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Ces temps-ci, l’usage du franglais semble causer des remous au Québec. Preuve d’assimilation progressive, preuve d’ouverture sur le monde, confrontation, partage, bref, les points de vue diffèrent. Pour y voir plus clair, il est probablement pertinent de retourner dans le passé afin d’observer l’évolution du français à travers les époques.

Je ne suis pas linguiste. Je ne suis pas historien, non plus. Toutefois, j’ai suivi un cours il y quelques années qui m’a beaucoup marqué : Histoire de la langue française. Avant d’avoir pris ce cours, je dois admettre que je ne connaissais pas grand-chose sur le processus qui a permis au français actuel d’émerger. J’ai parfois l’impression qu’on croit tous toujours un peu naïvement que la langue dans laquelle notre cerveau fonctionne a toujours existé. Évidemment, ce n’est pas le cas. Toutes les langues du monde ont une histoire, et chaque langue est le résultat complexe de divers mélanges, confrontations, emprunts, conquêtes et mutations. En d’autres mots, une langue actuelle n’est qu’une phase parmi les nombreuses étapes successives d’une langue historique, et une langue historique est généralement un dérivé d’une ou de plusieurs autres langues historiques plus anciennes. Par exemple, le français moderne n’est qu’une phase du français au sens plus large, et le français au sens plus large est une langue dérivée d’un mélange de latin vulgaire, de gaulois et de francique.

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AVERTISSEMENT : les passages qui suivent sont historiquement et linguistiquement vulgarisateurs.

Le français est une langue romane, ce qui veut dire que cette langue s’est développée à partir du latin. Mais le mot « français » provient du mot « Francs », qui désigne un peuple germanique qui s’est installé en Europe occidentale à l’époque des grandes invasions qui ont causé la chute de l’empire romain.

Déjà, avec comme seul point de départ le nom de la langue et son appartenance à une famille linguistique spécifique, on peut percevoir l’idée du mélange. Le français est une langue issue du latin, certes, mais qui porte le nom d’un peuple d’envahisseurs germaniques qui ont contribué à faire chuter l’empire qui a créé le latin. Hmmm, paradoxe intéressant.

Mais avant même de parler des Romains et des Francs, il faut parler des Gaulois. Les Gaulois, c’est Astérix et Obélix. Avant la conquête romaine de la Gaule par Jules César en 51 avant JC, c’était des Gaulois qui habitaient sur le territoire actuel de la France. Les Gaulois, ils parlaient la langue gauloise. Gardez ça en tête pour le moment.

Maintenant suivez-moi, on fait un bond dans le futur. Plusieurs siècles après Astérix, juste avant la chute de l’empire romain, le latin est en effet la langue administrative officielle de l’empire, et si on veut s’élever dans la hiérarchie romaine, il faut le maîtriser. Toutefois, l’empire romain était immense, et les peuples locaux conquis continuaient souvent à parler leur langue d’origine locale (langue vernaculaire), même après la défaite contre les Romains. À certains endroits, suite à la conquête romaine, des langues vernaculaires ou locales se sont latinisées, c’est-à-dire qu’elles se sont transformées en faisant plusieurs emprunts au latin des conquérants. On appelle ces langues vernaculaires latinisées le « latin vulgaire ». Wikipédia explique : « Le latin vulgaire ou latin populaire (en latin, sermo uulgaris, “le langage populaire”) est un terme qui englobe les dialectes vernaculaires latinisés qui existaient pour la plupart dans les provinces occidentales de l’Empire romain, jusqu’à ce que ces dialectes, s’écartant de plus en plus les uns des autres, fussent transformés au fur et à mesure en langues romanes primitives. »

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Chaque forme de latin vulgaire était donc composé de deux éléments principaux : le langage local qui existait avant la conquête romaine, et le latin des conquérants, qui prend tranquillement le dessus sur l’ancienne langue locale.

Dans le cas de la Gaule, le latin vulgaire qui s’y est développé pendant l’empire romain était donc le résultat du gaulois et du latin. Au moment où l’empire romain chute, le peuple là-bas parle généralement une forme de latin vulgaire, mais l’élite parle aussi le latin classique, afin de pouvoir communiquer avec la capitale et le restant de l’empire.

Quand l’empire romain finit par chuter à cause des invasions de peuples germaniques, la cohésion logistique de l’empire s’effondre, et la nécessité pour les élites locales de communiquer avec Rome s’effrite. Des nouvelles entités politiques beaucoup plus petites que l’empire se développent, et les langues locales prennent une nouvelle importance.

C’est dans ce contexte que le latin vulgaire (gaulois + latin) se transforme progressivement en ce qu’on appelle le gallo-roman.

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Wikipédia résume cette transformation : « L’apparition du gallo-roman ne peut pas être datée avec précision. À la question “Quand a-t-on cessé de parler latin en Gaule ?”, l’historien Ferdinand Lot répond “Jamais.” Il y a eu un glissement insensible du latin classique […] vers le latin vulgaire pour la langue parlée par le peuple, cette langue populaire étant l’ancêtre des langues romanes; puis vers le gallo-roman mérovingien et carolingien. Les habitants de la Gaule ont toujours eu l’impression de parler la même langue que leurs ancêtres, mais en quelques siècles, elle était devenue méconnaissable. »

Résumons :

– Avant la conquête romaine, les Gaulois parlaient le gaulois.

– Après la conquête romaine, le gaulois fait plusieurs emprunts au latin, et une forme de latin vulgaire se développe, dans laquelle le latin prend tranquillement le dessus sur le gaulois.

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– Après la chute de l’empire romain, les langues locales prennent une nouvelle importance, et en l’absence d’une structure politique centralisée romaine, elles se développent de plus en plus sans nécessairement devoir prendre en compte de manière consciente le latin d’origine.

– C’est dans ce contexte que le latin vulgaire de la Gaule romaine devient progressivement le gallo-roman des mérovingiens et des carolingiens (peuples francs). Le gallo-roman, c’est un peu comme le très ancien français.

– En d’autres mots, les envahisseurs germaniques qui arrivent en Gaule dans le contexte de la chute de l’empire romain (les Francs) adoptent le latin vulgaire local en le mélangeant avec leur propre langue, le francique. Ce mélange devient peu à peu le gallo-roman.

Après plusieurs siècles de développement, le gallo-roman devient peu à peu ce qu’on appelle l’ancien français. L’ancien français est la forme médiévale du français. C’est durant cette période que les Normands font la conquête de l’Angleterre et que l’ancien français devient la langue de l’élite anglaise pendant plus de trois cent ans (une énorme proportion du vocabluaire anglais provient ainsi du français). L’ancien français est difficilement compréhensible pour des locuteurs du français moderne. L’ancien français fera plusieurs emprunts aux langues norses, particulièrement des mots de navigation. Il adoptera aussi environ 270 mots à l’arabe, principalement des termes de médecine, d’alchimie, de mathématiques et d’astronomie.

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Le moyen français est le terme qui désigne la phase de transition entre l’ancien français et le français moderne. Le phénomène historique principal qui caractérise la période du français moyen est la Renaissance. Le français moyen, redécouvrant les mondes latin et héllenique via les recherches et travaux des Espagnols et des Italiens, fera énormément d’emprunts à l’italien et à l’espagnol, et plusieurs efforts seront déployés pour modifier l’écriture et le son de plusieurs mots afin qu’ils ressemblent plus au latin, qui est pas mal à la mode durant la Renaissance. C’est la période la plus foisonnante, quantitativement parlant, de l’histoire de la langue française. Les ajouts et les modifications sont extrêmement nombreux et quelque peu pêle-mêle. Pour ceux qui s’y connaissent en vieille littérature française, c’est durant cette période que Rabelais, de même que les auteurs de Pléiade, vont écrire.

Après la Renaissance, la France est devenue un royaume de plus en plus puissant en Europe, et de plus en plus centralisé. Le symbole ultime de la monarchie française, qui représente le pouvoir absolu et la centralisation du pouvoir monarchique en France, c’est évidemment Louis XIV. C’est toutefois sous son prédecesseur Louis XIII que commencera véritablement la mise en place du français moderne fixé, codé et centralisé. En effet, c’est en 1635 que l’Académie française est créée. L’Académie française aura pour but de perfectionner, codifier et normaliser le français. À cause des nombreux ajouts à la langue faits pendant la Renaissance, le français moderne sera en fait revu et simplifié.

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Les textes écrits dans le contexte de la cour royale de Louis XIV, comme ceux de Molière, sont donc parfaitement compréhensibles pour un francophone moderne.

Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Wikipédia nous explique : « À la veille de la Révolution française, on estime qu’un quart seulement de la population française parle français, le reste de la population parle des langues régionales. »

Ce qui va arriver par la suite, c’est un long processus POLITIQUE d’uniformisation du français à travers le territoire de la France. Avec le développement du concept de l’État-nation, il devient politiquement très important, à des fins identitaires nationales, de communication et de contrôle, de parler une seule langue sur un territoire donné. La réalité « un peuple, une langue » est donc une invention moderne politique en France, et non quelque chose de très ancien.

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Le français moderne et pur et parfait et tout le tralala, c’est donc vraiment une histoire inventée, quand on observe le processus historique qui a mené à l’invention du français moderne. Le français moderne n’est qu’une phase dans un long processus de créolisation, d’emprunt et de mutation linguistique. Vouloir figer une langue pour toujours, c’est une volonté IDÉOLOGIQUE ET POLITIQUE, et non linguistique. Car du point de vue linguistique, les gens vont TOUJOURS progressivement modifier la langue qu’ils parlent afin de mieux répondre aux nouveaux défis communicationnels engendrés par les innombrables et constants changements économiques, démographiques, sociaux, politiques et culturels qui les entourent et les influencent. Par exemple, la jeunesse montréalaise des années 2000 va obviously développer le franglais pour relever le défi communicationnel de vivre dans une métropole bilingue et dans une Amérique du Nord anglophone. Le développement du franglais au Québec (et très particulièrement à Montréal) est donc quelque chose de parfaitement normal et prévisible d’un point de vue linguistique, et ce, qu’on s’y oppose ou non d’un point de vue politique ou idéologique.

Quand je vois les gens être dérangés par le franglais, je me demande toujours ceci : est-il préférable pour une langue de servir une cause politique et nationale et de se figer dans le temps, ou est-il préférable pour une langue de servir une cause communicationnelle et de se développer librement selon les différents besoins des différents endroits où elle est parlée ?

À vous de répondre à cette question.

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P.S. Le franglais, c’est un peu comme le latin vulgaire du Québec de 2014. En vous rappelant que le français moderne provient du latin vulgaire et non du latin classique, il existe donc la possibilité hypothétique que le franglais donne un jour naissance à une grande langue « parfaite, pure et figée dans le temps ».

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