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Malaise et manipulation : on déconstruit le culte de la célébrité avec Théodore Pellerin

Le film « Lurker » jette un regard acerbe sur la génération Instagram.

Par
Benoît Lelièvre
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On a tous un problème avec Instagram, qu’on se l’admette ou non.

Même si vous ne possédez pas un compte, vous vivez quand même dans l’aura de son immense influence sur la pensée contemporaine. Le dernier chanteur à la mode que vous admirez? Il est devenu célèbre grâce à Instagram. La toast aux avocats avec un œuf coulant et des p’tites tomates cerises qui vous a coûté 13 $ au brunch de dimanche dernier? Devinez où le chef aux bras tatoués a pris la recette. Ah, et ses bras ont été tatoués par un artiste trouvé sur le ‘gram.

Les réseaux sociaux (et plus particulièrement ceux où on peut y cultiver un univers visuel) servent à la fois de divertissement, d’inspiration et de moteur pour la création de nouveaux besoins. Des besoins mercantiles (comme ces satanés Labubu, par exemple) ou émotionnels, mais par-dessus tout, un besoin de connexion et de validation propres à une plateforme où on est toujours à quelques clics d’exister un peu plus fort. Surtout auprès des célébrités qui semblent plus accessibles que jamais.

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« Quand tu connectes avec la musique d’un artiste, t’as l’impression qu’il ou elle te comprendrait si vous vous rencontriez », affirme Théodore Pellerin, que l’on peut actuellement voir dans Lurker, une production américaine où un fan obsessif parvient à rejoindre la garde rapprochée d’un artiste.

« Sur les réseaux sociaux, c’est facile d’avoir l’impression d’être vu par quelqu’un qui ne te voit pas. »

De passage en ville pour la première canadienne du film à Fantasia, j’en ai profité pour discuter avec lui de ce thriller nouveau genre où les couteaux et entrées par effraction sont remplacés par des iPhones et de la cruauté émotionnelle.

Célébrité jetable et exploitation créative

Lurker raconte l’histoire de Matthew (interprété par Théodore Pellerin), un jeune vendeur de vêtements qui croise par hasard Oliver (interprété par Archie Madekwe), une sorte d’hybride entre The Weeknd et un personnage de la série Euphoria, et qui réussit, à l’aide de demi-vérités et de mises en scène, à se rapprocher de lui en tant que vidéaste.

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Fan de la musique d’Oliver, Matthew comprend rapidement que l’entourage du chanteur est une chasse gardée hermétique où tout le monde a un rôle à jouer et où il faut transgresser les limites pour gagner en importance.

« Au départ, Oliver est presqu’un dieu pour Matthew. Il a atteint la célébrité, le statut social le plus élevé. Puis, lorsqu’il atteint ce niveau à son tour et que les gens commencent à le reconnaître dans les stories d’Oliver et à le suivre, il comprend qu’Oliver n’est pas un dieu. Qu’il se marchande, comme tout le monde, et c’est à travers cette désillusion que Matthew viendra jouer le jeu, lui aussi », explique Pellerin.

Photo : Salomé Maari
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En surface, Lurker est un film très peu violent, mais sous les sourires figés, les silences nerveux et les confrontations à sens unique, une tension malsaine crépite. C’est un peu comme un film d’Alfred Hitchcock réécrit par Bon Iver. Tout le monde est fin, doux et lumineux en surface, mais chacun est aux prises avec un désir dévorant de domination. Tout se joue en nuance dans les non-dits.

Si la vie de Matthew peut ressembler à un conte de fées, elle met avant tout en lumière un mal qui nous ronge tous par le truchement d’Instagram. Le besoin d’être perpétuellement en performance et de se mettre en scène.

« Matthew et Oliver en sont tous les deux coupables. Quand Oliver dit à Matthew, très tôt dans leur relation, qu’il est son meilleur ami, il ne fait que refléter à Matthew ce qu’il veut entendre. Il n’est pas sincère du tout. Oliver dit des choses similaires à tout le monde. C’est sa manière de les charmer. De les faire sentir inclus dans son univers », explique l’acteur de 28 ans.

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À l’origine de l’obsession

Théodore Pellerin n’hésite pas à qualifier de cynique la relation de Matthew et Oliver, mais du point de vue du spectateur, leur dynamique est beaucoup plus floue.

Un détail qui rend Matthew beaucoup plus sympathique qu’il ne devrait l’être, c’est qu’il semble réellement aimer Oliver, plus que n’importe qui d’autre dans son entourage. Il l’affirme d’ailleurs dans une scène à glacer le sang qui se déroule dans le studio de musique d’Oliver et qui sert de pierre d’assise au reste du film. Je ne vous en dis pas plus afin de ne pas gâcher l’expérience, mais la scène en question en dit long sur les réelles intentions des deux personnages.

« C’est intéressant que tu y vois de l’amour parce que ce que j’y ai ressenti, c’est que Matthew voit chez Oliver quelque chose sur lequel capitaliser. Qui lui permettra de devenir une meilleure version de lui-même. À mon avis, tout ce qui intéresse les deux hommes, c’est de gravir les échelons », confie Théodore Pellerin.

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D’abord mandaté pour filmer des images pour un futur documentaire sur Oliver, Matthew en profite pour transformer Oliver en un objet de désir. Il n’hésite pas à faire souffrir le jeune chanteur pour arriver à ses fins, et Oliver semble consentir au jeu. À savoir si le Oliver qui brille dans la vision créative de Matthew est la vraie personne ou une simple image qu’il s’était faite, vous devrez regarder le film pour le savoir.

Photo : Salomé Maari

Lurker a été présenté le 1er août dans le cadre du festival Fantasia, mais le film prendra l’affiche au Canada le 29 août prochain.

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C’est un film confrontant qui met en lumière la déconnexion fondamentale derrière la familiarité manufacturée par les réseaux sociaux. On a tous l’impression de se connaître sans jamais s’être rencontrés, mais tout le monde reflète les désirs de tout le monde en échange d’un peu de momentum. Au bout de la ligne, on demeure tous des étrangers avec un besoin d’exister dans l’esprit des autres, ne serait-ce qu’un moment.

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