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Les casseroles d’Orléans

Un mouvement citoyen commence à résonner dans Homa.

Par
Hugo Meunier
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19h45 sur l’avenue d’Orléans, à l’angle de La Fontaine. « Oui, ça se passe là-bas me semble », m’oriente un sympathique jeune homme, en train de fumer une clope sur son balcon, pendant que le jour achève de tomber.

Le « ça», fait référence au concert de casseroles qui résonne depuis dimanche au bout de sa rue, pour protester contre le retour du couvre-feu à 20h.

«Je propose cette action en me sentant dépourvue comme tout le monde face à ce deuxième printemps pandémique »

L’initiative a notamment été lancée il y a quelques jours par une citoyenne dans La Presse. « Je propose cette idée en ayant peur qu’on m’accuse d’être complotiste. Je propose cette action en me sentant dépourvue comme tout le monde face à ce deuxième printemps pandémique », écrivait la principale intéressée, au sujet de cette « mesure injustifiée de répression et d’individualisme du blâme ».

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Jointe un peu plus tôt, l’auteure de la lettre voulait rendre hommage à ce mouvement aussi cacophonique que pacifique, qui a vu ses beaux jours durant le printemps érable. « Hier, nous étions trois logements à participer. Dans Hochelag ça a l’air de pogner en effet », m’a-t-elle écrit, en me transférant des images filmées au cellulaire par un collègue de Radio-Canada, dans lesquelles plusieurs citoyens d’Hochelaga-Maisonneuve semblaient effectivement avoir entendu son l’appel.

C’est pour les rencontrer que je traîne dans le quartier un quart d’heure avant le couvre-feu.

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20h. Bing Bing Bing, le son des casseroles commence à résonner sur d’Orléans. BING BING BING. Le vacarme de plus en plus fort me guide jusqu’à Jean-François Giroux, debout sur le trottoir en face de chez lui avec son récipient métallique et sa marmaille en pyjamas. C’est lui qui est le chef d’orchestre du mouvement de casseroles sur ce tronçon de l’avenue, circonscrit entre les rues Sainte-Catherine et La Fontaine. Il avait d’ailleurs entrepris de sortir ses casseroles une première fois après le décret du couvre-feu. « J’essaye de partir ça depuis le 8 janvier. On l’avait fait deux soirs, sans succès. Mais là on est chanceux, les voisins embarquent! », s’exclame avec enthousiasme ce père de six enfants âgés de 8 mois à 17 ans.

«Les autorités et les médias doivent comprendre qu’on ne veut pas de couvre-feu. Cette mesure est exagérée et les gens devraient avoir le droit d’être dehors»

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Plusieurs voisins sont effectivement fidèles au poste, devant leurs logements, dans une ambiance hautement familiale. D’autres citoyens se joignent à la manifestation perchés sur leurs balcons des ruelles limitrophes. Ils sont encore une poignée, mais ils ne passent pas inaperçus. « Notre objectif est que ça grossisse, les autorités et les médias doivent comprendre qu’on ne veut pas de couvre-feu. Cette mesure est exagérée et les gens devraient avoir le droit d’être dehors », plaide Jean-François, qui dit militer d’abord au nom des jeunes. « C’est dur pour eux, il fait encore clair à huit heures. Déjà qu’ils ne peuvent plus pratiquer de sport d’équipe. On veut juste pouvoir vivre », tranche Jean-François, avant de tapocher de plus belle, pendant qu’un enfant arpente le trottoir en frappant sur sa tête recouverte d’une casserole.

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Après quinze-vingt minutes, le silence revient dans le quartier. J’en profite pour aller jaser avec quelques participants de ce mouvement spontané.

«C’est injuste pour les gens plus défavorisés, qui vivent dans de petits appartements. C’est grave ce qui se passe, quand on cible une strate plus pauvre de la population»

Yannick et Christine soulignent d’emblée que rien ne démontre que le couvre-feu influence à la baisse les risques de contagion. Mais pour eux, cette mesure est avant tout discriminatoire. « C’est injuste pour les gens plus défavorisés, qui vivent dans de petits appartements. C’est grave ce qui se passe, quand on cible une strate plus pauvre de la population », déplore Christine qui travaille dans le domaine de l’itinérance. Elle évoque le décès tragique d’un homme il y a quelques mois, justement en lien avec le couvre-feu. « Évidemment on ne back pas la casse, mais on peut comprendre la grogne actuellement », ajoute pour sa part Yannick, en référence aux débordements de dimanche dernier dans le vieux port de Montréal.

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Sous le couvert de l’anonymat, un voisin travaillant dans le milieu de la santé m’explique pourquoi il juge important de se mobiliser. « Il y a présentement une confusion entre les règlements et la science. Depuis le début je répète aux gens les consignes sanitaires, en leur disant que c’est correct de jouer dehors et là, tout d’un coup, c’est plus correct. Il y a de profondes incohérences », peste cet employé débordé, tanné de se sentir « barouetté » depuis un an. « On a presque envie que tout pète pour qu’il se passe enfin quelque chose. Parce qu’on n’est pas surpris de la situation, on l’avait tous vu venir », ajoute-t-il, en lien avec les problèmes qui minent gravement le milieu de la santé, au-delà de la COVID.

« Il y avait un gars en crise dans la ruelle il y a quelques jours. Personne n’osait aller l’aider à cause du couvre-feu. »

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« Le couvre-feu est une mesure contre les pauvres. Présentement, on les sacrifie pour garder les écoles ouvertes et envoyer les parents travailler. C’est un gouvernement du patronat », résume-t-il, inquiet de voir la police investie d’autant de pouvoir pour faire respecter la loi, au détriment de la santé mentale et de la réalité des gens plus démunis. « Il y avait un gars en crise dans la ruelle il y a quelques jours. Personne n’osait aller l’aider à cause du couvre-feu. J’y suis allé parce que j’ai une autorisation et il m’a dit: je me sens comme un animal en cage », raconte le citoyen, soulignant que pour plusieurs personnes, juste prendre une marche et pouvoir circuler librement constitue une soupape pour éviter le pire.

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En train de siroter un verre de vin avec sa blonde sur son balcon, Ludovic préfère me donner un faux prénom. Dans le contexte actuel, le moindre mouvement de dissidence peut être mal perçu, redoute le jeune homme. « C’est tricky parce que je ne suis pas du tout conspirationniste, mais je constate simplement les incongruités du gouvernement avec son couvre-feu », explique Ludovic, allant même jusqu’à parler de liberticide. « Les chiffres démontrent que la majorité des cas viennent des milieux du travail et scolaire, mais le gouvernement veut interdire nos déplacements! Ils veulent serrer la vis sur des trucs symboliques en nous prenant pour des maternelles quatre ans pour paraphraser Legault. C’est une aberration et de la psychologie de souris de laboratoire! », peste-t-il.

«C’est tricky parce que je ne suis pas du tout conspirationniste, mais je constate simplement les incongruités du gouvernement avec son couvre-feu»

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Sa copine abonde dans ce sens et insiste sur la réalité des quartiers plus défavorisés. « Il faut avoir une grande maison et un grand jardin pour mettre une telle mesure en place, mais beaucoup de gens sont à six dans un appartement », souligne-t-elle.

De l’autre côté de la rue, Mike sirote une dernière bière avant d’aller se mettre au lit. Le cadran de cet ouvrier de la construction sonne chaque matin à quatre heures. S’il suit sans rechigner les règles sanitaires depuis le début, cette nouvelle mesure constitue la goutte qui fait déborder le vase. « Tous les commerces ferment tôt, je dois courir sans arrêt. Pour aller au travail, pour aller faire mes courses après. J’ai besoin d’un peu de calme dans la vie, mais là, je fais juste courir », admet le jeune homme, qui habite seul et ne minimise en rien l’existence de la COVID. « Je ne suis surtout pas anti-masque, mais là c’est trop. Ce couvre-feu me dérange et affecte ma qualité de vie », résume Mike, qui, faute de casseroles, criait « make some noise» comme au Centre Bell en soutien à ses voisins lors de la première manifestation.

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21h, je retourne chez moi également sur l’avenue d’Orléans, mais à quelques kilomètres au nord, là où aucune casserole ne résonne.

Pour le moment .