.jpg)
Les banques en font-elles assez pour les victimes de violence conjugale?
Le secteur bancaire canadien pourrait être un meilleur allié.
L’argent est un outil de contrôle à la fois sournois et puissant.
Un abuseur peut saisir les paies de sa conjointe, ou faire pression pour qu’elle cesse de travailler. Il peut demander des cartes de crédit au nom de la victime et l’endetter à son insu. Ces formes de violence économique sont lourdes de conséquences sur la santé financière des survivantes. L’ex-conjoint de Valérie, une victime avec qui Quatre95 s’est entretenu l’année dernière, l’a menée à une faillite de 25 000 $.
Alors que se déroulent les 12 jours d’action contre la violence faite aux femmes, je me suis demandé si les banques canadiennes en faisaient assez pour protéger les victimes et soutenir celles qui cherchent à retrouver leur autonomie financière.
C’est ce qui m’a amené à contacter le Centre canadien pour l’autonomisation des femmes (CCAF), qui cherche à démanteler les obstacles systémiques auxquels font face les survivantes de violence économique, d’endettement forcé et d’exploitation financière.
Selon Meseret Haileyesus, fondatrice et directrice générale du CCAF, les banques canadiennes ont pris des mesures encourageantes au cours des dernières années, mais il subsiste un écart important entre les intentions et les résultats concrets. « Les survivantes continuent de faire face à des obstacles lorsqu’elles tentent d’assurer leur sécurité financière », m’a-t-elle expliqué par courriel.
Des menaces par virement Interac
Ontario, octobre 2023. Une heure avant d’assassiner Angie Sweeney, son ex-conjoint lui envoie plusieurs virements – l’un d’eux pour aussi peu que 0,01 $. Le montant est accessoire : l’objectif est de lui transmettre des insultes et des menaces, sans avoir recours aux plateformes de messagerie.
D’autres ex-partenaires rédigent un message toxique chaque fois qu’ils versent un montant pour la pension alimentaire.
C’est pourquoi la Commonwealth Bank of Australia a introduit un filtre automatique qui identifie les mots abusifs, menaçants ou offensants dans les virements bancaires. En trois ans, le filtre a bloqué près d’un million de transactions. L’institution financière a aussi fait appel à l’intelligence artificielle pour repérer les transactions où se terrent des formes plus insidieuses d’abus. Chaque cas détecté par l’IA est ensuite révisé manuellement.
Pas de comptes bancaires sans frais pour les victimes
En 2024, la banque française Crédit Mutuel Alliance Fédérale s’est associée à la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) pour aider les survivantes à retrouver leur liberté financière. Grâce à ce partenariat, les femmes accompagnées par l’une des 83 associations du réseau de la FNSF bénéficient d’un compte bancaire sans frais pendant un an.
De ce côté-ci de l’Atlantique, plusieurs grandes banques canadiennes ont signé un engagement à fournir des comptes à frais modiques et des comptes sans frais dès le 1er décembre 2025 à des groupes vulnérables. Toutefois, j’ai parcouru la liste des groupes obligatoires et facultatifs admissibles aux comptes sans frais, et les victimes de violence conjugale n’y figurent pas.
Par courriel, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada m’explique que « l’inclusion des victimes de violence conjugale poserait des défis importants en matière d’identification et de mise en œuvre », car il faut que les critères d’admissibilité soient « facilement vérifiables ».
En s’inspirant de Crédit Mutuel Alliance Fédérale, les banques canadiennes ne pourraient-elles pas s’allier à des organismes qui œuvrent déjà auprès des victimes de violence conjugale pour leur offrir des comptes sans frais?
Une formation inégale qui peut mettre en danger
Le personnel bancaire doit aussi être mis à contribution pour lutter contre la violence économique, puisqu’il est en première ligne. Souvent, les victimes évoquent les abus financiers de leur partenaire pour la première fois en succursale ou au téléphone, avant même la famille ou les ami.e.s, surtout au sein de communautés où l’argent est un sujet tabou.
Au Canada, la formation du personnel bancaire varie énormément d’une banque à l’autre. « Plusieurs employé.e.s souhaitent aider, mais n’ont pas les outils ni les connaissances nécessaires en matière de traumatisme pour intervenir de façon sécuritaire », me répond Meseret Haileyesus.
Le CCAF a toutefois développé une formation spécialisée pour outiller les institutions financières et leur permettre de soutenir efficacement les survivantes. Ne devrait-on pas la rendre obligatoire?
Protéger les victimes ne devrait pas être optionnel
À l’automne 2025, le ministère des Finances a annoncé son intention d’élaborer un Code de conduite pour la prévention de l’exploitation financière (bonne nouvelle!)… qui pourra être adopté sur une base volontaire (hein?).
Questionné à ce sujet, un fonctionnaire du ministère me répond que « les codes de conduite volontaires sont des instruments bien établis dans le secteur financier canadien » qui permettent de répondre « aux besoins particuliers des consommateurs sans imposer de règlements rigides ».
Le gouvernement fédéral ne veut pas trop en imposer aux banques, mais pendant ce temps, les victimes, elles, se font imposer un contrôle étouffant par leur partenaire.
« Pour nous, la sécurité économique devrait être un droit, pas un engagement volontaire. À terme, le Canada devra adopter un code obligatoire afin d’assurer une protection uniforme d’un océan à l’autre », affirme Meseret Haileyesus.
***
En Australie, en France et même au Royaume-Uni, plusieurs institutions financières adaptent leurs services aux besoins des victimes de violence conjugale. Certaines grâce à des innovations technologiques qui permettent de détecter les menaces, d’autres en collaborant étroitement avec des organismes. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant ici.
Pourtant, l’Association des banquiers canadiens m’assure que ses banques membres « continuent à faire front commun contre toute forme d’exploitation financière » et « demeurent résolues à aider les personnes survivantes à atteindre leur indépendance financière ». Alors, qu’attendent-elles pour en faire plus?
Parce qu’une chose est claire : on ne brisera pas le cycle de la violence économique faite aux femmes sans l’implication des institutions financières.
Contactez SOS violence conjugale par téléphone au 1-800-363-9010, par clavardage ou par courriel à [email protected]. Le service de SOS violence conjugale est offert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!