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Je suis un jeune montréalais bilingue et force est de constater que j’évolue dans un univers politique parallèle, un ghetto intellectuel, politique et social.
D’habitude j’ai l’impression de comprendre la société dans laquelle je vis. Pas dans le sens d’approuver où elle s’en va, ni dans le sens de connaître et saisir la totalité des enjeux qui l’animent et la mettent au défi.
Plutôt, j’ai souvent l’impression de comprendre ma société au plan humain. En d’autres termes, je dois admettre qu’en temps normal j’ai l’impression que je serais capable de décrire la population de ma société de façon relativement fiable et représentative à un étranger qui ne connaît rien d’ici. Je serais convaincu d’être en mesure de lui fournir de bons outils.
Comme tout le monde, je procéderais assurément de façon nombrilique en décrivant d’abord les gens proches de moi, puis ensuite j’établirais des paraboles sur le reste de la société en tentant de décrire les différents groupes qui existent et évoluent autour de ma personne. Et sans être un expert en sociologie, mais sans être inéduqué non plus, j’aurais l’impression que je sais de quoi je parle.
Ce matin, en lendemain d’élections, je suis obligé de m’avouer que finalement je ne semble pas du tout connaître la population de ma société. La grande surprise, l’incompréhension, la consternation puis la frustration que je ressens en général le lendemain de chaque soirée électorale en est peut-être un bon symptôme. Je ne veux pas insinuer que l’identité d’une personne se définit principalement ou uniquement par son orientation politique, mais en même temps, je dois aussi admettre ceci (et je ne suis clairement pas le seul) : dans mon entourage immédiat, sur mes réseaux sociaux, dans mes discussions des dernières semaines, pas un chat allait voter Libéral.
Tout le monde avait des intentions de vote et des opinions différentes, car mon entourage est rempli de gens bien différents. Certains votaient stratégiquement, d’autres passionément. Mais le point en commun principal de mon entourage est que personne ne m’a dit qu’il ou elle pensait voter pour le parti qui vient finalement de remporter une majorité écrasante.
Ce n’est pas non plus comme si je venais de réaliser pour la première fois de ma vie que j’ai des opinions en marge de la société. Je ne vis pas présentement une crise existentielle post-électorale. En fait, ce qui me laisse perplexe, c’est le gouffre social que ça met en lumière.
Et ce gouffre social, c’est le suivant :
J’ai 25 ans, je suis bilingue, je viens de Québec et j’habite sur l’île de Montréal, je suis un artiste, je suis quelqu’un qui a plusieurs cercles sociaux évoluant autour de centres d’intérêt variés, j’ai des bons amis entre les âges de 18 et 40 ans, je suis allé à plusieurs reprises un peu partout au Québec, j’aime lire et je suis informé, je suis actif et ouvert d’esprit, MAIS en vivant comme je le fais, je ne rentre pratiquement JAMAIS en contact/discussion rapprochée avec le type de personne qui vote pour le parti le plus populaire de la province (et qui incidemment est le parti qui me représente et me plaît le moins).
Business as usual, c’est bien le moins qu’on puisse dire… C’est en effet la même chose à chaque élection, provinciale ou fédérale.
Par contre, il faut quand même admettre que c’est problématique.
Quand je mène ma petite existence à moi, côtoyant mes amis au quotidien, je n’oublie certainement pas le fait que j’évolue au sein de mon propre groupuscule qui a des valeurs spécifiques et des limites claires à son influence, mais je progresse tout de même au jour le jour en me disant que c’est en posant des gestes dans ma vie quotidienne que je peux changer les choses.
Logiquement, il semblerait en fait que non. J’habite et je partage ma vie avec du monde qui vote comme moi, qui recycle comme moi, qui consomme environ à un rythme comme moi. En menant mon train de vie quotidien et en posant des petits gestes ci et là et en ayant des discussions dans lesquelles je partage mon avis et ma vision des choses, je n’influence réalistement pas grand monde. On est tous déjà d’accord. Ou presque. Mais en gros, on est d’accord. Et la plupart du temps quand on parle politique, même si ça peut virer en conversations animées et très intéressantes, on prêche entre convertis.
Si la majorité fait des choix politiques qui ont des conséquences néfastes pour moi, mais qu’il m’est impossible d’entretenir un dialogue dans la vraie vie avec cette majorité et que je ne suis pas encore assez cynique pour juste me dire fuck off, je fais quoi ?
Bien sûr, je pourrais me rendre dans des partys de membres du Parti libéral et essayer de les convaincre de laisser tomber, je pourrais aussi devenir chummy avec une gang de septuagénaires qui ont voté rouge toute leur vie et jaser républicanisme, je pourrais faire du porte à porte, je pourrais me balader dans les centres d’achat et demander aux gens ils votent pour qui et argumenter avec eux, je pourrais participer à des guerres de commentaires sur des forums et des articles en ligne, etc.
Tout ça est possible, certainement. Ce qu’il faut souligner par contre, c’est que toutes ces choses ne font pas partie du déroulement normal et efficace de ma vie courante, qui est déjà bien remplie, variée et pleines d’interactions impliquantes avec des gens différents.
Mon point : mon absence quasi totale d’interaction significative avec la majorité politique citoyenne n’est pas un reflet de ma fermeture d’esprit ou de l’homogénéité de mon entourage. Il n’y a donc techniquement aucun problème à régler de mon bord. J’aime ma vie et je la mène bien.
Les conséquences de ce point : que je le veuille ou non, j’évolue dans un ghetto intellectuel et social. Pas dans le sens pauvre et démuni, mais dans le sens isolé et évoluant en marge. Pourtant, je ne suis pas dans la rue, je suis jeune, éduqué et impliqué, je paie mes impôts, pis toute le kit. Mais moi, d’où je viens, dans mon hood intellectuel, ça vote pas Libéral, ça vote pas « comme tout le monde ».
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