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Le génie de « Barbie »
Au moment oĂč jâĂ©cris ces lignes, lâĂ©quipe marketing chargĂ©e de promouvoir le film Barbie prĂ©vu pour juillet pleure trĂšs certainement Ă chaudes larmes. De joie, je prĂ©cise, car depuis la semaine derniĂšre, tout le monde ne parle plus que de lâadaptation Ă taille humaine que Greta Gerwig (Little Women, Lady Bird) offre Ă la plus cĂ©lĂšbre poupĂ©e de notre enfance.
Et pour cause, la bande-annonce officielle vient de sortir avec tout ce que lâon pourrait imaginer quâun tel film rĂ©unisse : une ville en forme de cĆur, autant de Barbie et de Ken que dans une boutique Ă jouets, un cabriolet tout rose, une bagarre sur la plage, Ryan Gosling et absolument aucun scĂ©nario.
Mais le buzz rĂ©el, lui, se situe plutĂŽt dans ce qui a accompagnĂ© cette bande-annonce, Ă savoir pas moins de vingt-deux affiches promotionnelles Ă lâeffigie de chaque personnage du film, le tout sous le format « Cette Barbie est [insĂ©rer mille et une professions ici]. Il est juste Ken ». Et si vous nâavez pas vu passer ces illustrations officielles, câest que vous ĂȘtes actuellement noyĂ©s sous leurs dĂ©rivĂ©s crĂ©atifs et parodiques qui noient les rĂ©seaux depuis la fin de semaine.
Ou que vous vivez sous la dictature Bratz. Clignez deux fois des yeux pour du renfort.
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La grande gagnante
Si le film Barbie est dĂ©jĂ vouĂ© Ă la rĂ©ussite â avec une rĂ©alisatrice connue pour transformer en art le temps ingrat de lâadolescente, il ne peut que lâĂȘtre â, il est surtout prĂ©destinĂ© aux mĂšmes. Câest bien simple; au cours des derniers mois, toutes les informations ayant fuitĂ© Ă son sujet ont connu un destin comique sur Internet. Toutes.
Ainsi, lorsquâil Ă©tait annoncĂ© tous les quatre matins que Will Ferrel, Issa Rae ou la chanteuse Dua Lipa participaient au projet, la phrase « [insĂ©rer mille et un noms ici] a intĂ©grĂ© la distribution de Barbie » est devenu le running-gag de Twitter. « Sâils ne vous engagent pas dans le film Barbie, sachez quâĂ ce stade, câest personnel », blaguait ainsi un internaute.
MĂȘme scĂ©nario lorsquâont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©es les photos de Margot Robbie et Ryan Gosling â respectivement Barbie et Ken â en patins vert radioactif et combinaisons rose flash tout droit sorties dâun VHS de fitness des annĂ©es 80. La machine Ă mĂšmes a alors Ă©tĂ© si impitoyable que lâactrice en est ressortie doublement embarrassĂ©e, la scĂšne en elle-mĂȘme lâayant dĂ©jĂ gĂȘnĂ©e pendant le tournage.
« [Ryan Gosling et moi] on a lâair de rire et de sâamuser, mais on est en train de mourir Ă lâintĂ©rieur. De mourir. JâĂ©tais comme, câest le moment le plus humiliant de ma vie », sâen est-elle exorcisĂ©e sur le plateau du Tonight Show de Jimmy Fallon.
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Mais en regardant tous ces petits accidents viraux, lâĂ©quipe marketing de Barbie sâest caressĂ©e le menton dâun air pensif avant de mettre le doigt sur la formule gagnante : faire participer le public cible du film Ă sa promotion. Et lorsquâon sait quâune chambre dâenfance sur deux loge cette petite poupĂ©e aux cheveux blonds sauvagement coupĂ©s et au visage crayonnĂ© de stylo, ce public cible devient rapidement vaste. Reste donc Ă continuer de le faire rire du film, mais avec le film, cette fois-ci.
DâoĂč lâingĂ©niositĂ© dâavoir intĂ©grĂ© Ă la campagne promotionnelle de Barbie un gĂ©nĂ©rateur de selfie reproduisant le modĂšle dâaffiche du film, mais avec la photo et le slogan de son choix. Et depuis, lâidĂ©e explose sur les rĂ©seaux sociaux, Ă en constater le flux torrentiel de posters personnalisĂ©s Ă lâeffigie dâĂ peu prĂšs tout et nâimporte quoi â une part de cake au citron, Tanya de la sĂ©rie The White Lotus, la poupĂ©e dâhorreur M3GAN, lâarrestation de Donald Trump ou encore le procĂšs lunaire de Gwyneth Paltrow.
La fiĂšvre plastique et fantastique semble mĂȘme avoir traversĂ© les frontiĂšres du virtuel, son gilet jaune politique sur le dos. Câest du moins ce dont tĂ©moignent certains des Ă©criteaux protestataires visibles dans les cortĂšges des grĂšves contre lâavancement de lâĂąge de la retraite qui font actuellement rage en France.
Un coup de maĂźtre visuel qui doit aussi son succĂšs Ă lâaspect DIY de son esthĂ©tique, tel que lâexplique Rudy La Faber, directrice crĂ©ative, dans Marketing-Interactive. « Câest facile Ă recrĂ©er, car qui se soucie si ça nâa pas lâair parfait? Plus il est simple de participer Ă quelque chose, plus les gens sont susceptibles de vouloir tenter le coup. »
« Sheâs everything⊠heâs just Ken. »
Au-delĂ du cĂŽtĂ© visuel, le slogan rĂ©current de la campagne du film a lui aussi fait mouche. Car dans toutes les dĂ©clinaisons dâaffiches, les diffĂ©rentes Barbie ont une fonction aussi haut placĂ©e que clairement Ă©noncĂ©e : prĂ©sidente, avocate, prix Nobel en physique, docteure, autrice reconnue, juge Ă la Cour SuprĂȘme, diplomate⊠Margot Robbie, soit la Barbie en chef, est elle-mĂȘme dĂ©crite comme un « tout ».
Quant aux Ken? Ils sont « juste Ken », pas dâautres descriptions disponibles. Ou nĂ©cessaires. Mention spĂ©ciale pour lâacteur Connor Swindells dĂ©crit comme Ă©tant « juste un stagiaire ou quelque chose du genre ».
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Et il semblerait que le film soit moins clĂ©ment encore envers le partenaire de Barbie, Ă en croire les rĂ©vĂ©lations de Ryan Gosling chez Entertainment Tonight. « Ken nâa pas dâargent, il nâa pas de travail, il nâa pas de voiture, il nâa pas de maison, Ă©numĂšre-t-il. Il traverse une passe difficile. » Mais au moins, il a ses patins verts.
Le fait que, dans cet univers, toutes les Barbie aient lâascendant social sur leurs collĂšgues masculins a Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ© par de nombreuses femmes. AprĂšs tout, dans la vie rĂ©elle, câest souvent le contraire qui se constate. « [Câest] le pic du gĂ©nie. Le pic de la satire. Parce que les femmes doivent gravir des montagnes pour ĂȘtre reconnues alors que les hommes sont juste glorifiĂ©s parce quâils existent », peut-on ainsi lire sur les rĂ©seaux.
Le cinéma, le vrai
Terminons par une scĂšne phare de la bande-annonce que Steven Spielberg lui-mĂȘme nâaurait pas pu imaginer (mais Tarantino, si) : la voĂ»te plantaire de Barbie qui reste cambrĂ©e en hauteur, mĂȘme lorsquâelle ĂŽte ses talons hauts. Magique. Grandiose. Si la scĂšne avait Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e en salle, la salle tout entiĂšre aurait haletĂ© en chĆur. Ă dĂ©faut, le « oh » de surprise a eu lieu en ligne.
Ici, le clin dâĆil Ă lâanatomie de la cĂ©lĂšbre poupĂ©e blonde est Ă©vident. Mais aprĂšs cela, les lectures peuvent ĂȘtre infinies.
Serait-ce Ă tout hasard lâallĂ©gorie de la souffrance physique et morale que lâinjonction aux talons hauts dans un contexte socioprofessionnel a longtemps infligĂ©e aux femmes? Serait-ce juste des pieds? Tant de questions pour un film qui a su tout dĂ©voiler, sauf le mystĂšre de son synopsis. Et ça, câest surtout le gĂ©nie de Greta Gerwig.