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« Le stade, c’est notre tour Eiffel! »
« 870 millions, c’est cher. Le démolir, ça serait encore plus cher. On est pris avec, finalement! »
Croisée à l’ombre du Stade olympique pendant sa marche sant é, Danielle résume en une phrase l’opinion de plusieurs.
Si pratiquement tout le Québec a quelque chose à dire au sujet de l’annonce d’un nouveau toit au coût de 870 millions qui fait les manchettes cette semaine, qu’en pensent au juste les voisins de la plus haute tour inclinée au monde?
Parce qu’au-delà de la promesse d’attirer Taylor Swift ou le retour des Expos (avant celui des Nordiques), l’idée de construire un nouveau toit en acier bordé d’un cerceau en verre translucide est aussi de contribuer à la revitalisation de ce quartier populaire situé à l’est de la métropole.
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C’est du moins le souhait du président-directeur général de la CCEM Jean-Denis Charest, qui est d’avis que : « cette décision contribuera à libérer le plein potentiel du Quartier olympique et de maximiser les retombées économiques (plus de 150 millions de dollars annuellement) permettant à cette zone de devenir un important levier pour la revitalisation de l’est de Montréal. »
Mais avant de voir Hochelaga se transformer en nouveau Quartier DIX30, allons voir si les citoyens concernés sont d’accord avec ça.
La carte postale du 514
Il fait doux et le soleil brille, ce qui serait agréable et rassurant en mars ou avril, mais bon, les changements climatiques peuvent bien aller se rhabiller, le toit du stade est un dossier nettement plus urgent.
Les oiseaux gazouillent dans le parc Maisonneuve, où les sentiers grouillent de coureurs et promeneurs.
En relief, le Stade olympique s’élève, majestueux. Pas de doute, c’est impressionnant. L’emblème de Montréal, la carte postale du 514. Mais au-delà de sa beauté, il s’avère surtout un beau paquet de troubles… COMME MON EX, HA!
Construit à temps pour voir Nadia Comăneci gagner les Olympiques de 1976, le stade imaginé par l’architecte Roger Taillibert a depuis surtout fait jaser de lui pour son toit de marde.
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D’abord, le modèle rétractable se déchirera plusieurs fois après son installation en 1987. Le deuxième toit, recouvert de téflon, se déchire aussi rapidement dix ans plus tard à cause du poids de la neige.
En attendant de trouver la solution miracle, des milliers de déchirures s’accumulent sur le toit au fil du temps.
C’est finalement un consortium mené par les firmes Pomerleau et Canam qui hérite du projet, approuvé par Québec au coût de 870 millions, soit l’équivalent d’environ 150 matchs préparatoires des Kings de Los Angeles au Centre Vidéotron (oui, je suis un génie).
Une grosse pancarte de l’entreprise Pomerleau est d’ailleurs visible au pied du stade, où des travaux semblent déjà en cours à voir la valse des ouvriers sur le site.
« L’est de Montréal a besoin d’amour »
Je débute ma quête en interceptant Denis qui repart à bicyclette en sortant du centre sportif du stade, assez achalandé en ce mercredi matin. « C’est pas un mauvais investissement, je pense, et c’est bon pour le quartier », commente le cycliste, qui croit même dur comme fer au retour des Expos (je vous jure qu’il ne s’agissait pas de Denis Coderre).
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Au même moment, un cortège d’étudiants bruyants déambule en direction du Biodôme. Ils sont nombreux à converger vers cet endroit.
J’accroche des gens au hasard. Les deux premiers sont des touristes. Le premier, de Munich, connaît la réputation de mal-aimé de notre toit. Le second, un Lyonnais, rapporte que sa propre ville vit actuellement des problèmes de stade, en raison d’un possible conflit d’horaire entre un concert de Taylor Swift et un important match de l’OL en juin prochain (oui, Taylor est omniprésente).
-Wow, je me sens moins seul. Allons vite créer le hashtag «#NousSommesStades»!
-Euh…du coup, non.
De retour à Danielle, celle qui pense qu’on est un peu pris avec notre stade. Elle mentionne que tant qu’à payer aussi cher pour un nouveau toit, faudrait que ça finisse par rapporter. « Faudrait pas que ça devienne un puits sans fond, parce qu’avec 870 millions, on pourrait investir dans des logements abordables », souligne-t-elle.
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Comme la vie est une succession de hasards, je m’enfarge ensuite dans Olivier Hernandez, le directeur du Planétarium (et, accessoirement, astrophysicien spécialisé dans les galaxies et exoplanètes).
Sans doute le Terrien le mieux qualifié pour parler de l’importance de bonifier l’écosystème de l’Espace pour la vie, qui comprend déjà la Biosphère, le Biodôme, l’Insectarium, le Jardin botanique et le Planétarium.
« Je suis content de voir du développement avec le stade. Là, c’est juste du béton et il faut le faire vivre. L’est de Montréal a besoin d’amour », admet M. Hernandez.
Il ajoute qu’à l’heure actuelle, 2,7 millions de personnes visitent annuellement l’ensemble des attraits de l’Espace pour la vie. Un stade en bonne santé pourrait contribuer à pimper cet engouement, croit-il.
Mieux utiliser cet argent
Un peu plus loin, Lindsey se demande encore quoi penser de cette annonce au coût astronomique. La jeune femme, qui habite le quartier depuis cinq ans, sait toutefois que le statu quo n’est toutefois pas une option idéale. « J’aime bien le quartier comme il est. Je suis donc mitigée, parce que ces travaux risquent d’entraîner la gentrification », indique-t-elle, citant la construction d’un hôtel sur une partie du terrain du cinéma StarCité.
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Sur l’avenue Pierre-De Coubertin, Annie promène son chien sur le trottoir ensoleillé. Elle aussi a un peu l’impression de rejouer dans le même film. « J’ai vu le design du toit, j’aime le fait que ça soit en verre. Mais va-t-on vraiment attirer de gros noms de la musique si le son n’est toujours pas bon? », se demande cette résidente du quartier.
« Et comme infirmière, c’est sûr que je me dis que cet argent pourrait mieux servir ailleurs… », renchérit-elle.
En marchant sur l’avenue, on croise une exposition de photos racontant chronologiquement l’histoire du stade, de sa construction à aujourd’hui. Malgré les pépins techniques entourant son couvre-chef, le stade a heureusement connu quelques moments de grâce, comme la visite du pape, des concerts de Madonna et de Pink Floyd sans oublier un match de boxe opposant Sugar Ray Leonard à Roberto Durán.
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J’entre dans le stade via le café l’Insolite, bondé à l’heure du lunch. Partout autour, ça fourmille de gens qui entrent et sortent dans l’amphithéâtre par l’intérieur, sur des trottinettes, à vélo ou à bord de karts de golf.
Un gentil monsieur me refoule à la guérite en voyant que je n’ai pas de carte d’accès. Il m’explique que l’achalandage actuel est causé par le salon ExpoHabitation de Montréal, en cours jusqu’à dimanche. « Il y a déjà beaucoup d’action avec les compagnies installées à l’intérieur, mais ça serait une bonne chose que le nouveau toit attire des événements de plus », résume le volubile gaillard.
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« Il faut savoir reculer dans la vie »
De retour dans le voisinage, Laurent et Claudette placotent devant le bazar d’une paroisse de la rue Letourneux. Le toit du stade ne laisse personne indifférent. Si Claudette est prête à donner sa chance au coureur, Laurent, lui, se montre intransigeant.
« Il y a plein de gens qui ont de la misère à joindre les deux bouts, il faut savoir reculer dans la vie. Et les gens qui sont d’accord avec le projet, je prendrais leur adresse pour leur envoyer la facture! », lance-t-il.
Un peu plus loin sur la rue LaSalle, Georges sort le recyclage sur son balcon qui offre une vue imprenable sur le stade. « Il brille de différentes couleurs le soir. On s’assoit ici l’été, mais pas juste pour regarder le stade », assure l’homme en riant, à propos de la petite table sur sa galerie.
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Georges voit d’un bon œil la revitalisation du quartier et estime que celle-ci passe par un stade plus attrayant. « Quand Metallica est venu cet été, il y a eu de la vie jusqu’à une heure du matin dans le coin, ça serait intéressant de voir ça plus souvent », indique Georges, qui pourrait visiblement survivre à Saint-Lambert sans virer crackpot à cause du son provenant du parc Jean-Drapeau.
L’effet « stade » dans les commerces
Les quelques commerçants du coin interrogés se montrent également favorables à la présence d’un stade moins à l’abandon. « On le sait quand il y a quelque chose au stade : c’est fou et les gens arrivent très tôt », constate Richard, responsable de la promotion au légendaire restaurant Jimmy’s, sur la rue Hochelaga (oui, oui, l’endroit où les mets chinois sont préparés par de vrais de vrais Chinois).
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À court/moyen terme, Richard espère que la réfection du toit, qui s’étirera jusqu’en 2027, se traduise par des livraisons aux employés de la construction.
« Il n’y a pas beaucoup de restos autour, mais le stade, c’est notre tour Eiffel. Tant mieux si ça finit par nous attirer du monde, gentrifier le coin et augmenter la compétition », résume Richard.
Sur Ontario, le patron de la Brasserie des Patriotes pense aussi que tout le quartier sortira gagnant d’un stade plus opérationnel. « Quand il y a eu Metallica, des touristes sont venus ici. Mieux vaut réparer le toit, il va finir par nous servir », espère Sylvain.
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Et même si la classe politique et le milieu des affaires saluent à l’unanimité la construction du nouveau toit, ma mauvaise foi chronique m’incite à laisser le mot de la fin à la Mission Old Brewery, qui témoigne aux premières loges de la hausse de 33% de la population itinérante à Montréal depuis les cinq dernières années.
Avec les crises combinées des opioïdes, du logement et l’explosion du nombre de campements, l’organisme vient d’annoncer l’ouverture 24 heures sur 24 de son café pendant l’hiver, faute de place dans les refuges.
Ma question à l’organisme était simple : vous feriez quoi, vous, avec 870 millions de dollars?
« Ça pourrait couvrir nos frais d’opération pour les 40 prochaines années ou assurer la construction de plus de 2000 unités de logement communautaire pour les personnes à risque ou en situation d’itinérance », m’a répondu une porte-parole.
Rien que ça.
Mais bon, c’est pas une raison de perdre de vue notre plus grande priorité collective des prochaines années : attirer Taylor Swift à Montréal.