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Les films de Kevin Smith me réconcilient avec l’idée de vieillir

Le sympathique réalisateur américain était populaire (et pertinent) dans un monde qui n'existe plus.

Par
Benoît Lelièvre
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Je ne suis pas la personne la plus nostalgique au monde.

Les Amis Ratons, ça ne m’a jamais fait tripper. Pas quand j’avais six ans et pas plus aujourd’hui.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu hâte d’être un adulte. C’est pas une affaire de maturité précoce, j’écoutais les dessins animés comme tout le monde. J’en écoute d’ailleurs encore aujourd’hui. C’est juste que lorsqu’on est jeune, il y a un curriculum de trucs à regarder. Mal à l’aise de laisser leur rejeton devant la télé plus que trente minutes pour reprendre leur souffle, les jeunes parents se consolent en se disant qu’au moins ils les installent devant quelque chose d’éducatif. Ou quelque chose qui dégage de bonnes valeurs.

Sauf que Les Amis Ratons, ça ne m’a jamais fait tripper. J’ai pas de feeling doux et confortable lorsque je regarde Benoît et Charles Laveur déjouer les plans de Cyril Rictus. J’men crisse.

Certains ont des bandes sonores pour accompagner certaines époques de leurs vies, moi j’ai des films.

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J’ai eu 38 ans cette semaine et la vie (bien que beaucoup plus compliquée aujourd’hui) n’a jamais été aussi belle, enrichissante et motivante. En partie, parce que je peux choisir ce que je fais de mon temps, ce que je mange pour souper et ce que je regarde à la télé. J’ai fêté l’occasion avec un verre de whisky et le film Mallrats, de Kevin Smith. Un film qui me rappelle beaucoup de bons souvenirs. Notamment parce que j’ai dû le voir au moins 100 fois. Certains ont des bandes sonores pour accompagner certaines époques de leurs vies, moi j’ai des films.

Bien que Mallrats ait vieilli comme un bon vin, l’expérience fut beaucoup plus douce-amère que je ne l’aurais anticipé. À la limite de la mélancolie. Pourquoi donc?

La nostalgie des choses plates

Mallrats, c’est l’histoire de deux gars qui vont guérir leurs coeurs brisés en allant niaiser au centre commercial au lieu de rester chez eux à s’apitoyer sur leur sort en écoutant l’album MTV Unplugged In New York de Nirvana comme tout bon adolescent l’aurait fait en 1995. Simple, efficace et extrêmement de son temps.

À ma connaissance, Mallrats, est le plus jeune film à propos d’une époque complètement révolue.

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À ma connaissance, Mallrats, est le plus jeune film à propos d’une époque complètement révolue. Sorti en salles le 20 octobre 1995, internet n’était alors qu’une étrange nouveauté dans la vie des gens. Avec raison d’ailleurs, puisqu’il fallait occuper la ligne téléphonique de la maison pour s’y connecter, visiter un site web ou écrire un courriel. C’est à peu près tout ce qu’on pouvait y faire et il fallait s’armer de patience. C’était un peu comme la Apple Watch aujourd’hui. Y’avait juste les geeks pis le monde avec des parents frais chiés qui avaient ça. On avait même pas encore eu l’idée des réseaux sociaux et des téléphones intelligents.

C’est une époque qu’on ne revivra jamais. Ce ne sera plus jamais socialement correct de s’emmerder et de partir chercher le trouble quelque part. Je ne m’ennuie pas de grand-chose qui date des années 90, mais je m’ennuie de ça. Cet étrange sentiment de liberté devant un long moment où il y a simplement rien de constructif à faire. Pas de série Netflix à rattraper. Pas de projet de vie à partager sur Instagram. On s’emmerde encore aujourd’hui (évidemment, on parle d’emmerdement hors pandémie), mais on soigne cet emmerdement avec la technologie.

On s’emmerde encore aujourd’hui, mais on soigne cet emmerdement avec la technologie.

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Si les protagonistes de Mallrats Brodie et T.S regagnent le coeur de leurs bien-aimées à la fin du film, c’est parce qu’elles ont pu réapprendre à les connaître dans un nouveau contexte. Un contexte qu’elles ne contrôlaient pas et auquel elles ne s’attendaient pas du tout. C’est juste arrivé… chose qui n’arrive juste plus. La chose de laquelle je m’ennuie le plus à propos des années 90, c’est ces trous existentiels que la technologie n’essayait pas agressivement de combler.

https://www.youtube.com/watch?v=cg74gGSzeYY

Le crisse de temps qui passe

Ça faisait dix ans que je n’avais pas vu Mallrats. Ça fera aussi bientôt 15 ans que Kevin Smith n’a pas fait un bon film. Ce n’est pas une coïncidence. Ces deux faits sont intimement liés.

Ce film, c’est un peu l’équivalent émotionnel d’aller déterrer des cadavres dans un cimetière pour les regarder pourrir.

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Ça m’a pris du temps à le comprendre, mais c’est devenu très clair quand j’ai regardé Jay & Silent Bob Reboot, cet été. Le tout dernier film de Smith et le huitième dans la série du View Askewnierse dont fait partie Mallrats. Ce film, c’est un peu l’équivalent émotionnel d’aller déterrer des cadavres dans un cimetière pour les regarder pourrir. On y voit les mêmes personnages qui font les mêmes blagues qu’il y a 25 ans en espérant provoquer un rire de sympathie. Ce n’est pas juste le même ton. Ce sont carrément LES. MÊMES. BLAGUES.

C’était charmant la première fois, mais là c’est juste weird.

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Il n’y a rien pour vous faire comprendre à quel point le monde a changé que de côtoyer quelqu’un qui n’a pas changé du tout. L’humour de Kevin Smith a toujours été une des composantes de son succès, mais la recette du réalisateur contient plus d’ingrédients que ce dernier ne semble le réaliser. Des jokes de pets, c’est drôle… mais ça prend un contexte pour les faire lever. Recycler les mêmes jokes de pets, ça fait juste prendre conscience à l’auditoire à quel point les personnages ont vieilli.

C’est comme le gars du secondaire qui vous lance les vieilles blagues à votre conventum et qui rend tout le monde mal à l’aise parce qu’il aime trop le passé.

Des jokes de pets, c’est drôle… mais ça prend un contexte pour les faire lever.

Ce qui fait le charme d’une série comme Cobra Kai, c’est que les personnages ont vieilli. Ils ont changé, pris de la maturité et surtout, ils sont aux prises avec des problèmes d’adultes comme leur auditoire l’est. Personnages et auditoires ont perdu leur innocence en même temps, mais ils se retrouvent. Voir Johnny Lawrence s’ouvrir une page Facebook entre deux cours de karaté, ça provoque de la nostalgie. On retrouve notre enfance… dans un contexte!

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Celui dans lequel les films de Kevin Smith ont connu du succès est mort et enterré. C’est pour ça qu’on aime ses vieux films, mais pas ses nouveaux. Ils nous rappellent à quel point on pouvait être turbulents et créatifs quand internet n’avait pas une offre infinie de contenus destinés à remplir nos journées. C’était une époque où on avait pas le choix de partager la même réalité.

Ça, Kevin Smith ne le comprend pas. C’est dur de lui en vouloir, ça m’a pris du temps à le comprendre moi-même. En attendant qu’il trouve des choses drôles à dire sur le XXIe siècle, je vous suggère d’écouter Mallrats sur Netflix ce weekend ou, si vous y tenez vraiment beaucoup, Jay & Silent Bob Reboot sur Amazon Prime Video.

Personne n’aime ça, vieillir. Mais on vieillira pas moins vite si on arrête d’aller de l’avant et d’évoluer. Changer avec son temps, ça préserve notre lien avec le monde. Avoir les deux pieds dans le passé, c’est une bonne façon de se fossiliser avant son heure.

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Merci de m’avoir fait réaliser ça, Kevin. Peu importe ce qui arrive, on aura toujours Clerks et Mallrats!