Damien Robitaille a eu un début de COVID beaucoup plus rock ‘n’ roll que la plupart d’entre nous. À la première semaine d’une tournée en Europe, Robitaille était dans le train entre Toulouse et Nantes pour se rendre à un spectacle. « Tous les passagers se regardaient en silence. Macron faisait des annonces à la télé. On avait tous peur d’attraper la COVID. »
L’auteur-compositeur-interprète a été forcé de mettre sa tournée sur pause et de rentrer au bercail à vitesse grand V dans un contexte pré-apocalyptique. Fraîchement divorcé, son ex et ses deux filles se trouvant sur un autre continent, sans contrat ni certitudes pour le futur, Damien Robitaille s’est retrouvé seul à la maison avec son chien.
« J’ai passé proche de rester là-bas. Mes filles vivaient en Espagne à ce moment-là. Je me suis demandé si je préférais me retrouver seul à la maison ou me retrouver perdu dans un pays que je ne connais pas. J’ai opté pour la prudence », admet-il avec un sourire en coin.
Il ne le savait pas encore, mais il était à quelques semaines de devenir une coqueluche du web pandémique. Même chose pour l’humoriste Math Duff qui était en réunion chez KOTV lorsque le confinement a été déclaré. « Je disais justement que mes live Instagram commençaient à prendre de l’envergure. Ça a pris une toute autre dimension par la suite », raconte le jeune humoriste.
La pandémie a changé d’innombrables vies, altéré un nombre incalculable de parcours, mais elle a bien fait les choses pour certains.
.jpg)
Du soir au matin (littéralement)
Depuis le printemps 2020, les vidéos d’homme-orchestre de Damien Robitaille ont amplement fait le tour des réseaux sociaux, mais peu d’entre nous se rappellent qu’elles ont commencé dans un format beaucoup plus simple.
« La première chanson que j’ai mise en ligne, c’était Isolation de John Lennon. Je faisais juste filmer mes mains à ce moment-là », explique le Franco-Ontarien qui s’exprime dans un franglais très assumé. « J’ai vite réalisé qu’il me fallait des chansons plus upbeat pour qu’on passe à travers ensemble et cette réalisation-là a entraîné un paquet de défis techniques qui m’ont mené vers la formule d’homme-orchestre. »
Robitaille affirme que ça a pris du temps avant que la formule décolle, mais qu’avec ses filles sur un autre continent et son horaire qui s’est libéré du jour au lendemain, il s’est lancé à corps perdu dans la création de ses vidéos de reprises.
Cette formule allait comme suit. Il se réveillait le matin vers 7h ou 8h pour mettre en ligne la vidéo de la veille, il se recouchait par la suite jusqu’à midi, apprenait une nouvelle chanson l’après-midi, l’enregistrait le soir et faisait lui-même le montage jusqu’à tard dans la nuit. « Je pouvais sortir malgré le couvre-feu à cause de mon chien et je profitais des promenades en solo pour répéter les paroles. »
En maintenant le rythme, il a réussi à produire plus d’une centaine de vidéos. Aujourd’hui, sa librairie de reprises en homme-orchestre compte plus de 350 chansons.
« Même ma gérante voulait que je ralentisse, mais ça ne me tentait pas. Au plus fort de la Covid, quand tout le monde allait faire la file à la SAQ, moi, j’avais arrêté de boire pour me dédier entièrement à ça », explique Robitaille.
Si on garde un souvenir de lui comme d’un artiste qui a fortement marqué le paysage de la pandémie au Québec, ses vidéos lui ont ouvert plusieurs portes au-delà de la frontière. Il s’est rapidement fait entendre du Brésil jusqu’à l’Écosse et plusieurs artistes choisis pour une vidéo d’homme-orchestre lui ont témoigné leur appréciation, dont Cypress Hill, Elton John, Daddy Yankee, Hall & Oates et plusieurs autres.
Robitaille crédite son interprétation de What Is Love? d’Haddaway pour cette percée. Dans la vidéo en question, on voit l’artiste exercer une forme de multi-intrumentisme plus rudimentaire :
« La comédienne Zooey Deschanel m’a écrit pendant un bout. J’ai jamais eu de grande conversation profonde avec elle, mais c’était le fun. Elle me posait des questions parce qu’il y avait plusieurs aspects à ces performances. L’interprétation, la musique et le montage », précise le musicien.
Il explique ne pas vraiment avoir eu à gérer de commentaires négatifs, mais d’avoir encore aujourd’hui à gérer près de mille faux comptes opérés par des fraudeurs qui essaient de soutirer de l’argent à ses adeptes. « Avec ces vidéos-là, je suis rentré dans la maison des gens. Dans leurs vies. Ils se sont attachés à moi. C’est tragique que cet amour soit exploité par du monde malveillant. »
50 soirs et 150 000 adeptes plus tard
La carrière de Mathieu Dufour, alias Math Duff, commençait à décoller lorsque le confinement s’est abattu sur le Québec. En décembre 2019, il avait rempli le Club Soda deux soirs d’affilée grâce à sa communauté Instagram qui comptait à l’époque 40 000 abonnés.
« J’ai jamais décidé de faire le Show-rona Virus. C’est arrivé organiquement. Je faisais des lives, à l’époque, et mes amis n’arrêtaient pas de m’envoyer des demandes pour venir parler avec moi. La présence de Véro(nique Cloutier) a été un catalyseur, c’est sûr. Après ça, tout s’est emboîté. J’ai eu Laurent Duvernay-Tardif, Valérie Plante, Howie Mandel. Ça s’est poursuivi pendant 50 soirs », raconte celui qui anime depuis quelques mois l’émission du retour à la maison sur les ondes de Rythme FM.
.jpg)
La présence d’Horacio Arruda, elle? Rappelons-nous qu’à l’époque, l’aplatisseur de courbes préféré des Québécois ne sortait pas tant du cadre des conférences quotidiennes et sa participation au Show-rona Virus avait été très remarquée. C’est le gouvernement qui avait contacté Mathieu pour lui offrir l’opportunité de parler au docteur. « Chaque soir, il pouvait y avoir jusqu’à 100 000 personnes qui regardaient. Il y a eu un sentiment de communauté qui s’est créé super vite. »
Finalement, le Show-rona Virus aura permis à Math Duff d’acquérir de l’expérience et de la visibilité.
Les projets se sont enchaînés pour lui et sa cote de popularité est montée en flèche, culminant avec un spécial Netflix enregistré au Centre Bell.
« Je suis pas quelqu’un qui regrette les choses. C’était pas parfait, le Show-rona Virus, mais ça m’a apporté un autre niveau de crédibilité et j’ai pu passer à autre chose », précise-t-il.
Grandir dans l’incertitude
« Avant la pandémie, ma carrière plafonnait depuis quelques années. J’avais de la difficulté à me faire de nouveau fans. Mes salles de spectacles n’étaient pas toujours pleines », avoue candidement Damien Robitaille.
Le mois dernier, le chanteur a lancé Ultraviolet, son premier album de compositions originales depuis 2017. Une collection de neuf chansons fantaisistes aux discrets accents synthwave qui donnent le goût de danser entre deux brassées de lavage ou en faisant la vaisselle.
« J’ai toujours fait à ma tête, sur mes albums, mais sur Ultraviolet, je l’ai fait avec plus de confiance. Étant donné que le public m’a vu faire à peu près tous les styles de musique pendant la pandémie, je me suis donné la permission d’y aller à fond sur cet album. »
Les vidéos pandémiques ont donné un second souffle à sa carrière et l’aident encore, aujourd’hui. Par exemple, en repartageant sa version de Pump Up The Jam en décembre dernier, il a gagné plus de 60 000 nouveaux adeptes sur Instagram.
Mais la question qui s’impose, c’est : est-ce que ces performances et ces nouveaux adeptes sont intégrables dans une démarche artistique qui lui appartient pleinement? Robitaille n’a pas encore trouvé de réponse à cette question, mais il ne s’inquiète pas de l’ombre que font ses vidéos virales à ses compositions originales.
« C’est des reprises, mais c’est mes interprétations. C’est un peu mes créations, aussi. Ce qui intéresse les gens, c’est pas juste les chansons, mais le bonhomme qui vient avec. En show, je fais un medley de plusieurs reprises que j’ai fait pendant la pandémie et chaque fois, le monde se lève pour danser. J’adore ça », confie-t-il.
Même son de cloche du côté de Math Duff. « J’avais un peu plus 40 000 abonnés Instagram au début du confinement et en l’espace d’un mois, j’en ai eu 150 000 de plus. Ça m’a vraiment aidé à bâtir un auditoire », révèle l’humoriste qui compte aujourd’hui 272 000 abonnés.
Personne n’a oublié les petits moments de lumière pendant la grande noirceur du confinement. Ils vivent dans notre mémoire, mais aussi à travers la carrière de ceux et celles qui les ont créés pour nous. C’était un moment difficile à passer, mais ça a altéré des trajectoires de façon profonde et positive.
On avait beau être tous à l’intérieur, on était tous ensemble. Les Damien Robitaille et Math Duff de ce monde ont rendu nos vies plus belles et on leur a rendu collectivement tout cet amour qu’ils ont investi dans leurs projets.