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Les espadrilles de Bruno Marchand et les Doc Martens de Catherine Dorion : un double standard?

Acclamées d’un côté, critiquées de l’autre, les chaussures des politicien.ne.s sont loin d’être insignifiantes.

Par
Catherine Montambeault
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La semaine dernière, mon collègue publiait dans nos pages (virtuelles) un plaidoyer pour une meilleure représentativité des jeunes parmi nos élu.e.s. Il y soulignait le vent de fraîcheur politique qu’incarne le nouveau maire de Québec Bruno Marchand avec ses souliers de sport colorés qu’il porte en toutes occasions, même à la une du Devoir.

Depuis la victoire in extremis de Bruno Marchand en novembre dernier, on a beaucoup parlé de ses espadrilles, et majoritairement de façon positive. Il suffit de regarder les commentaires sous la publication Facebook du maire annonçant qu’il troquait ses sneakers aux couleurs pimpantes pour des souliers noirs conventionnels – un Poisson d’avril – pour constater les valeurs d’authenticité, de dynamisme et de persévérance qu’évoquent les souliers de course dans notre pensée collective.

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« Je trouvais que c’était rafraîchissant!! Vous donniez une image plus proche des citoyens, plus simple!!! », écrivait une internaute.

« Les espadrilles représentent une personne rapide, proactive, dynamique, en forme, qui veut réaliser plein de belles choses. Voici ce que nous voulons d’un maire », renchérissait une autre.

La ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, a même chaussé ses propres souliers de course lors de sa première rencontre officielle avec le maire.

Difficile de ne pas remarquer le contraste frappant entre ces réactions et celles auxquelles a eu droit la députée de Québec solidaire Catherine Dorion lorsqu’elle s’est présentée à l’Assemblée nationale avec ses bottes Doc Martens et ses tenues décontractées. « Manque de respect pour nos institutions », « [aucun] égard pour les traditions parlementaires », « elle veut juste que l’on parle d’elle », pestait-on alors.

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Est-ce un double standard qui nous pousse à juger différemment les tenues des politiciens et des politiciennes, ou est-ce tout simplement que les espadrilles et les Doc Martens ne marquent pas les esprits de la même manière?

Selon Philippe Dubois, doctorant en science politique à l’Université Laval et étudiant-chercheur au Groupe de recherche en communication politique (GRCP), c’est un peu des deux.

Choix conscients, objectifs différents

D’emblée, M. Dubois affirme que le choix de chaussures de Bruno Marchand n’a rien d’anodin. Il s’agit d’un élément de marketing politique qui participe à la construction de l’image de marque du nouveau maire.

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Grosso modo, le marketing politique, c’est lorsqu’on utilise des techniques du marketing commercial pour présenter à l’électorat une offre politique de façon plus accessible et attrayante. Au lieu de tenter de convaincre la population de se taper des programmes électoraux de plusieurs centaines de pages, on lui présente un candidat en chaussures de sport, par exemple.

Philippe Dubois explique que puisque la politique rejoint de moins en moins d’adeptes, les techniques de marketing politique sont de plus en plus utilisées pour attirer l’attention de certains segments de l’électorat, au Québec et au Canada comme ailleurs dans le monde.

«Les souliers de BRUNO Marchand expriment une partie importante de l’image qu’il voulait donner à sa candidature, c’est-à-dire d’un candidat dynamique, persévérant.»

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« Ce qui est intéressant avec les souliers de Bruno Marchand, c’est qu’ils expriment et canalisent une partie importante de son offre, de l’image qu’il voulait donner à sa candidature, c’est-à-dire d’un candidat dynamique, persévérant, mentionne M. Dubois. D’autant plus que sa victoire a été épique, avec une arrivée spectaculaire, donc l’analogie de la course était déjà présente dans sa communication politique, aussi parce que c’est un sportif. »

« Ses souliers deviennent maintenant une carte de visite importante, parce que beaucoup de gens connaissent le maire non pas pas parce qu’ils connaissent son programme ou ce qu’il a dit en campagne électorale, mais parce que c’est le maire dynamique qui porte des souliers de course », poursuit-il.

Pour cet expert, Bruno Marchand et Catherine Dorion ont tous deux fait le choix stratégique de se mettre en scène – la politique étant « un acte de performance » – à partir de vêtements. Ce qui les distingue toutefois, c’est l’objectif derrière ce choix.

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« M. Marchand cherchait à s’imposer sur la scène municipale, à faire partie du groupe, et il a utilisé ses souliers comme caractère distinctif pour attirer l’attention, pour envoyer un message rassembleur et pour se mettre en tête de peloton – pour reprendre une analogie sportive », mentionne Philippe Dubois.

« De son côté, Mme Dorion a utilisé son habillement pour se positionner, oui, pour se démarquer, oui, mais pas pour faire partie du groupe, mais pour s’en distancer. Pour envoyer un message un peu plus anti-système, pour s’attaquer à une institution. Donc évidemment qu’elle s’exposait à des critiques de toute part. »

En effet, si les espadrilles évoquent la vigueur et le sport, les Doc Martens sont plutôt un emblème de la culture punk : le message véhiculé est donc davantage contestataire.

D’autant plus qu’en tant que députée, Catherine Dorion siège à l’Assemblée nationale, un lieu au décorum imposant, alors que les lieux officiels fréquentés par les maires et mairesses permettent peut-être un peu plus de souplesse.

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Damned if you do, damned if you don’t

Les dynamiques de genre ne peuvent toutefois pas être exclues de l’équation, s’entendent pour dire Philippe Dubois et Mireille Lalancette, professeure titulaire en communication politique à l’UQTR et chercheuse au GRCP.

« Il reste qu’on est plus sévères avec l’apparence physique des femmes, affirme Mireille Lalancette. Parce qu’il y a plus d’hommes en politique, il y a un code vestimentaire plus facile à adopter pour eux, qu’on va moins critiquer – à part peut-être la fois où on a critiqué le veston beige de Barack Obama! »

« Il y a toujours un double standard, ajoute-t-elle. You’re damned if you do, damned i you don’t. Tu vas être critiquée peu importe. »

«Il faut garder en tête qu’il y a très clairement en politique un biais défavorable envers les femmes.»

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On n’a qu’à penser à Pauline Marois, souvent décrite comme snob ou hautaine en raison de ses tailleurs chics et de ses grands foulards, ou encore à Valérie Plante, dont le sourire a été interprété de maintes façons, de la bonhomie à l’hypocrisie. Aux États-Unis, les tenues d’Hillary Clinton étaient scrutées à la loupe par l’opinion publique.

« Il faut garder en tête qu’il y a très clairement en politique un biais défavorable envers les femmes, et fort probablement que si c’était Simon Jolin-Barrette qui avait porté des Doc Martens, on en aurait peut-être moins parlé », souligne Philippe Dubois.

Chose certaine, le code vestimentaire des élu.e.s continue de faire jaser, et pourrait être amené à changer avec l’arrivée de jeunes candidat.e.s.

« Le maire de Québec est parmi toute une série de jeunes qui sont arrivés récemment en politique municipale, fait remarquer Mireille Lalancette. Ce sera donc intéressant de voir comment les jeunes vont peut-être modifier les règles. »

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