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Mais pourquoi đŸ€” la gĂ©nĂ©ration boomer
 ÉCRIT-ELLE
 comme ÇA ? ! ! !

On résout le grand mystÚre des publications Facebook folkloriques de votre tante ThérÚse.

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C’est le matin de votre fĂȘte – oui, ceci est une mise en scĂšne; jouez le jeu.

Tous les quarts d’heure environ, votre tĂ©lĂ©phone vibre avec un nouveau message cĂ©lĂ©brant cette nouvelle annĂ©e de vie vous rapprochant du cercueil et parmi eux, celui de votre trĂšs chĂšre grand-maman Jacqueline retient votre attention : « Bonne fĂȘte
 DĂ©jĂ  un petit bout d’adulte
 Je me souviens quand tu Ă©tais encore tout bĂ©bé  Que le temps passe vite
 Bisous mon ange  »

Ce message a Ă©tĂ© Ă©crit avec joie, vous n’en doutez pas – aprĂšs tout, vous savez de source sĂ»re que vous ĂȘtes son petit-enfant prĂ©fĂ©rĂ© –, mais la multitude de points de suspension vous donne quand mĂȘme l’impression d’un texte rĂ©digĂ© sur fond de soupirs peinĂ©s, le front posĂ© contre une vitre ruisselante de pluie, tel un clip vidĂ©o R&B de 2002.

Ding! Trois minutes plus tard, une nouvelle vibration tĂ©lĂ©phonique vous annonce que sur votre mur Facebook, votre marraine Suzanne vient tout juste de dĂ©verser le trois-quart des Ă©mojis Apple disponibles pour vous souhaiter la meilleure annĂ©e possible. Plus bas, votre autre grand-mĂšre a Ă©crit EN LETTRES MAJUSCULES QU’ELLE VOUS AIME TRÈS FORT MON TRÉSOR et a accompagnĂ© ce cri affectueux d’un gif sur lequel trois roses rouges scintillent de mille feux.

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Ces messages remplis d’affection, vous les recevez avec un sourire attendri, mais amusĂ©, tant leur forme est aux antipodes de vos modes d’échange habituels. Mais d’ailleurs, qu’est-ce qui explique ce fossĂ© communicationnel?

Pourquoi certaines générations ont-elles un si fort attachement pour les ellipses contemplatives, les majuscules militaires et les émojis en rafale?

C’est prĂ©cisĂ©ment
 CE QU’ON VA TENTER
 d’élucider ensemble â‰ïžđŸ“ đŸ€Ł

Ellipse gate

Bon, bon, bon. Commençons d’abord par clarifier quelques gĂ©nĂ©ralitĂ©s : non, ce ne sont pas tous les baby boomers qui Ă©crivent de la sorte. Peut-ĂȘtre que votre oncle rĂ©dige l’équivalent d’un prix Goncourt Ă  chacune de ses rĂ©ponses Messenger ou que votre petite-niĂšce de la gĂ©nĂ©ration alpha se sent nausĂ©euse si elle n’utilise pas moins de seize points d’exclamation par phrase.

Mais.

Si la plupart des personnes qui Ă©crivent avec une abondance de majuscules et de ponctuations semblent le plus souvent appartenir aux gĂ©nĂ©rations baby boomers (1946-1964) et X (1965-1980), ce n’est toutefois pas une coĂŻncidence. Et c’est en creusant qu’on rĂ©alise qu’une forme de vie existait avant les rĂ©seaux sociaux – oui, je vous le jure!

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Une vie aux modes de communication majoritairement Ă©pistolaires oĂč les nouvelles se transmettaient par minuscules encadrĂ©s de cartes postales aux timbres colorĂ©s et salivaires. Avec un espace d’écriture aussi limitĂ©, l’expĂ©diteur se devait donc de jongler entre concision et respiration, tout en croisant les doigts pour ne pas manquer de place en bout de ligne.

« Pour Ă©conomiser de l’espace sur la page, la personne qui Ă©crivait enchaĂźnait ses pensĂ©es en utilisant des points de suspension et des tirets, plutĂŽt que d’Ă©crire des phrases formelles plus longues avec des points. »

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« Vous ne voudriez pas que quelqu’un lise votre recette de brownies et dĂ©couvre que vous n’aviez pas d’espace pour inclure le temps de cuisson ou les instructions de refroidissement, n’est-ce pas? », explique la journaliste Michaela Magliochetti dans PureWow.

Sans tomber ici dans le « on vit dans une sociĂ©tĂ©, hein », force est quand mĂȘme de constater que dans ce fameux monde prĂ©-Zuckerberg, les discussions prenaient beaucoup plus souvent place dans la vie rĂ©elle que par Ă©crans interposĂ©s. Quoi de plus logique, donc, que d’essayer de transposer les respirations, hĂ©sitations et autres pauses naturelles du langage parlĂ© dans nos Ă©changes virtuels?

« Dans ma tĂȘte [quand je mets des points de suspension], le ton ne monte pas. Il va juste
 flotter  », explique en ce sens Eliot Borenstein, professeur Ă  la NYU, dans un article de The Outline.

« J’aime l’idĂ©e de mon commentaire en quelque sorte… qui s’arrĂȘte… dans une brume pensive… Cela signifie que je rĂ©flĂ©chis encore! »

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Une approche pratico-pratique

Qu’en est-il maintenant de ces FAMEUSES MAJUSCULES que vous venez tout juste de lire dans votre tĂȘte en CRIANT? Sont-elles justement lĂ  pour indiquer un hurlement de colĂšre? Pour marteler l’importance capitale des propos Ă©crits? Quel rĂŽle prĂ©cis jouent-elles dans vos correspondances trimestrielles avec votre grand-pĂšre?

Eh bien, Ă  vrai dire
 aucun. PlutĂŽt que de dĂ©tenir un rĂŽle prĂ©cis, elles ne sont mĂȘme qu’une simple consĂ©quence de l’ñge, le plus souvent.

« Avant, je pensais que mon pĂšre Ă©tait con parce qu’il Ă©tait brutalement direct dans ses messages. Puis je l’ai regardĂ© envoyer un message, une fois. MĂȘme s’il est un pro [du jeu] Pokemon Go, il a toujours du mal Ă  voir les petites lettres et Ă  trouver les mots pour un texte complet », rĂ©alise un utilisateur du subreddit r/NoStupidQuestions.

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« Les gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es n’ont pas grandi avec la technologie comme les millenariaux et ne sont donc pas aussi Ă  l’aise pour taper sur un Ă©cran ou un clavier », Ă©crit-il encore.

« […] Vous seriez Ă©tonnĂ©s de voir la quantitĂ© de concentration et d’énergie il faut Ă  une personne d’une gĂ©nĂ©ration plus ĂągĂ©e pour taper correctement quelques mots. »

Ici, on dĂ©couvre donc que tant chez les X que les Boomers, les Ă©lĂ©ments de langages sont beaucoup plus littĂ©raux et n’ont souvent rien Ă  voir avec le sens un peu shady que certains leur prĂȘtent. S’il y a des majuscules, ce n’est que pour mieux voir le texte au moment de sa rĂ©daction. Si on rallonge la ponctuation, c’est pour qu’elle se substitue Ă  la parole. Et si on utilise un Ă©moji qui rit, c’est parce qu’on rit nous-mĂȘme – rien d’autre.

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Mais pour les gĂ©nĂ©rations suivantes, c’est soudainement l’inverse, ce que souligne avec humour une Ă©tude menĂ©e par Blueprint sur le sens changeant des Ă©mojis d’une gĂ©nĂ©ration Ă  l’autre; plus les rĂ©pondants Ă©taient jeunes, plus les significations s’enfonçaient dans l’abstrait.

Ainsi, la tĂȘte de mort (💀) considĂ©rĂ©e comme « morbide » par les Baby boomers devenait plutĂŽt une allĂ©gorie du rire pour la gĂ©nĂ©ration Z – parce que crĂąne = mort = « mort de rire ». Et parallĂšlement, la tĂȘte inversĂ©e (🙃) symbolisant un « bonheur sarcastique » pour la gĂ©nĂ©ration Z n’était tout simplement jamais utilisĂ©e par la gĂ©nĂ©ration baby boomer, faute d’en trouver une quelconque utilitĂ©.

Fossé réel ou éternel recommencement?

Telle est the question.

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Car d’un cĂŽtĂ©, ce dĂ©calage peut aisĂ©ment s’expliquer par l’arrivĂ©e fracassante d’Internet venu s’imposer dans le quotidien dĂ©jĂ  bien Ă©tabli des uns, mais cueillir les autres dĂšs le berceau, les biberonnant Ă  la lumiĂšre bleue de leur iPad. Pour ces derniers, naviguer les codes du web, s’en emparer et les redĂ©finir Ă  leur guise a donc Ă©tĂ© aussi simple qu’une respiration et, petit Ă  petit, le virtuel est devenu pour cette gĂ©nĂ©ration un second dialecte aussi riche, nuancĂ© et complexe que n’importe quel autre langage.

Mais, paradoxalement, c’est aussi lorsqu’ils se sĂ©parent que tous ces chemins intergĂ©nĂ©rationnels convergent.

Car si les Baby boomers et X écrivent comme ils parlent, les générations suivantes, elles, écrivent plutÎt comme elles pensent.

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Donc, sans majuscules ni ponctuation et avec des Ă©mojis ou des mĂšmes en guise de seules rĂ©actions; un trajet direct du cerveau au clavier sans que jamais la grammaire ne vienne restreindre ce flux continu de pensĂ©es. Mais attention : comme une vraie langue, absolument tout ici a un sous-texte, mĂȘme ce qui est absent.

« Pour les jeunes gĂ©nĂ©rations, utiliser une ponctuation appropriĂ©e dans un contexte dĂ©contractĂ© comme l’envoi de message texte peut donner une impression de formalitĂ© qui frise l’impolitesse, comme si l’auteur du message n’était pas suffisamment Ă  l’aise avec son partenaire de message texte pour se dĂ©tendre », dĂ©veloppe le journaliste Max Harrison-Caldwell dans un papier du New York Times.

« Pour les plus jeunes, mettre un point Ă  la fin d’une pensĂ©e Ă©crite avec dĂ©sinvolture pourrait signifier que vous vous prĂ©parez Ă  vous battre. »

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Et lĂ , on ne parle que d’un seul point
 mais imaginez-en trois! À la fin de plusieurs phrases! Dans un seul paragraphe! On frĂŽle soit la dĂ©claration de guerre, soit la crise de panique.

Comme ce pauvre millĂ©narial qui raconte au mĂ©dia Marketplace avoir envoyĂ© sa prĂ©sentation Ă  son manager et reçu un simple « Merci
 Profite de ton week-end  » en rĂ©ponse. « J’ai probablement dĂ» regarder la prĂ©sentation pendant six heures, ce week-end, pour essayer de comprendre ce qui n’allait pas avec », confessera-t-il, puisqu’il avait interprĂ©tĂ© les ellipses comme de l’agressivitĂ© passive.

Sur Internet, les phrases, les images, les mĂšmes ne sont donc plus lĂ  pour ĂȘtre simplement lus ou vus, mais pour ĂȘtre systĂ©matiquement creusĂ©s, examinĂ©s et dissĂ©quĂ©s jusqu’à l’os de leur sous-texte. Rien de moins Ă©tonnant dans une Ăšre virtuelle oĂč rien n’est jamais Ă  prendre au premier degrĂ©. MĂȘme l’ironie n’est plus ironique, dĂ©sormais. Eh oui.

Alors, peut-ĂȘtre qu’un monde plus simple est finalement celui dans lequel vit notre chĂšre tante ThĂ©rĂšse pour qui une majuscule est une majuscule et un point est un point.

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Peut-ĂȘtre mĂȘme qu’au-delĂ  du rire crĂ©pite en nous, pousse une certaine envie Ă  la vue de cette personne capable de partager sa pensĂ©e sans la trahir, ni mĂȘme la draper de sarcasme. Une personne Ă  qui Internet n’a pas transmis son allergie Ă  la vulnĂ©rabilitĂ©.

(À FORTEMENT MÉDITER.)

Et puis rira bien qui rira le dernier, car la langue Ă©volue toujours, ce qui en fait justement sa beautĂ©. « Je me suis moquĂ©e de la gĂ©nĂ©ration de mes parents. Vos enfants se moqueront de la vĂŽtre. Cela fait partie de la progression normale et saine de la vie », comme l’explique une utilisatrice Reddit. Et si, mĂȘme entre deux rires, la communication n’est pas perdue, ce sera alors l’essentiel.


et sur ce
 JE VOUS QUITTE
 xoxo
 MALIA 😀👍

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