Logo

Le septième Bye bye de Simon-Olivier Fecteau

« Ce n’est pas impossible que ce soit le dernier. »

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

« Es-tu dans l’ancienne tour? C’est là que je suis », me texte Simon-Olivier Fecteau pendant que je le cherche à travers les foules radio-canadiennes croisées dans le lobby de la nouvelle maison ultrafenestrée.

À quelques jours du rendez-vous télévisuel le plus regardé de l’année, je voulais soutirer quelques impressions à chaud – et qui sait, peut-être quelques primeurs – au principal intéressé, aux commandes de son septième Bye bye aux côtés du producteur Guillaume Lespérance.

La barre est haute pour cette cuvée 2022, après deux éditions pandémiques qui ont cartonné, au point de faire oublier la mouture soporifique de 2019.

Rappelons que le Bye bye 2021 a fédéré 4 862 000 spectateurs et spectatrices devant leur télé, en faisant l’émission la plus regardée de l’histoire de la télé québécoise (au moins dix fois plus que le dernier et désormais défunt Gala Québec Cinéma).

Publicité

Patrick Huard se greffe cette année à une équipe gagnante composée de François Bellefeuille, Sarah-Jeanne-Labrosse, la vétérante Guylaine Tremblay (son 6e Bye bye) et Pierre-Yves Roy-Desmarais.

« Ça fait un peu The Shining », compare l’ancien Chick’n Swell, au sujet des couloirs rouges abandonnés de l’ancien QG de la société d’État. L’endroit est désert sauf pour des employé.e.s qui démontent et transportent du matériel sur des chariots dans les allées.

Simon-Olivier salue chaleureusement tout le monde sur son passage,

plus sympathique en réalité que son personnage hautain et blasé de la websérie En audition avec Simon.

Lorsque je lui fais remarquer, il arbore un sourire complice. « C’est le seul contact que je vais avoir avec ces gens-là… », plaisante-t-il en feignant, pince-sans-rire, le dédain.

Publicité

Après avoir salué le pauvre agent installé à l’accueil qui doit trouver le temps long, le réalisateur m’entraîne dans un dédale de couloirs jusqu’à l’emblématique studio 42, là où l’on tournait la plupart des gros shows (genre Tout le monde en parle, La Fureur, Les démons du midi).

C’est en ces lieux qu’une bonne partie du prochain Bye bye a été tournée. Quelques employé.e.s s’affairent à en effacer les traces. Devant un immense rideau dévalant le plafond jusqu’au sol subsistent quelques éléments de décors, tels que des ballots de foin, des barils et un faux arbuste.

«Mais même si on est rodé, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas se tromper.»

Pas le peine d’harceler Simon-Olivier pour savoir à quoi tout ça a servi, il garde jalousement les secrets de sa revue de l’année.

« On devient un peu rodé, même le stress est moins là », admet-il en prenant place sur une chaise au milieu du vaste studio. « Mais même si on est rodé, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas se tromper. Je me suis d’ailleurs réveillé en panique à quatre heures du matin », ajoute-t-il, en évitant bien sûr de s’avancer sur la source de ses insomnies.

Publicité

Malgré les relents de stress habituels qui accompagnent la conception d’un Bye bye, Simon-Olivier se situe à des années-lumière des premières éditions qu’il a pilotées, une période où l’angoisse s’étalait sur plusieurs mois. « Les deux derniers ont été bien reçus par les critiques et le public. Ça va trop bien, c’est sûr qu’on est dû pour un scandale ou de la marde », blague à moitié Fecteau, qui travaille à plein temps durant quatre mois sur chaque édition, même si les premières sessions de travail remontent généralement en août.

Publicité

Les traits néanmoins fatigués malgré sa zénitude, le réalisateur et producteur au contenu attache les derniers fils de l’émission douze heures par jour, enfermé dans une salle de montage au sous-sol.

Difficile de prévoir comment cette prochaine mouture post-pandémique sera reçue, à l’heure où les gens ne sont pas obligés d’être confinés en bulle devant leur téléviseur. « Pendant la pandémie, je sentais pour la première fois qu’on faisait quelque chose qui allait au-delà de la télé, comme si c’était une mission de divertir les gens. Cette année, ce sentiment de fin du monde est moins palpable. »

Raison de plus, ajoute-t-il, de revenir à l’essence même de son mandat : « juste faire un bon show ».

Comme mon interlocuteur semble déterminé à ne rien laisser fuiter, je tente avec mon charisme légendaire de lui sortir les vers du nez en énumérant quelques incontournables de l’année qui s’achève.

Vaches en cavale, Guillaume Lemay-Thivierge crashant les Gémeaux, intimidation à OD, spa dans lequel barbotte des camionneurs révolutionnaires devant le parlement, retours de Julien Lacroix, mort de la reine, serment au roi, Éric Duhaime refoulé à la porte de l’Assemblée nationale, disparition d’Horacio Arruda, pape en cavale québécoise, maladie de Céline : la matière abonde, suffisamment pour meubler un gros deux heures.

Publicité
@hugo.meunier

J’ai essayé d’arracher des SCOOPS sur le prochain Bye Bye. Un échec cuisant, #quebec #fyp #montreal #byebye #nouvelan #2023 #simonolivierfecteau #byebye2022 @URBANIA

♬ son original – Hugo Meunier

« C’est sûr que c’est un événement qui a marqué l’année », se borne à répondre chaque fois Simon-Olivier, imperturbable derrière sa poker face.

Fidèle à la coutume, il se « caméoïsera » aussi à quelques reprises, à l’instar de plusieurs membres du bottin UDA. Tiens, on l’imaginerait d’ailleurs personnifier Elon Musk ou le président Zelensky sans trop de couches de maquillage.

« C’est peut-être signe de passer à autre chose »

Et là, sans avertissement, Simon-Olivier Fecteau me balance quelque chose que des collègues mieux averti.e.s oseraient peut-être même taxer de « scoop ». « On aurait pu quitter l’an dernier. On réfléchit à un départ et ce n’est pas impossible que ce soit le dernier. Sans dire que c’est rendu facile, ce n’est certainement pas la courbe d’apprentissage des débuts », confie le réalisateur, qui jongle avec l’idée de passer à autre chose artistiquement parlant.

Publicité

Il a des projets personnels en chantier depuis deux ans, mais là encore, il se garde de les ventiler. Décidément.

«Au début, c’était cauchemardesque, j’avais mille livres de pression sur les épaules. Là, je ne la sens plus. C’est peut-être un signe de passer à autre chose»

Au moins, il s’ouvre avec franchise sur cette baisse d’adrénaline liée à la création d’un Bye bye, signe qu’il est peut-être devenu trop confortable dans ses pantoufles de réalisateur. « Avant le Bye bye, être invité à Tout le monde en parle était le stress ultime. Tu pouvais vraiment y fucker ta carrière. Là, c’est devenu une case dans mon horaire, je me suis même endormi sur le plateau pendant le tournage il y a quelques années. Même chose pour le Bye bye. Au début, c’était cauchemardesque, j’avais mille livres de pression sur les épaules. Là, je ne la sens plus. C’est peut-être un signe de passer à autre chose », renchérit Fecteau.

Publicité

Il faut dire qu’il a la chance de n’avoir jamais été éclaboussé par un gros scandale, du moins rien qui nécessite d’organiser un point de presse en rentrant de voyage pour présenter des excuses.

Fecteau a certes reçu quelques critiques acerbes, notamment lorsqu’il s’est acharné trop gratuitement sur le comédien Michel-Olivier Girard dans l’édition bâclée de 2019, sans plus. « Avec l’expérience, on sait que les joke chiennes pas drôles ne marchent pas. C’était le cas ici. On savait que c’était edgy, mais avec le recul, l’entièreté du show était pas bonne », reconnaît-il.

« Cette diversité nous rend meilleurs »

À cette époque où une forme de rectitude force parfois le milieu de l’humour à cheminer en terrain miné, Simon-Olivier Fecteau assure qu’on peut encore rire de tout, ou presque. « Ça peut sembler oppressant, mais c’est à nous de nous ajuster et de changer. L’idée de s’ouvrir à la diversité nous donne l’opportunité d’aller plus loin. Les “wokes” aussi rendent l’humour plus fort, créent un terrain fertile », croit celui qui a observé il y a deux ans une volonté d’inclure plus de diversité autour de la table, une chose logique et tout à fait en phase avec l’évolution, assure-t-il. « Cette diversité nous rend meilleurs. »

«L’idée de s’ouvrir à la diversité nous donne l’opportunité d’aller plus loin.»

Publicité

Évidemment, les grands virages comportent quelques sorties de route. Si la société et nos mœurs évoluent, se transforment, est-il périlleux, voire même possible dans ce contexte hautement vertueux, de présenter de l’humour corrosif sans froisser quelques susceptibilités?

Après avoir témoigné de quelques dérapages, Simon-Olivier Fecteau prévoit une sorte de retour du balancier dans les années à venir. Il évoque aussi un problème de perception. « On peut croire que les années de l’humour qui se moque achèvent, mais le grand public en veut. On est dans des bulles. La bulle woke, la bulle de droite, etc. C’est difficile d’avoir le pouls général quand on est dans des microcosmes », analyse-t-il, ajoutant qu’un Bye bye est nettement plus grand public qu’une page Facebook.

Publicité

La sienne, justement, fonce souvent dans le tas, abordant avec son franc-parler et un ton à l’occasion provocateur des sujets sensibles et polarisants. Si certains coups de gueule l’ont parfois mis sur la sellette, l’humoriste de 47 ans assume ses maladresses, mais qualifie de démesurées certaines réactions. « C’est difficile de débattre sur les réseaux sociaux. On manque d’empathie envers un humain qui exprime des opinions. J’ai souvent une intention d’ouverture, mais ça ne paraît pas dans une phrase, un tweet. Lorsque je suis en désaccord avec quelque chose, j’essaye maintenant de ne pas prendre position tout de suite et de prendre un pas de recul », souligne l’humoriste, d’avis que les podcasts fournissent désormais un agora intéressant pour exprimer des idées et des nuances.

Le temps file, Simon-Olivier a un Bye bye à wraper. À moins d’un cataclysme nucléaire, le pacing ne devrait plus bouger avant le décompte.

Publicité

Le réalisateur me raccompagne jusqu’à l’entrée, à travers le décor apocalyptique de la vieille brune abandonnée. Là encore, il salue chaleureusement les rares spécimens croisés en chemin.

À jauger son air détendu, voire presque un peu blasé, difficile de prévoir ce qui sortira de cette cuvée 2022 pourtant foisonnante en sujets.

D’un autre côté, Simon-Olivier Fecteau l’a mentionné un peu plus tôt : après la pandémie, son intention est de revenir à l’essence de son mandat, « juste faire un bon show ».

Publicité

Pour le reste, ça risque d’être du pareil au même. Les gens vont adorer ou chialer, à l’instar des critiques, puis quelques jours plus tard, le monde va continuer de tourner.

Tout croche, mais tourner quand même.

De toute façon, Infoman sera encore meilleur que le Bye bye.