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L’être humain a besoin de douceur

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J’étais un objet cassé. Cassé en dedans.

Mon cœur n’était plus un muscle rose, chaud, tendre et vivant. Enfin, il existait encore, cet oiseau fragile. Mais il avait une enveloppe dure comme une assiette de céramique. Fissurée. Avec du vent qui souffle dans ses craques. Un vent d’anxiété. Un vent méchant qui ne prend pas beaucoup de vacances… Qui souffle, qui souffle, qui crée des peurs comme des ombres géantes qu’on essaie d’éviter. Épuisant.

C’est la vie qui avait fait ça. Rien de trop dramatique ou de traumatique. Des carences affectives héritées de l’enfance : pas trop de place pour les besoins et émotions de l’enfant que j’étais. Des déceptions amoureuses adolescentes. Des deuils. Une dépression jamais soignée au début de l’âge adulte. Une propension génétique à l’angoisse, aux peurs qui gonflent et s’emballent et creusent des chemins pour mieux revenir hanter leur hôte. Une estime personnelle bringuebalante.

Et, depuis des années, une relation amoureuse qui n’en était plus une, qui se nourrissait aux critiques et aux reproches. J’avais dit au père de mes enfants : ça me casse. Tes blâmes et ta foudre verbale me brisent. Ça ne se recolle pas… Il n’était pas capable de m’aimer autrement, faut croire. (Je n’étais peut-être pas assez aimable, en étais-je venue à penser.) Juste avant que je ne m’extirpe de cette relation, j’avais le dedans des joues qui goûtait amer. J’étais comme une plante qu’on a oublié d’arroser. Dont la sève est devenue toxique.

L’être humain a besoin de douceur.

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En tout cas, moi j’en avais besoin. Tellement. Peu de temps après ma séparation, j’ai fait une séance d’art-thérapie avec la sœur d’une amie qui étudiait là-dedans. Une heure avec de grandes feuilles et des pastels, de la gouache, des crayons-feutres, tout ce que je voulais. L’expérience a été presque violente. Des feuilles et des feuilles de traits noirs et rouges, projetés avec fureur sur le papier…. Des mètres de colère refoulée, en pastel gras. La thérapeute avait les yeux ronds (je n’avais pas l’air d’une furie, quand je suis entrée là – je n’ai pas vraiment l’air d’une furie en général!).

Puis, doucement, en fin de séance, du bleu pâle est apparu. Ensuite du rose. Du blanc. La toute dernière feuille représentait un bébé dans les bras d’une maman au milieu d’une tempête de gros flocons de neige tombant en silence. La thérapeute m’a demandé de choisir deux mots pour représenter mon dessin. J’ai choisi « douceur » et « enveloppement ». J’avais tellement besoin de douceur et d’enveloppement. J’avais froid, seule sur ma branche. Froid et peur comme un pinson tremblant devant un faucon menaçant. Mais il n’y avait pas de faucon. Le faucon était dans ma tête.

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Il a d’abord fallu que j’aille chercher de l’aide pour me rafistoler. C’est notre privilège d’êtres humains du XXIe siècle d’avoir accès à des thérapies éprouvées…. Et j’ai fait de la méditation. Pour m’apaiser. Pour voir plus clairement le présent, entre mes ruminations du passé et mes anticipations anxieuses. J’ai fini par l’apercevoir. Il était là, lac calme au clair de lune. Il y avait plein de beau dans mon présent : des enfants, des amis, une famille, des projets, un appart juché dans les arbres. La lumière de la fin de l’été. Des choses que je ne voyais plus dans mon ancien brouillard.

***

J’en étais là, à me rabibocher tranquillement, quand ta route a croisé la mienne, il y a un an. J’avais recollé quelques morceaux. Le vent soufflait moins fort. Tu ne savais pas exactement d’où j’arrivais.

Tu m’as dit que j’étais « jolie ». Tu paraissais séduit par mes projets, mes passions, ma « bienveillance ». Tu ne me critiquais pas, tu m’encourageais. Il était doux d’être avec toi en voiture, au musée, sur la rue, partout. Doux et épeurant. Se laisser aimer, c’est risqué.

Ma psy : N’écoute pas ta peur qui parle.

Moi : OK, je mets mes bouchons.

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Ton corps, tes mains, ta bouche, tes yeux ont doucement chauffé mon glacier. Au centre, mon oiseau de cœur a repris quelques plumes. Je te disais : « t’es sûr que tu existes? ».

Tu ne savais pas que tu n’étais pas juste en train de me faire l’amour. Que tu étais aussi en train de me réparer. Comme Gepetto répare Pinnochio, le ramène à la vie après son naufrage dans l’épisode de la baleine… Pour vrai, c’était un peu ça…

Peut-être que si tu avais su tout cela, tu serais parti. Peut-être que ça t’aurait fait peur.

Peut-être aussi que tu le sentais que tu me réparais. Et que ça te faisait du bien.

Peut-être que ça te réparait aussi?

Le psychologue américain Harville Hendrix dit qu’aimer quelqu’un, c’est « réaliser que notre relation amoureuse a un but caché : guérir nos blessures d’enfance a tous les deux ». Trouves-tu que c’est vrai?

Aujourd’hui, tu lis ce billet en même temps que les autres lecteurs d’Urbania. Probablement assis à ton bureau en train de manger un sandwich. Je t’avais prévenu que mon texte parlerait de toi. J’espère que tu lis le message qui est caché entre les lignes : je t’aime. Toi, oui, toi, qui mange un sandwich dans une tour du centre-ville. Toi, je t’aime.

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Dehors, c’est l’automne, comme l’an passé quand on s’est rencontrés. Mais je ne suis plus tout à fait le même oiseau. Mon cœur a grossi, il chante dans ma poitrine. Mon ciel est clair.

Et je n’ai plus froid.