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Les nouveaux fathers for justice

Permettez-moi de faire un lien pas si douteux entre la chasse aux pédophiles et l’affaire Turcotte.

Par
Judith Lussier
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Si vous avez passé un peu de temps sur les réseaux sociaux en fin de semaine, vous avez probablement vu circuler la face d’un ou deux pédophiles dans vos fils respectifs. Il s’agit des prises d’un papa-justicier qui a décidé de traquer sur le fait des hommes en train de pervertir la jeunesse.

Je ne partagerai pas ici lesdites vidéos. C’est dégueulasse, et probablement illégal. Je ne porterai pas trop de jugements non plus sur le père en question : il doit bien avoir assez de détresse en cet homme pour consacrer autant de temps à se faire passer pour des fillettes sur le web. Je me contenterai de juger la société avec mon habituel regard judéo-chrétien.

Contrairement à ceux qui s’enfilent des films de cowboys chaque semaine, je suis peu impressionnée par les personnes qui se font justice elles-mêmes. Ça me fait toujours penser aux spectacles amateurs à l’école, quand tout le monde voulait décider de la mise en scène à la place du metteur en scène. C’est toujours à ce moment-là que je décrochais.

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L’apprentissage des rôles hiérarchiques se fait à la dure lorsque, sur un même pied d’égalité, on réalise que tout le monde veut faire le chef, et personne l’indien. À l’âge adulte, on finit par prendre la place qui nous revient. L’un deviendra docteur, l’autre pompier, et chacun jouera son rôle dans la société tel qu’indiqué.

Puis, un père-justicier vient mêler les cartes. Il n’est ni policier, ni juge, et pourtant, il est élevé au rang de héros traqueur de pédophiles. Sur les forums, sur YouTube, les autres papas pour la justice l’encensent, envient son courage et disent qu’il a ben raison de faire ça.

Comme j’aime mettre les gens dans des cases, mon esprit pragmatique était dérangé, jusqu’à ce qu’un collègue vienne à ma rescousse sur Facebook. Comme il écrit très bien, je recopierai ici ses propos : «Quand il y a une perception, fondée ou non, que le système de justice ne fonctionne pas, ou qu’il ne répond plus aux attentes, alors le vigilantisme apparaît. Pour éviter l’anarchie et les débordements, il faut que la population soit convaincue que l’État fait un travail irréprochable.»

Je me suis alors souvenue du procès Turcotte. À la tombée du jugement de non responsabilité criminelle, ça déchirait ses chemises sur Twitter, ça criait au scandale, ça piquetait dehors pour que justice soit rendue. Même si j’étais d’accord avec le verdict à l’époque, je ne suis pas convaincue que ce procès ait donné à la population la «perception, fondée ou non, que le système de justice fonctionne».

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Ceci dit, depuis que j’ai été traitée d’extrémiste par Mario Dumont, je ne suis pas convaincue non plus que la perception de la population ne soit pas fondée sur n’importe quoi. Toute la vérité pourrait aussi être en cause dans ce sentiment que la justice québécoise en pourrie.

Des nominations de juge douteuses? Des émissions d’enquête qui font passer les policiers pour des pas bons («regarde, c’est facile, d’attraper des pédophiles»)? Des jugements rendus sans plus d’éducation populaire sur les fondements du droit, le concept de doute raisonnable, la responsabilité criminelle, etc?

Difficile d’identifier une cause responsable de l’effondrement de la confiance citoyenne en notre système juridique. Mais le résultat est qu’une nouvelle race de fathers for justice point à l’horizon. Il y aurait peut-être un peu d’éducation à faire, si on ne veut pas que n’importe quel papa nous redresse le pédophile à sa façon. J’attends impatiemment un billet de Véronique Robert sur la question.

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PS. Pour de vrai, j’aime pas vraiment ça mettre les gens dans des cases.