Les chambres thématiques ont-elles le pouvoir de pimenter votre vie sexuelle?

Fermez les yeux et imaginez une « suite thématique » dans un hôtel. Que voyez-vous?

Je parie que vous vous imaginez une chambre de motel un peu kitch, avec un lit en forme de cœur, un miroir au plafond et des inscriptions de type « Live laugh love » sur les murs en tapisserie?

Ou alors une chambre baignée dans un éclairage mauve de style donjon, avec des menottes en minou et une baignoire à remous, ornée de lumières LED qui changent de couleur au rythme d’une musique un peu porn.

Si c’est effectivement les premières images qui vous sont venues en tête, vous avez raison… en partie!

Récit d’une visite exclusive dans la nouvelle chambre thématique Barbie à l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth.

J’entre dans l’hôtel de luxe de la rue René-Lévesque avec le sentiment d’être underdressed. À la réception, un couple flanqué de deux énormes valises Louis Vuitton se regarde en souriant. Devant eux, une vieille dame tirée à quatre épingles attend patiemment son tour.

Dans le hall, je donne un dernier coup d’œil à l’invitation que l’on m’a lancée il y a quelques jours : « Inspirées du célèbre héritage de l’iconique Barbie et de ses remarquables voyages à travers le monde, ces expériences exceptionnelles te transporteront dans un monde rose et ludique en découvrant en avant-première la Barbie Suite de rêve ».

Où est-ce que je signe?

Rapidement, on m’escorte vers la fameuse suite du 17e étage.

Très peu de personnes ont eu la chance d’y entrer jusqu’à maintenant. Ma fébrilité, nourrie par la nature exclusive de ce moment, monte au rythme des chiffres qui grimpent sur le cadran numérique de l’ascenseur.

On rappelle alors que la nouvelle suite, créée en partenariat avec Mattel, souligne le 65e anniversaire de Barbie et le 66e anniversaire de l’hôtel qui seront célébrés en 2024. Vous pouvez la réserver à partir de 1 500 $ la nuit.

Mille cinq cents dollars. La nuit.

Évidemment, c’est une suite à thématique Barbie, donc le rose, les motifs pop et les brillants sont à l’honneur. Mais malgré tout, cette chambre, qui offre une vue imprenable sur la Cathédrale Marie-Reine-du-Monde, est décorée avec goût, donne juste envie de boire des mimosas et de danser sur des tounes pop.

En plus, j’ai tellement joué aux Barbies avec mes sœurs quand j’étais petite que cette suite de deux chambres me plonge inévitablement dans une douce nostalgie enfantine.

Qu’est-ce qui a donné envie à un hôtel aussi luxueux que le Fairmont Le Reine Elizabeth de créer une chambre thématique pareille?

« Il y a une grande demande », me répond tout simplement Michele Guzzo, directeur du marketing de l’hôtel, qui raconte que ses suites thématiques sont souvent spécifiquement demandées par sa clientèle.

« Nous proposons également la suite 1742, qui a accueilli le célèbre bed-in de John Lennon et Yoko Ono en 1969, qui s’est conclu par l’enregistrement de la chanson Give Peace a Chance. La chambre, qui a été entièrement revampée en 2017, offre même des installations interactives présentant du matériel d’archives du bed-in pour la paix. […] Grâce à des casques de réalité virtuelle, les visiteurs peuvent vivre la frénésie qui avait lieu autour du lit de John et Yoko, lorsqu’ils ont accueilli des centaines de fans et de journalistes. »

Manifestement, cette suite, occupée au moment de mon passage, prend des allures de musée en plus de faire office de chambre. Intéressante combinaison.

Michele Guzzo me rappelle que du côté du Château Frontenac à Québec, on retrouve une chambre à thématique Céline Dion, inaugurée en 2018.

C’est quoi l’affaire avec les chambres thématiques?

Un questionnement me taraude alors: est-ce que les chambres thématiques, comme le promet le mythe, ont un réel pouvoir sur l’intimité? Ont-elles la capacité de « pimenter [notre] vie sexuelle » comme le scandent les magazines féminins depuis des décennies?

« Le verbe “Pimenter” m’a toujours fait réagir, quand on parle de sexualité. Tu sais, le piment, c’est une question de goût, il y en a qui voudront ajouter du sucre et non des épices », fait valoir la sexologue Julie Lemay avec humour, avant de révéler être « vraiment très jalouse » de ma visite de la suite Barbie. Grande fan de la célèbre poupée héroïne du dernier film de Greta Gerwig, notre experte aurait volontiers pris ma place ce jour-là.

« Au-delà de cette idée de “pimenter la vie sexuelle”, comme on lit et entend souvent, louer une chambre d’hôtel thématique peut surtout révéler une quête de créativité. Parfois, les idées manquent pour varier les pratiques, les lieux, le contexte. L’idée est sans doute de faire contrepoids à un certain ennui, inévitable dans la vie quotidienne de nombreuses personnes. »

Mais attention, rappelle Julie, une chambre d’hôtel, aussi luxueuse, exubérante ou ludique soit-elle, ne peut pas à elle seule soutenir une intimité.

« C’est sûr que de mettre quelque chose à l’horaire, qui inclut un lit où l’on va passer la nuit, ça peut faire grimper les attentes », nuance la sexologue, en rappelant que le consentement doit maintenir une place centrale dans l’expérience.

« Ce n’est pas facile d’anticiper le désir, de savoir comment on va se sentir cette journée-là, par rapport à soi-même, par rapport à son corps, par rapport à son ou ses partenaires. On ne sait pas non plus comment on va se sentir dans l’espace, si les stimulus vont effectivement nous mettre dans le mood ou non. »

En effet, celle qui a récemment collaboré à l’émission Couples à boutte à titre d’experte, rappelle que le désir est influencé par une pluralité de facteurs. Donc, une chambre thématique ne peut malheureusement pas, en elle seule, être tenue garante de l’épanouissement relationnel et sexuel d’un couple.

Obnubilée par la suite Barbie, je ne peux pas m’empêcher de m’y projeter. Je m’y vois boire des bulles avec des copines, souligner un anniversaire fancy, célébrer un bachelorette, regarder des films en pyjama en mangeant des macarons ou encore, me préparer pour un mariage avec mes girls. Mais pour ma part, je ne m’y vois pas forcément prendre part à des activités de nature érotique.

« C’est intéressant de se demander pourquoi une relation sexuelle serait la suite logique de la réservation d’une chambre d’hôtel », soulève Julie Lemay, qui considère que les films romantiques ont un rôle à jouer dans l’association instantané qui s’opère mentalement entre chambre d’hôtel et sexualité. « La chambre peut servir à se reposer, à vivre un moment d’intimité partagé, à se retrouver. Tout ça ne passe pas forcément par une relation sexuelle. Il y a d’autres manières de profiter du moment. »

Julie Lemay poursuit sa réflexion en m’expliquant que, si l’on se trouve dans un endroit tel que la suite Barbie, « on peut se laisser émerveiller et par tout ce qui a été mis en place pour nous aider à sortir du quotidien, qui vient parfois avec ses zones d’ennui ».

Julie Lemay, toujours aussi envieuse de ma visite au pays de Barbie, conclut merveilleusement nos échanges en abordant la notion de jeu.

« Comme adulte, on a cessé de jouer et je trouve ça dommage, souligne la sexologue que l’on pourra bientôt voir dans l’émission Au-delà du sexe, sur les ondes de Télé-Québec. « Je trouve ça génial que ce genre de chambres ramène un aspect de fantaisie dans nos vies. Ajouter une touche d’humour, de jeu, de ludisme, ça peut être très bénéfique dans une relation amoureuse. Je suis en faveur de renouer avec une forme de légèreté, qui manque parfois au monde des adultes. »

Comme l’aurait chanté Aqua en 1997 :

Imagination, life is your creation

Come on Barbie, let’s go party.