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Les bandes dessinées, ça sert pas (juste) à faire rire

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On n’a presque plus besoin de le dire: la bande dessinée, ce n’est pas juste des bonhommes qui font des blagues. Comme dans toute forme d’art, il y a souvent un côté engagé: qu’on pense aux Idées noires de Franquin, au Schtroumpf financier ou au webcomic qui a fait découvrir à plusieurs le concept de «charge mentale» la semaine dernière, la BD engagée, ça marche.

Alors que le Festival BD de Montréal s’ouvre demain au parc Lafontaine, j’ai rencontré trois bédéistes qui font jaser – et réfléchir: Sophie Labelle, Mirion Malle et Ariane Dénommé.

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Sophie Labelle, Assignée garçon – Celle qui dérange

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Si vous ne savez pas qui est Sophie Labelle, c’est que vous ne lisez pas Le Journal de Montréal: elle y a «obtenu» une pleine page la semaine dernière. Je mets des guillemets à «obtenu», parce que la raison initiale est terrible: certains de ses détracteurs ont mis la main sur son adresse personnelle et les menaces de mort qu’elle reçoit fréquemment se sont mises à sonner plus menaçantes que jamais (elle a déménagé depuis, rassurez-vous).

Créer des personnages dans lesquels les personnes trans se reconnaissent.

Tout ça parce que son webcomic Assignée garçon, qui aborde les expériences d’une jeune femme trans, choque. Ce qui ne la poussera pas à arrêter, au contraire!

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«Ils m’ont simplement donné de la persistance. Le pire qui pourrait arriver, ce serait qu’il y ait de l’apathie par rapport à mon travail. Que ça fasse autant réagir, c’est un bon signe, ça m’a amené énormément de nouveaux supporters, de nouvelles lectrices et de nouveaux lecteurs. Ça m’a vraiment ouvert des portes, même si ça a fermé la porte de mon appartement!» lance Sophie Labelle, manifestement pas du genre à se laisser décourager.

Les nouvelles portes, c’est principalement celles du monde de l’édition, frileux à publier une BD qui s’adresse à un public niché comme celui que constitue les personnes trans (car c’est vraiment à celles-ci que s’adresse ces histoires, précise Sophie Labelle, et tant mieux si d’autres aiment ça). Sa première BD imprimée vient d’ailleurs tout juste d’être auto-éditée, tradition fréquente dans le monde de la bande dessinée nichée.

«Les gens me disent qu’ils trouvent ça très humanisant, surtout qu’on est habitués à un regard documentaire sur les personnes trans.»

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Son idée première, c’est de créer des personnages dans lesquels les personnes trans se reconnaissent. «Comme la plupart des produits culturels qui ont des thématiques trans sont faits pour des personnes non trans, il y a un regard externe, dramatique, sur la situation. Mon but, ce n’est pas d’éduquer les gens: c’est de faire rire les personnes trans, en pointant des situations de la vie quotidienne, en les tournant en blagues, en punchlines… c’est de reprendre le pouvoir. Les gens me disent qu’ils trouvent ça très humanisant, surtout qu’on est habitués à un regard documentaire sur les personnes trans», explique Sophie Labelle, qui s’exprime par la BD depuis qu’elle a 7 ans.

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Mais celle qui était avant enseignante au primaire le sait: il y a matière à apprentissages partout. Et bientôt, ce n’est plus seulement en BD qu’on pourra découvrir son univers: elle travaille à un prolongement de sa série sous forme de roman jeunesse. «Le format webcomic me porte à donner les personnalités les plus simples possible à mes personnages pour que les lecteurs comprennent bien.

En m’insinuant dans leur tête et en les faisant interagir dans un cadre autre que la punchline ou la BD à trois cases, j’ai l’impression de mieux connaître mes personnages. Ç’a déjà influencé ma BD dans les trois derniers mois, j’ai l’impression d’en être davantage en contrôle.»

[Sophie Labelle donnera une allocution au FBDM dimanche à 16h. La veille, elle sera au Salon du livre anarchiste de Montréal.]

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Mirion Malle, Commando Culotte – Celle qui déconstruit la culture populaire

Mirion Malle, au contraire de Sophie Labelle, emploie un ton didactique dans ses bandes dessinées qui traitent de féminisme, de racisme, de représentation… et d’Harry Potter.

Au nombre d’heures qu’on passe devant Netflix, autant réfléchir un peu à ce qu’on y voit.

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Son choix s’est encore plus affirmé alors qu’elle a entamé sa maîtrise en sociologie et études féministes. «Je me suis retrouvée face à des textes universitaires compliqués et difficiles à lire si on ne maîtrise pas les langages de la philo ou de la socio. Je crois que c’est contreproductif, dans des luttes pour la justice sociale, de rendre ça fermé à la grosse majorité des gens», dit celle qui publie ses bandes dessinées sur son blogue Commando Culotte, dont un premier tome a été publié chez Ankama Éditions.

Un truc chouette, dans ses BD: le recours fréquent à la culture populaire (films, séries télé, faits d’actualité) pour expliquer différents concepts (la friendzone, par exemple). Elle met en lumière les bons et les moins bons coups de chaque série selon un regard critique. Au nombre d’heures qu’on passe devant Netflix, autant réfléchir un peu à ce qu’on y voit: voilà le point de départ.

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«À la base, l’idée, c’était de transformer les longs débats fastidieux que j’avais en soirée avec des amis en bandes dessinées simples. Il y a vraiment dans ce que je fais une volonté d’expliquer: voilà ce que je pense et pourquoi, tu peux être contre, mais j’ai essayé d’expliquer clairement», résume Mirion Malle.

[Mirion Malle sera en dédicace au FBDM samedi matin au kiosque de Drawn & Quaterly, et samedi de 13h à 15h ainsi que dimanche de 10h30 à 12h30 au kiosque de La Boîte de diffusion.]

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Ariane Dénommé, Main-d’œuvre – Celle qui fait réfléchir tout en douceur

Main-d’oeuvre, Ariane Dénommé, La mauvaise tête
Main-d’oeuvre, Ariane Dénommé, La mauvaise tête
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Le point de départ des bandes dessinées d’Ariane Dénommé, c’est pas mal toujours quelque chose qui la dérange. Ce qui ne veut pas dire que ses BD se lisent comme des pamphlets.

«Je ne considère pas ça comme une littérature engagée dans laquelle il y aurait un discours très clair. Je fais le portrait de situations en évoquant certaines choses, et c’est ensuite au lecteur d’y lire ce qu’il veut y lire. Oui, j’ai des valeurs, il y a des choses que je pense, mais elles ne sont pas énoncées de façon littérale. D’ailleurs, plusieurs lecteurs ont des interprétations différentes de celles auxquelles je m’attendais», rapporte la bédéiste.

Comment mon travail me définit, comment ça change la façon dont je vais avoir des relations interpersonnelles?

Son plus récent ouvrage, Main-d’oeuvre, traite du rapport au travail, par le biais du quotidien d’ouvriers de mines d’uranium. «C’est arrivé dans une partie de ma vie où je réfléchissais beaucoup au travail. Je venais d’avoir 30 ans, un bébé, et de passer un an sans travailler, ce qui est rare. Je voulais traiter de comment je me sentais par rapport à ça, comment mon travail me définit, comment ça change la façon dont je vais avoir des relations interpersonnelles», relate-t-elle.

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Ariane Dénommé a actuellement un projet de récit en développement; on n’en sait pas grand-chose pour le moment, si ce n’est que ce sera probablement de la science-fiction… et encore une fois, que le propos fera réfléchir.

[Ariane Dénommé participera à la table ronde Tranches de vie dimanche à 12h au FBDM.]

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