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Ode à Cobra Kai

Johnny Lawrence, c'est mon Fleabag.

Par
Benoît Lelièvre
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Y’a personne de bien dans sa peau qui fait ce que j’ai fait.

– Mike Tyson

*

J’avais 19 ans. Mon père venait tout juste de passer la porte de ma chambre aux résidences de l’Université de Montréal et de s’engouffrer dans son pick up en direction de la Côte-Nord. Douze heures de route. Armé de ma carte de guichet, j’ai pris le métro en direction d’un centre d’arts martiaux avec une idée fixe en tête: arrêter de me sentir comme un loser. D’avoir peur de tout. De tout le monde. D’être tout croche, tout le temps.

Je voulais être mieux avec moi-même. Là. Pas dans quatre ans. Pas lorsque j’aurais magiquement une job, une famille et une hypothèque comme tout le monde. Pas lorsqu’on me dirait d’aller mieux. Là. Maintenant.

Je voulais être mieux avec moi-même. Là. Pas dans quatre ans. Pas lorsqu’on me dirait d’aller mieux. Là. Maintenant.

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Près de vingt ans plus tard, j’avais presque oublié ce feeling. Il est remonté à la surface pendant un épisode de la série Cobra Kai où le protagoniste Johnny Lawrence (oui oui, le méchant dans Karate Kid) décide de fermer son gym parce que la vie semble s’acharner à l’empêcher de redevenir le karatéka de ses beaux jours. La mère de son seul élève Miguel vient de lui interdire les cours, prétextant que Johnny exerce une mauvaise influence sur son fils.

L’épisode est une série ininterrompue d’échecs. Johnny perd sa job. Il se fait rejeter par son fils délinquant alors qu’il essaie de le convaincre de retourner à l’école. Il se fait offrir un coup de main par Daniel LaRusso. À la toute fin, Johnny revient cogner chez Madame Diaz pour la supplier de laisser son fils reprendre les cours chez Cobra Kai.

«Ben voyons, t’es ému. T’as les yeux plein d’eau.»

Busted.

C’est con. La scène est bien écrite, mais pas du tout faite pour tirer les larmes. Ça m’affecte quand même, parce que je comprends le sentiment qui motive Johnny. Plutôt LES sentiments: la colère, l’espoir, l’amertume, la honte. La crisse de honte lourde qui ajoute du poids sur nos épaules chaque fois qu’on a pas été capable de se comporter comme on l’aurait voulu.

Avant d’aller me coucher ce soir-là, ça m’a frappé: je réagissais à Cobra Kai exactement comme ma blonde avait réagi à l’excellente série Fleabag, de Phoebe Waller-Bridges. C’est-tu normal ou c’est moi qui capote?

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Le fleabag des nerds

En y réfléchissant bien, les parallèles entre Cobra Kai et Fleabag sont nombreux:

Ce sont deux comédies dramatiques.

Elles sont toutes deux des études de personnage.

Elles misent toutes les deux sur des épisodes d’une demi-heure (chose rare pour une série télé aujourd’hui).

Leurs protagonistes sont en crise existentielle.

Ces mêmes protagonistes prennent soin de quelqu’un sans que personne ne prenne soin d’eux.

OK. OK. J’arrête. La comparaison s’arrête là. C’est tellement évident que je ne sais même plus si je dois absolument le souligner. Cobra Kai N’EST PAS AUSSI BIEN ÉCRITE que Fleabag. La série n’a pas le même génie, pas la même intimité déchirante de la plume iconique de Phoebe Waller-Bridges. C’était d’ailleurs un projet beaucoup plus personnel pour cette dernière qui y évoquait des bribes de sa propre vie en se cachant à peine derrière son personnage.

Ce n’est pas une bonne série sur les arts martiaux, mais c’est une excellente série pour expliquer POURQUOI les gens font des arts martiaux.

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Cobra Kai rentre au poste quand même. Ce n’est pas une bonne série sur les arts martiaux, mais c’est une excellente série pour expliquer POURQUOI les gens font des arts martiaux. Parce que le propos ne s’arrête pas à la renaissance de Johnny Lawrence. Il s’applique aussi à ses élèves, des jeunes désarticulés, frustrés, vivant dans la peur de leur quotidien à l’école secondaire. Ils débordent de vie sans trop savoir comment l’exprimer.

Cette impression de ne rien contrôler dans leur vie les suit partout. Ils sont la proie de leur environnement. S’ils se tournent vers les arts martiaux, c’est dans l’espoir d’enfin maîtriser quelque chose: eux-mêmes. Pouvoir façonner le visage qu’ils présentent au monde. Parce que dans la vie, on ne contrôle pas grand-chose à part ça. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai passé douze années de ma vie à étudier le jiu-jitsu brésilien.

L’héritage de Karate Kid

Si Cobra Kai est aussi efficace, du moins pour moi, je suis convaincu que le retour des acteurs de Karate Kid William Zabka et Ralph Macchio y est pour beaucoup.

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Il ne s’agit pas d’un reboot qui véhicule les mêmes valeurs. En fait, pas du tout. Ce sont les deux mêmes personnages qui reviennent 34 plus tard pour nous confronter : ce qu’on vous a raconté dans les vieux films, c’est de la bullshit. Johnny n’était pas un bully sanguinaire, mais un jeune homme qui souffrait d’insécurité, issu d’une famille reconstituée et Daniel n’était pas un preux chevalier préado. C’était un petit crisse de baveux à la langue fourchue.

Et ces deux garçons sont devenus des adultes complexes et imparfaits chacun à leur façon. Ils étaient des idées et maintenant ils sont des humains à part entière.

Non, Cobra Kai n’est pas super deep, mais c’est pas superficiel non plus.

On est seulement à moitié dans la réécriture. La facture visuelle ultra-réaliste nous donne l’impression de regarder une version fictive d’un documentaire Behind The Music ou quelconque autre tell all qui raconte les coulisses d’un moment marquant de notre enfance. Non, Cobra Kai n’est pas super deep, mais c’est pas superficiel non plus.

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Plus jeune, on regardait Daniel San avec admiration et Johnny Lawrence avec crainte et colère. Aujourd’hui, on les regarde comme des vieux amis qui ont grandi un peu tout croche. Qui sont devenus des adultes au meilleur de leurs capacités sans vraiment rien accomplir d’extraordinaire. Daniel et Johnny sont devenus des gens… ordinaires. Ordinaires comme nous tous.

*

Ça fait maintenant cinq ans que je n’ai pas mis les pieds dans un gym d’arts martiaux. Le surentraînement, les blessures et parfois juste les choix de vie m’en ont éloigné, mais je suis en paix avec ça. Les arts martiaux ont rempli leur promesse. Ils n’ont pas tout guéri, mais pas loin.

Mon déclic à l’époque (comme pour plusieurs jeunes hommes), c’était Fight Club, mais si j’avais 19 ans aujourd’hui ça aurait probablement été Cobra Kai.

Pas obligée de vous rendre jusqu’à la porte d’un gym d’arts martiaux pour vous aider à mieux vivre avec vous-même. Suffit de trouver quelque chose dans quoi vous investir vraiment. Quelque chose qui va vous brasser, vous confronter et vous déconstruire stratégiquement pour mieux vous rebâtir. Que ce soit Cobra Kai, Fleabag, The Defiant Ones ou peu importe ce qui vous allume. Je vous le souhaite.

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Je suis probablement la seule personne ayant versé une larme en regardant Cobra Kai, mais ça ne me dérange pas. Je comprends pourquoi.

Regardez la série quand même. Faut pas bouder son plaisir. Jamais.