuellement, je vais être président, mais légalement […] de la monarchie du Québec », dit-il sérieusement.

Il y croit bien fort, mais pour l’instant, il n’est pas président, et le Québec n’est pas près de devenir une monarchie.

De toute manière, Martin a déjà son propre royaume : le boulevard Saint-Laurent.

LA BOULEVARD DE LA PERDITION

Sur le boulevard Saint-Laurent, l’influenceur est devenu une véritable légende. Il dit s’y faire reconnaître « sans arrêt ».

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C’est son terrain de jeu pour filmer ses vidéos, qui sont en quelque sorte devenues sa marque de commerce. Il va à la rencontre des femmes, souvent très jeunes, habillées pour sortir dans les clubs pour leur parler de Dieu et les mettre en garde face à cette rue qu’il qualifie de « satanique ». Il les apostrophe en leur demandant toutes sortes de choses, par exemple si elles pensent se trouver un mari sur cette rue.

Si certaines répondent positivement, croyant sans doute à une blague ou jouant tout simplement le jeu, d’autres semblent visiblement mal à l’aise avec les propos du prédicateur et le fait d’être filmées sans leur accord.

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Pourquoi agir ainsi? Et seulement envers les jeunes femmes? Le principal intéressé assure que c’est pour les « protéger ». « Je suis un des seuls qui défend les femmes et qui dit : “Eille, ici, c’est dangereux. Ici, il y a des gars qui veulent votre mal.” Parce que, on va se dire les vraies choses, il y a beaucoup de gars qui ont de mauvaises intentions. Puis elles le savent pas. C’est pas de leur faute. »

Ainsi, avec son discours qui présume que les femmes sont inconscientes des dangers qui les guettent, Martin se positionne comme un sauveur.

DES VIDÉOS ANCRÉES DANS LA MISOGYNIE?

Lorsqu’on lui demande s’il ne trouve pas que ses vidéos tendent vers le slut shaming (stigmatisation sexuelle des femmes) et de la misogynie, il répond : « Ça pourrait être vu de cette manière. » Mais pour lui, il s’agit simplement de répandre la vérité – la sienne, du moins. « Sur Saint-Laurent, il y a beaucoup de femmes qui sont victimes d’abus, de violence, de consommation [d’alcool et] de drogues et je crois qu’il y a aucune figure qui parle de ces choses-là. Donc moi, je crois que je suis obligé de faire ça », insiste-t-il à nouveau.

« Je suis pas un misogène! », répète à plusieurs moments celui qui a visiblement du mal à prononcer le mot correctement

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– Et tu n’es pas stressé, quand tu vas parler aux gens, comme ça, sur Saint-Laurent? je lui demande.

– Non, parce que je bois un peu, répond-il.

– C’est vrai?

– Ouais. C’est quoi le problème?

– Mais tu es en train de dire aux gens qu’ils ne devraient pas boire.

– Non, je parle de la surconsommation d’alcool. C’est une rue qui promeut la surconsommation, et c’est pour ça qu’on voit plein de gens qui sont saouls dans les rues. […]

– C’est pas ça que tu fais, toi aussi?

– Moi, je suis pas saoul. Je dis que je bois un peu. Un verre de vin, c’est pas mauvais. Tu sais, au contraire, comme la Bible le dit, ça te rend le cœur heureux.

MARTIN ET LE MASCULINISME

Après avoir écouté – et remis en question – son discours sur les femmes que je ne partagerai pas ici, je demande à Martin s’il a vu le documentaire Alphas du journaliste Simon Coutu, qui met en lumière la montée en popularité d’influenceurs masculinistes québécois sur les réseaux sociaux.

Bien sûr qu’il l’a vu!

Se reconnaît-il dans ses protagonistes?

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« Non. Moi, je les supporte pas », répond-il immédiatement. Il prétend que leurs valeurs sont aux antipodes des siennes. Le jeune homme se dit davantage « traditionnel catholique » qu’eux. « Moi, je veux une femme vierge. Et eux, ils vont dire : “Non écoute, moi, ma femme, elle peut avoir couché avec qui elle veut”. »

UN TROLL SINCÈRE

En fin de compte, Martin le catholique joue-t-il un personnage? « 100 %, répond-il du tac au tac. Je niaise, mais en même temps, c’est la vérité. Tout ce que je dis, je crois que c’est vrai, mais je mets un peu d’humour parce que je sais que je vais avoir plus de visionnements, que les algorithmes vont pas juste le recommander aux chrétiens, mais à tout le monde. »

Et selon lui, ça fonctionne. « Peut-être qu’ils mentent, mais tellement de gens m’ont dit dans la rue ou sur les médias [sociaux] : “Eille, tu m’as donné le goût de lire sur Jésus ou juste d’aller à l’église pour le fun.” Vraiment, là! Même moi, je suis surpris. Je suis comme : “Mes vidéos à moi?” C’était ça, le but, mais je m’attendais pas à ça. »

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Avec ses idées rétrogrades et sa méthode teintée de parternalisme, Martin le catholique continue de gagner en popularité, pour le meilleur ou pour le pire.

Au-delà de ses contradictions, le jeune prêcheur réussit à se faufiler sur notre algorithme, suscitant curiosité ou roulements de yeux, prêt à ramener à l’église les âmes égarées sur le boulevard de la perdition.

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