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Enfant, un de mes rêves c’était de marcher au plafond. Pas marcher la tête en bas: je voulais que ma maison au complet soit renversée pour que mon plafond devienne mon plancher. Je me demandais de quoi les choses auraient l’air. Ça m’aurait amusé un temps puis ça m’aurait paru normal, j’aurais alors souhaité que ma maison reprenne sa position habituelle.
Dans la catégorie plus-facile-à-réaliser-que-renverser-une-maison, il y a cette fameuse scène où Robin Williams, dans Le Cercle des poètes disparus monte sur son bureau et invite ses élèves à le faire aussi pour qu’ils voient que le monde n’est pas le même si on change, ne serait-ce qu’un peu notre perspective: «Je monte sur mon bureau pour ne pas oublier qu’on doit s’obliger sans cesse à tout regarder d’un angle différent.»
L’oeuvre de Emond c’est le calme après la tempête et c’est de toute beauté.
Pour garder un œil nouveau sur le monde, le photographe canadien Andrew Emond est attiré par ces lieux où personne ne va. Après avoir arpenté et immortalisé les égouts de Montréal, Emond a déménagé à Toronto et s’intéresse maintenant aux hôpitaux, manufactures et bureaux désaffectés. Nouvelle découverte artistique, l’oeuvre de Emond c’est le calme après la tempête et c’est de toute beauté.
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Andrew Emond, après Sublevels, ton projet photographique dans les égouts montréalais, tu es retourné vivre à Toronto. Avec un nouveau cycle, Diversions, tu as délaissé le sous-sol de la ville tout en gardant un lien avec le traitement de l’eau en contexte urbain. Depuis 2012, tu publies tes nouvelles photos via ton compte Instagram @andrew_emond et tu sembles être retourné à tes anciennes amours: les bâtiments abandonnés.
Comment choisis-tu les bâtiments dans lesquels tu entres?
Dans le passé j’étais plus sélectif quant au type d’endroit que je photographiais. J’ai passé des jours à tenter d’immortaliser des endroits spécifiques comme la mine d’Asbestos au Québec ou des centrales électriques en Ontario.
Dans la dernière année toutefois, j’ai adopté une approche plus décontractée, instinctive. Je vais déambuler dans un quartier de ma ville que je ne connais pas et voir où ça me mène.
Je n’ai plus l’intention de photographier quelque chose de précis. J’utilise mon téléphone intelligent comme caméra et ça m’a fait retomber en amour avec la photographie.
Wow! Quel type de cellulaire as-tu?
Le matériel sur mon site web a été pris avec une grande variété d’appareils, argentiques et numériques mais j’utilise exclusivement mon Galaxy S7 pour ce que je partage sur Instagram. J’aime sa transportabilité et sa simplicité. J’aime aussi questionner l’idée préconçue qu’il faut une «vraie» caméra pour prendre de bonnes photos.
J’espère que mes photos transmettent l’émotion que j’ai dans ces lieux.
Mon petit doigt me dit que les portes ne sont pas grandes ouvertes lorsque tu arrives devant un bâtiment abandonné. Comment fais-tu pour entrer, souvent de jour? On va garder le secret, promis.
Je dirais que 75% du temps, les portes sont effectivement grandes ouvertes. Il peut y avoir une clôture sous laquelle ramper ou par-dessus laquelle sauter, mais la réalité c’est que les bâtiments, même encore en service, sont pauvrement surveillés et sécurisés.
Et l’autre 25% du temps, as-tu eu des démêlés avec la justice? T’arrive-t-il de faire des rencontres étranges lors de tes expéditions?
Je croise rarement des gens. C’est sans doute pourquoi je préfère les lieux vacants: j’y suis libre, je peux y faire ce que je veux sans être interrompu. Comme je fais ça depuis 2004, j’ai croisé quelques gardiens, travailleurs et policiers au fil des années, mais ces anecdotes se résument à quelqu’un qui me dit: «T’as pas le droit d’être ici, rentre chez toi».
Quel effet ça fait d’être seul dans ce genre d’endroit si vide? Est-ce toujours sécuritaire? L’atmosphère de tes photos semble si sereine.
J’espère que mes photos transmettent ce que je ressens en ces lieux. Il y a la paix et la tranquillité, mais j’aime aussi introduire un élément de tension ou de désordre, comme quelque chose qui commence à se découdre.
Des grafignes sur un plancher de linoléum en disent beaucoup sur un lieu et les gens qui le fréquentaient.
Pourquoi te mettre en scène, de dos, dans Water Courses (projet qui englobe Sublevels et Diversions) alors que tu préfères généralement évacuer toute présence humaine dans le reste de ton oeuvre?
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Les photographies dans lesquelles je figure, que ce soit les égouts de Montréal ou les ruisseaux de Toronto, me semblent étonnamment moins habitées que celles prises dans des lieux intérieurs qui ne présentent pourtant aucun humain. Ces dernières photos contiennent des évidences de la vie humaine, de son activité, de sa culture.
Des grafignes sur un plancher de linoléum en disent sans doute plus sur les gens que moi me tenant au milieu d’une de mes photos!
Il y a toujours des micro-récits à trouver dans ces lieux abandonnés.
Justement, ces lieux désaffectés, que disent-ils sur nous? Qu’as-tu appris en ayant la chance d’adopter une perspective aussi unique sur ton environnement?
Les lieux que j’ai photographiés sont si variés qu’il serait impossible de regrouper en quelques phrases tout ce qu’ils disent sur nous.
Au final, je suis juste un outsider qui tente de recoller les morceaux de ces lieux du mieux que je peux. Il y a toujours des micro-récits à trouver dans les pièces-arrières et les tiroirs. Dans le grand ordre des choses, ces histoires ne sont pas toutes remarquables, mais j’aime les considérer comme tels.
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Pour contempler la beauté du travail de Andrew Emond sur une base quotidienne, abonnez-vous subito presto à son compte Instagram @andrew_emond
Pour lire un article sur le passé de cet artiste: Andrew Emond, coureur d’égouts.
Et pour vous «obliger sans cesse à tout regarder d’un angle différent», quelques suggestions:
– S’inventer un torticolis
– Monter sur son bureau, point boni si vous clamez «Ô capitaine, mon capitaine»
– Prendre des chemins différents lors de ses trajets habituels
– Maîtriser la position du Sirsasana
Pour lire un autre texte de Jade Fraser: «Rock, art et filles tannées d’attendre».
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